Tunisie – Politique : Le vote obligatoire, une panacée pour lutter contre l’abstention

Au regard de la faible affluence que connaissent, actuellement, les inscriptions aux prochaines échéances électorales avec comme éventuel corollaire, un fort taux d’abstentionnisme qui risque de compromettre ces élections, l’option pour le vote volontaire s’est avéré un des talons d’Achille de la loi électorale en ce sens où il a montré, sur le terrain, des limites flagrantes.

Pour les observateurs de la chose tunisienne, d’autres options telles que le vote obligatoire auraient été plus appropriées pour une démocratie tunisienne naissante. Les politiques du pays étaient, pourtant, bien alertés à maintes reprises.

inscription-2014-isie.jpgDepuis leur émergence dans le paysage politique, les cabinets de sondage n’ont cessé d’attirer l’attention sur le fort taux d’abstention des Tunisiens sondés lesquels ne voulaient pas se prononcer ni sur les personnalités politiques, ni sur les partis, ni sur leurs programmes. Ce taux avoisinait les 50% et plus.

En d’autres termes, la moitié des Tunisiens en âge de voter refusent d’aller voter, car ils considèrent que cela ne sert à rien, que leur vote ne changera rien, et que la vie politique est un jeu sans impact réel sur leur propre existence.

Limites du vote volontaire

Face à cette désaffection déjà annoncée, aucune partie n’a daigné accorder l’intérêt requis à ce phénomène. Enlisés dans leurs guerres intestines pour l’accès au pouvoir, les leaders politiques ne s’en sont rendus compte que, ces jours-ci, lors des inscriptions aux élections lesquelles ont été simplement boudées par des Tunisiens exaspérés.

Faisant assumer à tort ou à raison ce désintérêt pour les prochaines élections à l’Instance supérieure pour l’indépendance des élections (ISIE), certains nouveaux groupes politiques (Nidaa Tounès, Front populaire…) formés après les élections du 23 octobre 2011 et ne disposant pas encore d’un électorat discipliné, ont le sentiment d’être piégés, ce qui les a poussés à mener une campagne tous azimuts pour la prolongation des délais d’inscription.

L’enjeu est de taille. Car, si les Tunisiens en âge de vote ne s’inscrivent pas massivement aux prochaines élections, il y a de fortes chances pour que la Troïka, confortablement adossée à un électorat aux ordres, se succède à elle-même, et ce au grand dam de l’écrasante majorité des Tunisiens qui ont toujours rêvé d’une démocratie moderne après le passage malheureux des islamistes au pouvoir.

Pour y remédier, certains partis, dont Nidaa Tounès, ont suggéré de remplacer l’inscription obligatoire aux élections par la présentation de la simple carte d’identité lors du scrutin. Cette alternative a présenté à son tour des limites dans la mesure où une bonne partie des Tunisiens, particulièrement les femmes, ne disposent pas encore de ce document administratif.

Une semaine après le démarrage des inscriptions aux élections, Chafik Sarsar, président de l’ISIE, s’est dit «surpris du grand nombre de femmes tunisiennes dépourvues d’une carte d’identité nationale» (mercredi 02 juillet 2014), soulignant qu’il est indispensable de sensibiliser les citoyens et citoyennes à l’enjeu de prendre conscience de l’importance de la carte d’identité nationale qui leur permettra, entre autres, de participer aux élections.

C’est dans cette perspective d’ailleurs qu’un accord de partenariat a été conclu entre le secrétariat d’État à la Femme et à la famille et l’ISIE afin d’encourager les femmes à obtenir la Carte d’identité nationale.

Vertus du vote obligatoire

En dépit des options prises, il existe bien d’autres alternatives qui ont fait leurs preuves dans d’autres pays, des alternatives qui méritent d’être explorées en Tunisie. Il s’agit, notamment, du “vote obligatoire“ perçu comme un remède efficace contre l’abstention. Finalité: tout citoyen doit impérativement voter et faire en sorte que ses institutions soient légitimes et donc bien élues.

Aux termes du vote obligatoire, le droit de vote est appréhendé comme un droit public qu’on utilise dans l’intérêt de la société, comme le droit de participer à un jury d’Assises, qui s’apparente plus à une obligation qu’à un droit.

Les objectifs macro-politiques poursuivis à travers le vote obligatoire sont multiples. Ils visent à réveiller la conscience politique des citoyens, à transformer l’acte de voter en tradition, voire en réflexe, et surtout, à responsabiliser le citoyen et à développer en lui le sens du devoir.

Est-il besoin de rappeler ici qu’à l’origine de la crise de toute société moderne, réside le fait que trop de gens -éternels resquilleurs et assistés- profitent sans vergogne de tous les droits à leur disposition sans aucun sens du devoir en retour, parfois même sans reconnaissance. C’est pourquoi voter obligatoirement ferait avancer un petit peu le sens des responsabilités chez nos citoyens.

Ce qui est certain, c’est que dans les pays qui ont adopté cette mesure, l’abstention a fortement baissé.

On parle de vote obligatoire dans les pays où ne pas se rendre aux urnes un jour de scrutin est passible de sanctions.

Concrètement, cette sanction pénale, qui peut aller du blâme à une amende matérielle, s’appliquerait à tout citoyen réfractaire, sauf s’il apporte la preuve de son impossibilité de voter par procuration ou en cas de force majeure. Pis, des interdictions de nomination, de promotion ou de décoration par les pouvoirs publics seraient prévues en cas de récidive.

Plusieurs pays ont fait le choix de cette institution. Elle est, aujourd’hui, fort ancienne en Belgique, puisqu’elle a été mise en place en 1893. C’est aussi dès 1924 que le vote obligatoire a été instauré en Australie pour les élections nationales. Il a par la suite été adopté au Luxembourg (loi du 31 juillet 1924), en Turquie, en Grèce, en Autriche (Land du Vorarlberg depuis 1919) et dans le canton suisse de Schaffhouse depuis 1876.

Ce procédé ne se limite pas à l’Europe élargie, puisqu’il existe également dans certains pays d’Amérique latine (tels le Costa Rica, la Bolivie et le Brésil).

Le système le plus connu est celui de la Belgique. Un électeur qui ne se rend pas aux urnes risque des sanctions. L’abstention est constitutive d’une infraction, qui, sans excuse valable, s’accompagne d’une sanction pénale (amende de 27,50 à 55 euros la première fois et de 137,50 euros si récidive).

Parmi les conséquences heureuses du vote obligatoire, les analystes estiment que c’est grâce à ce système que, en dépit de tensions séparatistes très puissantes, la Belgique tient encore debout, et c’est grâce à cela que, malgré une crise socio-économique colossale doublée d’une banqueroute, la démocratie grecque est toujours debout. Et ce n’est pas peu de choses.

Une garantie pour la pérennité du suffrage universel

Cela pour dire que le vote obligatoire, perçu ici non pas comme un exercice volontaire d’un pouvoir propre du citoyen mais comme un exercice de ce pouvoir au service de la collectivité, constitue indéniablement une garantie pour la pérennité du suffrage universel, cette conquête révolutionnaire des générations qui nous ont précédés laquelle a permis à tous —à l’ouvrier comme au bourgeois, aux femmes comme aux hommes— de pouvoir voter.

Ce même suffrage universel qui a longtemps été considéré comme le seul moyen de dégager une volonté nationale et d’esquisser les contours d’un projet républicain viable.

En ces temps troubles, le vote obligatoire devrait être retenu, en toute logique, comme la meilleure alternative pour imposer, par le canal des urnes, une orientation forte et résolue des forces vives de la Tunisie vers l’avenir.

On l’aura dit.