Tunisie – Banque mondiale : Mme Murray explique pourquoi la BM conditionne son appui budgétaire pour 2013

Par : TAP

Eileen Murray, représentante résidente du bureau de Tunisie (Département Maghreb à la Banque mondiale) a déclaré dans une interview accordée à la TAP que “nous n’envisageons pas de financer le PARE 3 (programme d’appui à la relance économique) pour l’exercice 2013, tant que les réformes de 2012 n’ont pas été pleinement achevées”.

Elle a préconisé de booster le processus des réformes, dont le gouvernement tunisien est le chef de file, en tant que préalabre à une relance économique du pays, surtout en matière de simplifications administratives et d’inclusion sociale.

Il s’agit également de réaliser l’audit des banques publiques, promulguer la loi sur le partenariat public-privé, abaisser les prix des télecommunications, solutionner le problème des monopoles des entreprises publiques, mettre en oeuvre le programme de chèque employabilité…

A la question “Quelle est l’évaluation de la Banque mondiale des réformes déjà engagées par la Tunisie, au niveau du Programme d’appui à la relance économique en 2011 et 2012 (PARE 1 et 2)?”, Mme Murray a répondu: “nous avons apporté un appui budgétaire de 500 millions de dollars au premier gouvernement de transition, en juillet 2011, pour la réalisation du PARE 1, en vue de soutenir une dizaine de réformes emblématiques, marquant un changement par rapport à ce qui se passait sous Ben Ali, et notammant des changements rapides en matière d’accés à l’information au niveau de l’administration (devant concerner 9 ministères). Il s’agit d’un processus de simplification des procédures administratives et de mise en ligne de tous les documents de l’administration. Pour le moment, le processus a été lancé seulement, au niveau de l’INS, du ministère des Finances, des procédures de passation des marchés publics et de présentation du budget de l’Etat à l’avance, avant son approbation.

Pour ce qui est de 2011, des retards ont été enregistrés au niveau de la simplification administrative, qui prend du temps. A ce propos, les consultations n’ont pas été vraiment engagés avec le secteur privé pour connaître quelles simplifications administratives lui seraient utiles.

Il y a également le processus de redevabilité sociale, qui signifie que les utilisateurs de services publics ont le droit de donner leur avis sur la qualité et l’efficacité de ces prestations. Ce concept n’existait pas auparavant et sa mise en oeuvre enregistre des retards.

Le gouvernement a mis en oeuvre, avec notre assistance technique, un projet pilote pour connaître les appréciations des bénéficiaires des centres de santé de base, sur la qualité des services de santé. Ce processus n’a pas été institutionnalisé et n’a pas été appliqué dans toutes les régions du pays. Mais il y a un engagement de la part du gouvernement pour l’instaurer.

En 2012, nous avons financé un autre appui budgétaire de 500 M$, destiné au PARE 2 et appelé le gouvernement à mettre en oeuvre des réformes visant à promouvoir la croissance économique, favoriser l’inclusion sociale et encourager le secteur privé à jouer le rôle de levier du développement en Tunisie. Ceci nécessite la restructuration du secteur bancaire pour accroitre sa performance, le traitement du problème de la dette du secteur touristique et l’abaissement des prix des télecommunications pour que le secteur privé puisse bénéficier de prix plus avantageux.

Dans le secteur des télécoms, Tunisie Télécom détient toujours le monopole sur la connectivité internationale, du fait qu’elle contrôle toutes les stations d’atterrissement du pays.

Les retards constatés en 2012 concernent le projet de loi sur le partenariat public-privé, qui a été soumis à l’ANC en octobre 2012, et qui n’a pas encore été adopté.

Le programme en matière d’emploi n’a pas encore été concrétisé, en ce qui concerne la transformation du programme Amal en un programme de chèque employabilité, plus ciblé, destiné aux jeunes qui cherchent activement de l’emploi, contrairement au programme Amal qui était une subvention de chômage. Il y a deux chèques employabilité, une première subvention accordée aux jeunes qui trouvent un stage et d’une deuxième octroyée pour de la formation.

Nous souhaitons l’engagement de ces réformes avant d’envisager un autre appui budgétaire en 2013. Elles concernent la simplification des procédures administratives, l’audit des banques qui devrait être terminé et la mise en place d’une structure qui traiterait de la dette des unités hôtelières et de l’assainissement du secteur touristique.

Il y a des grands chantiers qui conditionnent la mise en place du PARE 3, dont l’élaboration d’un nouveau code d’investissement ou la dichotomie entre l’on-shore et l’off-shore serait réduite, surtout au niveau de la fiscalité ainsi que la promulgation d’une nouvelle loi sur la concurrence et d’une nouvelle loi sur la faillite, en vue de promouvoir l’entrepreneuriat. En effet, les délais du processus de faillite sont actuellement, trés longs et empêchent les banques de prendre plus de risques pour financer les PME”.

Alors qu’est-ce qui est en cours de négociations, pour le PARE 3 ?

Eileen Murray: Il n’y a rien en cours de négociation en ce moment, nous n’avons pas encore commencé. Le PARE 3 devrait être une continuation du PARE 2, il financerait le code de l’investissement ainsi que des réformes beaucoup plus profondes comme la loi sur la concurrence qui spécifie comment traiter le problème des monopoles, mais aussi définir le rôle des entreprises publiques dans la concurrence. C’est pour cela qu’il y a une nouvelle loi en chantier, que nous essayons de faire avancer avec le gouvernement.

Mais, il s’agit là de questions sensibles, c’est le gouvernement qui pilote toutes les réformes et qui est responsable de leur réalisation, la Banque Mondiale apporte une assistance technique et présente les meilleures pratiques internationales, notamment celles des pays de l’Europe de l’Est.

