Il y a 9 mois, il apprenait qu’il avait été nommé ministre du Tourisme dans le gouvernement d’Ali Larayedh après avoir fait un bref passage par la CTN (Compagnie tunisienne de navigation). Au terme de son exercice, et à la veille de l’annonce du gouvernement Jomaa attendu pour la première semaine de janvier 2014, il est important de faire le point sur le bilan de Jamel Gamra.
Ce dernier a certes apporté un peu de sérénité dans les rapports tendus entre les professionnels et leur administration, mais il est loin d’avoir réussi à remobiliser toutes les forces autour du secteur ni à poser les jalons d’une révolution touristique qui ne vient toujours pas.
Retour sur un parcours sans grosses vagues ni ambitions.
Il est affable, courtois et souriant. On le dit indépendant mais reste tout de même assez proche du giron Larayedh et du clan sahélien. Si son futur ex-chef de gouvernement, Ali Larayedh, avait la lourde tâche de sortir le pays de sa pire crise politique depuis la révolution de janvier 2011, Jamel Gamra est resté prudent. Il n’a pas promis de sortir le tourisme de son marasme. Inutile, il n’aurait pas pu!
Gamra s’est juste contenté de promettre de sauver la saison 2013 et d’œuvrer pour la sécurité et la promotion du secteur. Travailler à améliorer la qualité et orchestrer les efforts pour le nettoyage de l’environnement des villes touristiques faisaient aussi partie de ses objectifs. Il n’y est pas plus parvenu.
Il est certes difficile d’évoluer dans un contexte de transition démocratique et de gérer une destination où l’on perpétue des assassinats politiques mais où l’on avorte, fort heureusement, un attentat contre un hôtel dans la ville de Sousse.
Il ne fait aucun doute que Jamel Gamra est un homme aussi chanceux que la destination qu’il vante. Alors qu’il était en voyage lors de la crise du «Dar Djerba» et durant l’incident du «Riadh Palms», il s’est avéré qu’il gère mal les crises et ne sait pas outiller ses équipes et structures sous tutelle pour y parvenir.
S’il est incontestable que le ministre a visité un bon paquet de pays -il a effectué une quinzaine de déplacements internationaux jusqu’en Afrique de l’Est, en Iran, en Gambie ou encore au Bahreïn-, son agenda résumant l’année depuis mars 2013 est aussi rempli de rendez-vous avec les ambassadeurs accrédités dans notre pays, puisqu’il en a reçu plus d’une vingtaine. Une grosse partie de la destination reste toutefois rouge et fermée aux ressortissants de nombreux pays et pour cause!
Par contre, Jamel Gamra a assez peu visité les destinations locales puisqu’il n’a effectué qu’une douzaine de déplacements au Kef, Tozeur, Djerba, ou Sousse… Le ministre du Tourisme a incontestablement beaucoup voyagé pour vanter les mérites d’une destination sous perfusion. Il n’a pas forcément fourni beaucoup d’efforts pour persuader les régions touristiques en souffrances à tenir le coup.
Il n’a hélas pas non plus, et selon son agenda et de nombreuses critiques, mis le cap sur les régions défavorisées, berceau de la révolution, pour rassurer qu’elles ne sont pas oubliées du tourisme. Colmater la fracture entre les régions était à un moment une urgence.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et d’autres enjeux ont pris le dessus. Qui parle encore d’un tourisme en gestation? Qui ose évoquer un tourisme plus culturel, vert, rural ou solidaire?
Jamel Gamra a-t-il réussi à défendre le tourisme au sein de son propre gouvernement? A-t-il réussi à se faire entendre de ses collègues de la Culture, de l’Intérieur, du Transports et autres départements ministériels? A-t-il réussi à mobiliser les régions, la profession et la société civile autour de la question? (Voir interview) A-t-il réussi à faire évoluer l’image de la destination? A-t-il réussi à solliciter de l’investissement? A-t-il mis le dossier empoisonnant de l’endettement du secteur sur la table? A-t-il visité ses écoles de formation et chercher à en améliorer le niveau?… Les questions pourraient être aussi interminables que les problèmes qui traversent le secteur.
Il y a 50 ans, la destination a misé sur le tourisme en développant des hôtels balnéaires. Depuis, par facilité, manque de ténacité et de vision, le modèle est arrivé à son terme et la destination s’est érodée. Le 14 janvier 2011 a alors frappé de plein fouet un secteur agonisant mais qui avait entamé une réflexion sur son devenir avec l’étude Roland Berger à l’orée 2016.
L’étude est alors adoptée par les différents ministres post-révolution, Jamel Gamra est le troisième, après Mehdi Haoues et Elyes Fakhfakh, et toujours pas de mise en place.
La stratégie ambitionnait 10 millions pour 2016, et au terme de cette année 2013, nous n’atteindrons même pas les 7 millions de touristes! Faut-il s’attendre à pire? 2014 est une année d’élections et celle-ci n’en sera que chahutée et difficile par le contexte politique et les diverses campagnes électorales.
Bien plus que de se demander si finalement la stratégie 2016 aurait des chances à être amorcée en 2015, il est important de se demander si elle ne serait plus désuète! Le monde change si vite!
Il est aussi primordial de se demander si un ministère du Tourisme serait maintenu dans le prochain gouvernement? N’est-il pas temps de faire une pause et réfléchir profondément à l’avenir du secteur? N’est-il pas temps d’arrêter de dilapider les ressources et le temps car, quand on n’avance pas, on recule? N’est-il pas judicieux d’arrêter de chercher à réinventer la roue quand les bonnes vieilles recettes sont bonnes et prêtes?…
On dit souvent que “Les esprits d’élite discutent des idées, les esprits moyens discutent des événements, les esprits médiocres discutent des personnes“. De quoi seulement discutons-nous pour rebâtir la destination?