A l’Insee, drôles d’oiseaux statistiques et culte de la marge d’erreur

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Insee (Photo : Philippe Huguen)

[28/01/2014 16:11:46] Paris (AFP) Des logiciels aux noms d’oiseaux, des tableaux d’équation, des décennies d’archives sur l’économie française et un credo: “La marge d’erreur”. A l’Insee, on réclame le bénéfice du doute statistique.

“Incohérences”, “hiatus”, “aléas”, ces expressions émaillent les propos de Cédric Audenis, chef du département de la conjoncture de l’Insee, qui présente chaque trimestre à la presse les prévisions pour l’économie française.

Arpentant les couloirs d’un immeuble fonctionnel au sud de Paris, l’économiste de 39 ans explique comment l’Institut national de la statistique et des études économiques les élabore, par un savant mélange de données brutes et de modélisation informatique.

En décembre, sa “Note de conjoncture” annonçait en France une croissance de 0,4% au quatrième trimestre 2013, 0,2% aux premier et deuxième trimestres 2014. L’Insee ne s’aventure pas au-delà de cet “horizon” de six mois.

Tout commence avec le “moral” des entreprises et des consommateurs, sondé chaque mois par l’Insee.

“L’indicateur sur la confiance” des ménages, rendu public mardi, résulte d’un sondage téléphonique auprès de 2.000 d’entre eux. Les enquêtes auprès des entreprises, vieilles pour certaines de plusieurs décennies, concernent elles un échantillon représentatif de 20.000 sociétés.

“Beaucoup, beaucoup d’informations mais qui ne sont pas exploitables directement à des fins de prévisions et c’est là que notre autre facette entre en jeu”, explique M. Audenis. Et de mener à un autre bureau où deux jeunes statisticiens sont rivés à leurs ordinateurs, près d’un tableau barbouillé d’équations.

“L’économie n’est pas un être inerte”

Elles n’ont aucun mystère pour Adrien Zakhartchouk, 26 ans, l’un de ceux qui “font tourner” les logiciels de la maison, transformant les informations compilées par l’Insee (enquêtes, consommation, emploi, inflation, commerce extérieur…) en prévisions.

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à Paris (Photo : Loic Venance)

“A très court terme, on a tendance à faire plutôt confiance aux enquêtes, à plus long terme, à deux ou trois trimestres, on prend bien garde à ce que les comportements suivent la théorie”, explique M. Zakhartchouk, passé par l’Ecole Polytechnique, comme son supérieur et nombre de ses collègues.

Et si les conclusions de l’ordinateur et les attentes des industriels divergent, “il faut arbitrer”, indique Cédric Audenis pour qui de toute façon “l’économie n’est pas un être inerte”.

“Avant la crise on voyait qu’il fallait 1,5% de croissance pour que les entreprises embauchent, désormais il semble que ce seuil se soit abaissé. Mais on manque de recul pour savoir si c’est un changement temporaire” ou “structurel”, explique-t-il.

Un modèle appelé “Mésange”

Très prudente pour ses prévisions à deux trimestres, l’Insee s’aventure aussi sur un terrain plus mouvant: simuler les effets de certaines réformes avec un modèle conçu en coopération avec le ministère de l’Economie: “Mésange” (Modèle Économétrique de Simulation et d’ANalyse Générale de l’Économie).

Son chant a forcément plus d’écho politique. En 2010, l’oiseau avait prêté aux projets du “Grenelle de l’Environnement” un effet négatif à long terme sur l’économie. Plus récemment, Mésange a tempéré les attentes en termes d’emploi suscitées par le “Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi”, un coup de pouce de 20 milliards d’euros aux entreprises.

Si par exemple la députée socialiste et statisticienne Karine Berger, qui en 2002 a participé comme M. Audenis à son élaboration, se réfère volontiers à Mésange, le modèle est critiqué par d’autres économistes. Jacques Sapir lui reproche ainsi une “large dose d’idéologie” néo-libérale.

Soucieux de ne pas entrer dans ces controverses, Cédric Audenis assure que pour la croissance à court terme, “notre credo c’est d’insister sur nos limites, sur les aléas, sur le fait que la prévision est un exercice très incertain”.

“Sur la prévision de croissance on a une marge d’erreur de 0,2 (point), à la hausse comme à la baisse. C’est déjà une indication”, souligne-t-il. A chaque fois que l’Insee publie une nouvelle estimation, elle revient sur celle de la période précédente pour la confronter à l’évolution réelle de l’économie.

“Notre neutralité ne fait pas de doute”, veut croire M. Audenis. La publication de ses prochaines prévisions a été repoussée de deux semaines, au 3 avril, pour ne pas interférer avec les élections municipales.