Le gouvernement est de manière générale trés ouvert et montre une volonté de lancer des réformes qui sont trés difficiles pour stimuler l’investissement, attirer le secteur privé, promouvoir l’emploi, résoudre les problèmes dans les zones défavorisées, s’assurer que les femmes et les jeunes jouent leur rôle à part entière, dans le développement économique et social du pays…

Qu’en est-il de la réforme du secteur bancaire ?

Eileen Murray: L’audit des trois banques publiques (STB-BNA-BH) a accusé du retard depuis 6 mois, le dossier a été soumis à la commission supérieure des marchés, le 5 avril courant. Il semblerait que les 3 contrats d’audit soient signés avec les auditeurs, début mai. C’est alors que commencera l’opération d’audit, ce qui veut dire que le processus va encore prendre au moins six mois, pour l’élaboration d’un plan d’action sur les moyens de restructurer et de recapitaliser les banques publiques. Et il ne s’agit là que de préalables qui doivent être entrepris, pour qu’il y ait, un déclic au niveau de l’économie tunisienne et que le secteur privé commence à bouger et à investir…

Pourquoi, à votre avis, les réformes prennent du retard?

Eileen Murray: C’est dû à la conjoncture actuelle, aux retards enregistrés au niveau des ministères, à la période de formation du nouveau gouvernement de transition.

De plus, il s’agit de réformes difficiles et il y a un processus de consensus à trouver, ce qui prend du temps.

Pour ce qui est de la redevabilité sociale, c’est un nouveau concept qui n’a pas du tout été entériné, car il nécessite un changement des mentalités pour la Tunisie. C’est un concept anglo- saxon, dont la mise en oeuvre prend du temps. L’ensemble de ces facteurs est à l’origine des retards enregistrés et bien sûr, la conjoncture sociale n’est pas propice à l’accélération des réformes.

En plus, les ministères doivent se concerter un peu plus entre- eux. Il faut instaurer des synergies pour que ces réformes aboutissent vraiment à un impact maximal (par exemple entre l’emploi et le secteur privé, les finances, l’éducation…). Ces réformes ne peuvent être faites par chaque ministère à part, si nous voulons vraiment, capitaliser au maximum les changements préconisés.

Est-ce que l’enveloppe de la BM a été complétement utilisée au niveau des PARE 1 et 2?

Eileen Murray: Effectivement, les financements ont été totalement utilisés. La Banque mondiale joue vraiment un rôle moteur au niveau de la coordination avec les bailleurs de fonds. Notre implication attire aussi, d’autres financements d’institutions financières internationales.

Pour le PARE 1, outre l’enveloppe de la Banque, nous avons réussi à apporter des financements de l’ordre de 800 millions de dollars additionnels (500 M$ de la BAD, 200 M$ de l’UE et 100 M$ de l’AFD). La BM apporte des approches pilotes innovatrices en matière de développement.

Elle a un engagement d’environ 500 M$ dans des projets d’investissement dans des secteurs trés spécifiques, tels que le développement rural, la gestion de déchets municipaux, l’enseignement supérieur, l’eau, l’assainissement, outre deux lignes de crédit pour l’efficacité energétique et pour les PME.

Nous avons aussi, depuis la révolution, apporté des financements de dons d’environ 40 M$ de la part du Japon et d’autres sources de dons. Ils sont destinés à des microprojets d’emploi pour les jeunes et les femmes dans les régions défavorisées, de développement communautaire ainsi qu’à des programmes de réintégration de travailleurs revenant de Libye..

Où en est l’étude que réalise la BM sur le système de compensation en Tunisie?

Eileen Murray: Selon cette étude, près de 70% des subventions énergétiques vont aux populations riches, soit aux 20% qui perçoivent les plus hauts revenus. Par contre, moins de 5% des subventions vont aux 20% des populations percevant les plus bas revenus. Je veux dire clairement que c’est l’Etat tunisien qui pilote les réformes sur les subventions, ce n’est pas la BM.

Nous avons été sollicités par le gouvernement pour apporter une assistance technique sur les réformes devant être introduites au niveau de la caisse de compensation et présenter les meilleures pratiques internationales dans ce domaine. Quand de telles compensations sont réduites ou quasiment éliminées, surtout les subventions sur les carburants qui sont les plus conséquentes, il faut qu’il y ait un filet de sécurité sociale qui soit performant et des financements additionnels destinés aux familles autour ou en-dessous, du seuil de pauvreté.

La BM est en train d’apporter ses conseils pour que le filet de sécurité social soit bien ciblé et que les transferts soient effectués de manière efficace, rapide et transparente. La Banque fournit de l’assistance technique au niveau du ciblage des subventions dans le secteur energétique, et étudie aussi, avec le gouvernement, plusieurs programmes sociaux, tels que le programme de la CNAM, les subventions pour les services de santé, les caisses de retraite.. dans l’objectif d’intégrer les divers mécanismes de sécurité sociale, dans un même système.

Nous sommes encore, au stade de l’étude, nous procédons au recensement des personnes pauvres et vulnérables et réalisons un travail d’uniformisation des programmes sociaux. Les transferts sociaux sont effectués, en Tunisie, à 120 mille familles, mais il y a un problème de ciblage, puisqu’il y a des familles qui bénéficient de ces transferts, alors qu’elles ne sont pas nécessairement des plus pauvres, mais cela est avéré partout dans tous les pays du monde. Le ciblage est trés difficile et doit être effectué de manière systèmatique, parce que les familles qui sont autour du seuil de pauvreté, peuvent sortir de la pauvreté, d’où l’importance d’avoir des assistants sociaux pour faire des vérifications de ciblage.

Cette étude sur la compensation est financée par le fonds de transition, mis en place par les pays participant au partenariat de Deauville pour les pays du printemps arabe.

WMC/TAP