Zone de libre-échange tuniso-turque : Un danger pour les entreprises tunisiennes?

wmc-homme-affaires-2013.jpgL’ANC a voté un accord de libre-échange en matière agricole et agroindustrielle avec la Turquie. On n’en voit pas le bien-fondé pour la Tunisie. Mais l’autre question est de savoir s’il s’agit d’un marchepied pour un partenariat pouvant être étendu à l’industrie? Et, celui-ci aurait des retombées plus significatives.

Il y a déjà plus de dix ans que la Turquie cherche à opérer une percée sur le marché tunisien en vue d’avoir une position dominante. Elle a tenté à plusieurs reprises à concrétiser une zone de libre-échange et l’offre turque a été repoussée, de manière systématique, avec une argumentation cohérente et conséquente. La Tunisie a plus à perdre qu’à y gagner.

Quels étaient les termes de cette problématique?

Le marché turc, un débouché intéressant?

La Turquie ne sera pas la vache à lait des exportations agricoles tunisiennes. La raison en est simple. Nos excédents d’huile, de dattes et d’agrumes, ainsi que de fruits de mer ne sont pas considérables. Nos marchés traditionnels ne sont pas saturés et notre intérêt nous dicte d’améliorer notre positionnement commercial sur ces mêmes sites.

Ainsi, notre objectif est de mieux valoriser ces exportations pour en améliorer les rentrées en devises. A titre d’exemple, le plan “huile 2009-2011“ dont on n’a pas eu l’évaluation à ce jour, prévoyait le conditionnement en bouteilles de verre de 10% des exportations. Ce seul effort de conditionnement devait assurer le doublement des recettes du secteur. Par conséquent, le pays allait vers une intégration de la chaîne de valeur de la filière exportatrice agricole mais non pas vers la recherche de nouveaux débouchés. A la suite de quoi, on pense que cette nouvelle zone de libre-échange ne rapportera pas gros à notre agriculture.

Le risque de fragilisation du secteur agricole

Il est de notoriété publique que la Turquie n’est pas une puissance agricole. Sa production, ni par la variété ni par la qualité, ne saurait menacer dans l’immédiat l’agriculture tunisienne. Les excédents agricoles turcs ne sont pas considérables. Le marché n’y est pas encore à un stade concurrentiel avancé. Les prix sur les produits agricoles sensibles ne sont pas hautement concurrentiels. Outre qu’en amont notre industrie des engrais est assez solide. Les niches d’appoint sur la conserverie alimentaire ou le lait conditionné ne constituent pas un danger commercial immédiat.

L’ennui est que ce partenariat peut saper quelques activités agricoles tunisiennes de manière rampante. Le secteur de l’élevage, qui attend de notre point de vue des mesures d’appui, pourrait souffrir à terme de cette zone de libre-échange. Si l’Etat tunisien acceptait de subventionner l’élevage, les petits exploitants se remettraient à produire et on dégagerait rapidement un relèvement de la production qui pourrait faire pression à la baisse sur les prix.

Le secteur aurait plus d’emploi et de chiffre outre que le consommateur paierait sa viande moins chère.

Pareil pour la production laitière qui attend des mesures de soutien et d’appui pour aller vers une compression de charges moyennant une contribution de l’Etat. Et là encore, on aurait le bénéfice de l’intégration sur cette filière.

Mais ces deux activités pourraient être frustrées de cet élan d’émancipation à cause des importations en provenance de Turquie. Nous pensons qu’à terme l’agriculture tunisienne pourrait rater un effort d’intégration. A ne pas prendre à la légère.

Le partenariat par la ruse?

Le libre-échange agricole, dans ses premières années, pourrait servir à réguler les tensions sur divers compartiments du marché agricole national. Prétextant de cela, les Turcs pourraient être tentés de l’étendre aux produits industriels. Or, en la matière, le danger pourrait être immédiat. La Turquie n’est ni une puissance industrielle, encore moins une puissance technologique, mais tout juste manufacturière. Cela veut dire qu’elle est notre compétiteur direct.

La Turquie possède une base économique nationale plus importante que la nôtre, sans plus. Cela lui a permis d’intégrer certaines filières manufacturières. Pas davantage. Elle peut par conséquent, en jouant de la taille de ses entreprises, concurrencer les entreprises locales sur leur marché propre contribuant à les asphyxier.

Le seul pays dans la région à avoir su intégrer la Turquie dans sa stratégie de développement est le Maroc. Ce dernier a profité de l’accord du cumul des taux de valeur ajoutée, combat mené et gagné par la Tunisie, pour s’approvisionner en Turquie, à bon marché, transformer le tout chez lui et exporter aux Etats-Unis.

C’est avec l’Amérique que le Maroc a initié un début de libre-échange* et il a maintenu la Turquie à l’écart, conscient du danger que cela pouvait lui occasionner. Ses entreprises s’en portent à merveille.

La Turquie pourrait être tentée de ruser pour aller d’une ZLE de l’agriculture vers l’industrie. A nous d’éviter le piège.

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