Médias tunisiens (2/2) : Un paysage qui se doit d’être revu et corrigé

 

presse-snjt-2013.jpgNous avons vu dans un précédent article brossé un constat concernant les problèmes de financement du paysage médiatique tunisien. A travers la disparition de certains journaux tunisiens nés après le 14 janvier 2011, le difficile démarrage de la plupart des chaînes de télévision autorisées et des problèmes des radios en vue d’honorer leur facture ONT. Nous expliquons, dans cette deuxième partie, pourquoi les médias doivent s’engager sur une autre voie : celle de la logique de marché. Une logique qui veut que l’on prévoie aussi des mécanismes pour les aider à se développer.

Quel est le profil type du patron de presse tunisien? Inutile d’engager des enquêtes et de réaliser des travaux de recherches scientifiques pour le savoir. Il s’agit d’un journaliste, d’un animateur ou encore d’un producteur qui tente l’expérience de lancer un média.

A une ou deux expériences près, ce promoteur n’a pas bien imaginé son produit ni étudié suffisamment son marché en usant de grilles d’analyse comme le SWOT (Forces, Faiblesses, Opportunités, Risque). Ni, donc, véritable étude de marché, ni encore business plan (un plan d’affaires) ni encore modèle économique (comment va-t-il gagner de l’argent?). La plupart des entrepreneurs médias n’ont, par ailleurs, jamais touché à la gestion. Ne savent pas ce qu’est une comptabilité, ce que sont les coûts et les recettes d’une entreprise de presse …

Plus encore, peu de promoteurs ont prévu un fonds de roulement pour pouvoir résister un certain temps (trois à six mois ou peut-être plus) faute de ressources en cette période de démarrage. Ce qui veut dire qu’il navigue à vue. C’est également souvent jouer à colin-maillard.

Un capital de 10.000 dinars

Ajoutons, et quelquefois, à cela une faible capitalisation des projets. Un hebdomadaire, aujourd’hui disparu, est né avec un capital de… 10 mille dinars.

Et s’il est vrai que cela était possible il y a une trentaine ou encore une vingtaine d’années, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le marché a totalement changé. Et la seule volonté de lancer un média n’est plus suffisante.

On évoque ici et là que les médias tunisiens n’ont jamais adhéré à une logique industrielle. On donne pour cela pour preuve qu’aucun média tunisien n’a adhéré aux programmes de mise à niveau industrielle ou des services engagés par l’Etat pour améliorer le fonctionnement des entreprises tunisiennes.

Le marché ne manque pas déjà d’handicaps. Trois éléments le caractérisent. D’abord, son exiguïté: faible taille de la population (près de 11 millions d’habitants), faible revenu (un revenu moyen par an de 6.200) et faible consommation des médias (2% de la consommation des ménages sont réservés aux produits dits culturels et de divertissement qui incluent les médias contre près de 9% en France, par exemple).

Autre handicap structurel des médias tunisiens: la faiblesse des ressources de la publicité. Tout le marché de la publicité a fait, en 2012, à en croire les chiffres avancés par le cabinet Sigma conseils, un chiffre d’affaires de quelque 183 millions de dinars. Le plus faible des pays d’Afrique du Nord (1.779 millions de dinars en Egypte, 1.268 au Maroc et 254 millions en Algérie).

Une autre forme de concentration, celle des annonceurs

Un marché publicitaire qui est marqué, un tant soit peu, par une certaine concentration: les dix quotidiens tunisiens raflent pas moins de 69% de la manne publicitaire. Rien d’étonnant dans ces conditions que les médias écrits –et pas seulement eux- pratiquent des remises qui arrivent jusqu’à 50%. Ce qui fait dire à des spécialistes que les 183 millions de dinars constituent un chiffre théorique.

Sans oublier que le marché est caractérisé par une autre forme de concentration: celle des annonceurs. En effet, bon an mal an, près d’une dizaine d’annonceurs font l’essentiel du chiffre d’affaires de la publicité. D’aucuns pensent, à ce propos, que de nombreux opérateurs économiques et associatifs sont capables d’apporter leur eau au moulin des recettes publicitaires qui sont bien en deçà des possibilités que peut offrir le marché. Même si tout le monde pense que, par les temps qui courent et en raison de l’instabilité politique et la crise économique que connaît le pays, la propension à faire de la publicité est des plus faibles.

A cela, il faudra ajouter le fonctionnement et l’organisation du marché. La publication des décrets-lois n°115 et 116 du 4 novembre 2011 a nourri bien des espoirs en engageant une première réforme du secteur médiatique. Mais, les choses mettent bien du temps à se mettre en place. A l’image de cette HAICA (Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle) qui pourrait créer une dynamique dans le marché de l’audiovisuel.

On ne le répétera pas assez : la mise en place de structures de type coopératif entre les différents opérateurs et intervenants du secteur des médias (médias, annonceurs et publicitaires) comme un Conseil de presse (pour assure une meilleure pratique des métiers), un organisme de régulation publicitaire (pour respecter la déontologie publicitaire) un office de justification de la diffusion (pour authentifier les chiffres de ventes), un institut de mesure d’audience (pour calculer les audiences)… est capable de mieux encadrer le marché.

Un statut pour la presse électronique

Reste que l’Etat a, comme dans toute démocratie, la responsabilité d’aider les médias aussi bien écrits, électroniques qu’audiovisuels. Ainsi, beaucoup appellent aujourd’hui à ce que les aides de l’Etat soient revues et corrigées en élargissant leur champ. Cela y va de la survie de nombreux supports qui sont le garant d’un pluralisme des opinions sans lequel la démocratie n’a pas de réels moyens de se développer.

Et sur ce terrain, les aides de l’Etat se conjuguent souvent avec imagination. Ainsi, de nombreux pays, et en vue d’aider la presse écrite à renouveler son lectorat, ont prévu des aides aux journaux en vue, par exemple, d’abonner gratuitement les jeunes.

Autres aides, celles qui concernent, toujours au chapitre de la presse écrite, les journaux qui ne bénéficient pas de ressources publicitaires, les publications qui modernisent leur outil de production, les journaux qui distribuent à l’étranger…

Les aides aux radios et aux télévisions ne manquent pas : aides pour l’installation, pour l’acquisition d’équipement, aides pour l’exploitation pour les radios locales, aides pour l’innovation pour les télévisions, aides pour les télévisions qui font appel aux technologies nouvelles…

Une bonne partie des démocraties occidentales a prévu, en outre, une aide pour la presse électronique qui bénéficie d’un statut comme c’est le cas pour la presse écrite et l’audiovisuel. Ce qui n’est pas le cas en Tunisie. Même si les journalistes électroniques peuvent bénéficier de la carte de presse nationale.

Cette aide est accessible en effet aux journaux qui respectent un ensemble de critères : actualisation des contenus, contenus non commerciaux, fonctionnement proche de celui qui a cours dans les rédactions de la presse écrite et audiovisuelle, existence d’une rédaction…

On pourra dire que la Tunisie n’est pas la France ou la Belgique ou encore l’Allemagne. Mais n’y a-t-il pas un début à tout?