Trop d’informations, totale confusion, paralyse de l’action

Par : Autres

Un nouveau mal du siècle: surcharge d’information et connexion permanente. Par analogie avec l’excès de nourriture qui mène à l’obésité, avec tous les maux y afférents, un nouveau terme a été inventé pour illustrer les méfaits de l’excès d’information: infobésité.

fathi-mami-090412.jpgLe bombardement d’informations (courriels, tweet, bavardage, messages et publications sur les réseaux sociaux, alertes d’événements, télévision, radio, autres vidéos, publicité, instructions d’utilisation, règlements…) affecte les processus perceptifs, cognitifs et intellectuels, avec des risques psycho-sociaux pour les individus et aussi les entreprises. Dans le contexte professionnel, les cadres sont les plus concernés, vu qu’ils sont très actifs dans l’échange et le traitement de l’information.

“Dans un monde où la flexibilité, la capacité d’adaptation et la consécration sont essentielles à l’avancement professionnel, les cadres n’osent pas se plaindre“

Ce phénomène est récent. L’apparition des téléphones intelligents, des ordinateurs portables, des tablettes, et l’omniprésence de la connexion internet ont multiplié les sources, les canaux et les formats d’information.

Dans un monde où la flexibilité, la capacité d’adaptation et la consécration sont essentielles à l’avancement professionnel, les cadres prennent leur mal en patience et n’osent pas se plaindre ou remettre en question la situation.

Dans certains pays où l’engagement professionnel devient excessif, devant des situations d’épuisement ou de détresse, certains employeurs réagissent et tentent d’instaurer un équilibre. En effet, une bonne performance professionnelle exige une vie personnelle épanouie. (Chez nous, nous devrions apprendre qu’une bonne performance professionnelle fait partie d’une vie personnelle épanouie.)

“Une bonne performance professionnelle exige une vie personnelle épanouie“

Au lieu d’une logique de temps de présence et de connexion permanente, notamment au niveau professionnel, il faut passer à l’évaluation du rendement et son amélioration. Au lieu de la quantification des ressources engagées (temps, effort), l’évaluation des résultats (quantité et surtout qualité).

La pléthore des technologies et des canaux de l’information et de la communication (TIC), à part la surcharge de l’information, engendre des interruptions fréquentes (toutes les 7 ou 10 minutes, dans les cas extrêmes). La surcharge et les interruptions perturbent les processus intellectuels et décisionnels, désorganisent l’information, et rendent sa gestion et son exploitation plus difficiles. D’où un sentiment fréquent ou chronique de frustration et de fatigue intellectuelle, qui peut occasionner d’autres troubles mentaux ou comportementaux.

“La boulimie d’information résulterait… de l’indigestion de l’information et de l’incapacité à la trier et l’ordonner“.

L’infobésité et la déconcentration mènent dans beaucoup de cas à la cyberdépendance et/ou au déficit d’attention. La boulimie d’information résulterait non pas d’un manque d’information ou d’un besoin accru d’information, mais d’indigestion de l’information et d’incapacité à la trier et l’ordonner.

La durée de la concentration est à la baisse. Celle des étudiants aurait passé en quinze ans de quarante à vingt minutes. Le déficit d’attention devient courant, aussi bien chez les jeunes que chez les moins jeunes. Nos sens et nos capacités cognitives seraient trop sollicités, au-delà de leur capacité, chez beaucoup d’entre nous. En même temps, la communication devient superficielle, partielle, tronquée. Souvent, nous communiquons, de façon compulsive, aléatoire, sans but précis.

“La surutilisation du courriel entraîne une rigidité et une dégradation des rapports de travail et des relations humaines“

La surutilisation du courriel (courrier électronique) entraîne une rigidité et une dégradation des rapports de travail et des relations humaines, ce qui n’est bénéfique ni pour la productivité ni pour la satisfaction professionnelle, et peut mener à un stress chronique et à un sentiment d’incompétence et d’insécurité.

Nous adoptons les nouveaux outils de communication, sans avoir déterminé, au préalable, leur utilité. Au lieu de mettre l’outil au service du travail (décider, faire, informer, obtenir des résultats), le travail est vidé de sa substance humaine, de la réflexion et des résultats, et travail est souvent confondu avec la manipulation de l’outil ou le partage de l’information. Combien de fois l’information circule en rond ou en cascade, sans que rien ne soit fait, et sans que personne ne se sente vraiment concerné? La faire circuler est tout simplement une manière de s’en débarrasser, car on n’est pas sûr quoi en faire. Les organisations et les individus doivent définir des règles de communication (quel outil, pour quelle information, avec quel interlocuteur, pour quel résultat), et respecter la discipline qu’elles imposent.

La rupture de la disponibilité professionnelle, et la coupure entre le temps professionnel et celui privé, permet de reprendre du souffle et de la distance

Nombreux sont ceux qui considèrent que, dans la société numérique, compétence rime avec réactivité instantanée. D’une part, compétence rime avec capacité d’analyse, de réflexion et de décision, capacité contradictoire à l’instantanéité. D’autre part, être disponible aux autres constamment, c’est être nulle part, et gérer le passager, le superficiel.

