Tunisie – Marché financier : Les malheurs des actionnaires minoritaires

marches-financiers-2013.jpgUne banque tunisienne a attaqué l’association «Petits Porteurs» en justice… pour «terrorisme». Autre révélation faite au cours d’une table-ronde, organisée vendredi 12 avril 2013, par le Centre tunisien de gouvernance de l’entreprise (CTGE) de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) : un représentant des petits porteurs est venu dire dans une Assemblée générale des actionnaires d’une grande banque tunisienne que «jusqu’au jour d’aujourd’hui» il n’était détenteur d’aucune action !

Côté discours, les petits porteurs ou encore les actionnaires minoritaires sont «un pilier» du marché financier. Modérateur d’une table-ronde sur le thème «Les représentants des actionnaires minoritaires», organisée vendredi 12 avril 2013, par le Centre tunisien de gouvernance de l’entreprise (CTGE) de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), Ahmed Ben Jomaa, directeur général de Smart Asset Management, une société de gestion de portefeuille, souligne, dès le départ, que la caractéristique du marché financier dans les grands pays industrialisés réside dans l’importance prise par ces petits porteurs. «ils assurent l’appropriation du capital des entreprises par le plus grand nombre».

Hatem Logani, président de l’association «Petits Porteurs», insiste pour sa part sur le fait que les petits porteurs sont de nature à encourager l’émergence d’un véritable marché financier et à encourager donc l’investissement dans les valeurs mobilières; la contribution du marché financier n’est, en Tunisie, que de 5%: l’essentiel de la contribution est, on le devine, assuré par le secteur bancaire.

Dans le même ordre d’idées, Adel Grar, président de l’IFBT (Institut de Formation de la Bourse de Tunis), évoque la nécessité de garantir les droits des actionnaires minoritaires: «C’est comme en démocratie: la majorité se doit de respecter et de préserver les droits des minorités».

Récuser le Commissaire aux comptes

La réalité du terrain semble, cependant, être tout autre. Pour Rachid Tmar, expert-comptable, on ne peut occulter le fait que «les petits porteurs n’ont aucun droit», et se demande d’ailleurs jusqu’où l’expert-comptable peut aller pour défendre ces derniers.

Une anecdote? Pas du tout. Hatem Logani évoque le cas d’une banque de la place qui a attaqué son association en justice pour… «terrorisme».

Autre révélation faite au cours de cette table-ronde: un représentant des petits porteurs est venu dire dans une Assemblée générale des actionnaires d’une grande banque tunisienne que «jusqu’au jour d’aujourd’hui» il n’était détenteur d’aucune action! Est-ce normal ou logique? Non évidemment. C’est dire que tout ne va pas pour le mieux dans le vécu des Sociétés Anonymes tunisiennes. Et ce malgré les efforts accomplis pour accorder un meilleur statut aux petits porteurs. Même s’ils «n’interviennent pas dans la prise de décision, ne participent pas à la direction et n’influent pas sur l’objet social et la gestion».

Mais de quels droits bénéficient les petits porteurs en Tunisie? Ils bénéficient de trois types de droits et de prérogatives –théoriquement du moins. «Un droit d’accès aux informations, un droit de siéger aux Conseils d’administration ainsi que d’autres droits par “palier“, selon qu’ils possèdent au moins 3, 5 ou encore 10 voire 15% du capital», explique Fayçal Derbel, expert-comptable et président du CTGE. «Jusqu’à demander au juge d’annuler une décision ou de récuser le Commissaire aux comptes».

Mais il faut dire que la situation des petits porteurs va beaucoup dépendre des entreprises, qu’elles soient cotées ou non en Bourse. Dans les premières, la situation semble bien meilleure. «Lors des introductions en Bourse, l’existence d’un représentant des actionnaires minoritaires est d’ailleurs une exigence», affirme Salah Essayel, président du Conseil du Marché Financier (CMF). Qui n’a pas manqué de dire que les textes régissant le marché financier se doivent d’évoluer vers plus de transparence et une meilleure prise en compte des intérêts des actionnaires minoritaires.

«La clause de la majorité qualifiée»

Comment? Rached Fourati, expert-comptable, est venu avec deux propositions. La première? L’importance de la mise en place de «la clause majorité qualifiée» dans les Conseils d’administration. En clair: instituer un minimum de 60% ou 70%, voire plus («c’est à débattre») pour valider les votes. Histoire d’élargir la base des décisions. Et de sortir du concept d’une majorité, souvent relative à 51%, qui pratique aux yeux de certains somme toute une certaine exclusion.

Deuxième proposition : instituer un «Pacte d’actionnaires» qui peut étudier et officialiser la manière dont l’entreprise va gérer un ensemble de paramètres: choix des membres du Conseil d’administration, distribution des dividendes…

Mais qu’est-ce qui pose problème pour les petits porteurs dans les entreprises où ils sont actionnaires? Pour Fayçal Derbel, il y a la «désignation des administrateurs», la «fixation des jetons de présence» et la «distribution des dividendes».

Le président du CTGE ne cache pas que certaines Assemblées générales sont des «arènes d’affront» où sont pratiqués l’«humiliation», l’«insulte», l’«accusation», l’«outrage» et même le «coup de point».

Trois genres d’accusations sont proférés par les petits porteurs, selon Fayçal Derbel, à l’actionnaire de référence (majoritaire): «exclusion», «modicité des dividendes» et «légitimité et bien-fondé de décisions».

Une situation qui appelle à une belle réforme. Et Fayçal Derbel de faire pas moins de huit recommandations. Dont une refonte du Code des Sociétés Commerciales et la révision du statut d’administrateur.