Par ailleurs, notre capacité d’attention et de réflexion étant limitée, il est nécessaire d’optimiser son utilisation, selon des priorités.

La rupture de la disponibilité professionnelle, et la coupure entre le temps professionnel et le temps privé, permet de reprendre du souffle et de la distance, favorisant, ainsi, des décisions mieux réfléchies, situées dans le contexte approprié.

Autrefois, l’avantage résidait dans l’accès à l’information et aux outils numériques. Aujourd’hui, il appartient à ceux qui savent optimiser l’utilisation de ces outils, et surtout filtrer, trier et exploiter l’information. Ceux qui savent se déconnecter, prendre du recul, et récupérer leur liberté par rapport à l’information, aux réseaux et aux autres.

Aujourd’hui, l’avantage appartient à ceux qui savent optimiser l’utilisation des outils information, et surtout filtrer, trier et exploiter l’information

Non seulement l’information en soi ne vaut rien, elle peut même être néfaste. Ce qui a de la valeur, c’est la connaissance: une information interprétée, assimilée, mémorisée. Manipuler des dizaines d’informations, voire plus, ne développe pas la capacité, surtout des jeunes, de comprendre, d’analyser, d’hiérarchiser et de retenir –bien au contraire, sans parler de la capacité de critiquer.

Nous devenons un récepteur passif, résigné de l’information et nous risquons d’en intérioriser une partie, sans nous en rendre compte ou le vouloir.

Ce qui a de la valeur, c’est la connaissance: une information interprétée, assimilée, mémorisée

Il n’y a pas tout sur Internet. L’information n’y est pas organisée. En général, les médias gratuits ne sont pas équivalents aux payants, qui offrent plus d’analyse, de professionnalisme et de rigueur.

Réfléchir à ces questions, au niveau personnel et professionnel, en l’occurrence, en tant que responsable et décideur pour les autres, serait bénéfique, voire nécessaire.

Ce qui est possible de faire:

· Renoncer au mythe de tout lire, de tout savoir et de tout apprendre.

· Établir des priorités et des objectifs réalistes, et s’y tenir.

· Identifier les sources utiles et pertinentes et s’y limiter.

· Limiter le temps qui leur est consacré et le nombre de visites quotidiennes ou hebdomadaires.

· Distinguer entre la vie professionnelle et la vie privée. A la maison, déconnecter du réseau et des préoccupations professionnelles. Au bureau, se concentrer sur le travail, minimiser les interruptions… et travailler, au lieu de surfer, chatter…

· Ne pas se sentir obligé de répondre à tous les messages, courriels ou autres, notamment ceux qui ne sont pas sollicités ou pertinents.

· En cas de réponse, prendre le temps pour traiter l’information, ou pour doser son rythme de travail ou sa charge d’effort, avant de répondre.

· Ne pas retenir ou réagir à de l’information peu utile ou impertinente.

· Évaluer, juger la source de l’information, pour savoir la qualité et la fiabilité de cette dernière.

· Prendre de la distance, pour mettre l’information dans son juste contexte.

· Débrancher, de temps en temps, et reprendre le dessus.

La difficulté n’est plus dans la collecte de l’information, c’est plutôt savoir l’analyser et l’utiliser pour décider et agir

Le plus facile, c’est éteindre son ordinateur ou téléphone intelligent, et revenir à un rythme de vie plus lent, plus sain, plus méthodique, et à des médias traditionnels et des sources fiables d’apprentissage.

Aujourd’hui, la difficulté n’est plus dans la collecte de l’information, c’est plutôt savoir l’analyser et l’utiliser pour décider et agir. Analyser sans décider, ou décider sans agir, est sans utilité. Le but c’est la décision, suivie de l’action. L’avantage réside dans l’organisation, la discipline et le savoir-faire dans la mise en œuvre. Ainsi, il est judicieux de dépenser moins d’énergie dans la collecte, et donc collecter et traiter moins, et dédier plus de temps et d’effort à la mise en pratique.

Il faut éviter le piège de toujours plus d’informations et de données, pour pouvoir analyser ou décider. Demander et rechercher plus d’informations et d’analyses est souvent une excuse pour reporter la décision ou cacher son incapacité à décider. Décider et agir requiert un tempérament spécifique et un savoir-faire (compétence) particulier –non disponibles chez tout le monde.

L’analyse, les idées et les recommandations sont souvent le départ du processus de réflexion et décision

Affirmer qu’il n’y a pas assez d’informations ou que les données ne sont pas assez précises ou actuelles pour analyser et faire une recommandation, c’est le piège de l’analyse par les données ou les chiffres. L’analyse, dans ce cas, est un massage ou un relookage des données –sans apport supplémentaire, original. Or, l’analyse, les idées et les recommandations sont souvent le départ du processus de réflexion et décision; les données servent à illustrer, prouver ou infirmer les hypothèses et les conclusions –pas les remplacer.

Cette paralyse par l’analyse (analyse sans imagination, ni hypothèse, ni réflexion, ni objectif – ni compétence), ou bien l’excuse de l’analyse pour justifier la paralyse, c’est notre principale tare. Pire, souvent (la plupart du temps?), quand il y a décision, il n’y a ni mise en œuvre ni suivi.

—————