En Roumanie, le russe Mechel porte un nouveau coup à la sidérurgie européenne

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é de Braila du groupe Mechel, le 1er mars 2013, en Roumanie (Photo : Daniel Mihailescu)

[05/03/2013 08:21:02] BRAILA (Roumanie) (AFP) Après Florange en France, Liège en Belgique, la sidérurgie européenne souffre d’une nouvelle plaie ouverte: en Roumanie, la vente expéditive par le géant russe de l’acier Mechel de cinq unités pour 52 euros à une société quasi inconnue menace des milliers d’emplois.

Mechel, détenu par l’homme d’affaires russe Igor Ziouzine, a vendu cinq usines réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 850 millions d’euros à Invest Nikarom, société déficitaire spécialisée dans le commerce d’équipements qui compte à peine trois salariés et un chiffre d’affaires de 340.000 euros.

“Un petit poisson d’aquarium avale une baleine”, a dénoncé le quotidien roumain Adevarul.

Les quelque 4.000 salariés ont appris la vente par la presse.

Il y deux mois, le Parlement européen invitait la Commission à surveiller de près l’évolution d’usines sidérurgiques menacées en Europe dont les cinq du groupe Mechel, à Braila (est), Campia Turzii (nord-ouest), Buzau, Otelul Rosu et Targoviste (centre).

La production sidérurgique roumaine a chuté de cinq à trois millions de tonnes entre 2008 et 2012. 10.000 emplois ont disparu.

Même si les usines Mechel en Roumanie, dont la production est suspendue depuis décembre, accumulaient des pertes de dizaines de millions d’euros, “la transaction soulève des questions car la société Nikarom n’a pas la puissance financière pour faire repartir ces combinats”, souligne le quotidien économique Ziarul Financiar.

Flou sur l’avenir

Les annonces du ministre de l’Economie roumain, Varujan Vosganian, indiquant que Nikarom compte faire repartir l’activité le 10 mars à Targoviste et Buzau n’ont pas réussi à rassurer.

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ésentant syndical à Braila, le 1er mars 2013, en Roumanie (Photo : Daniel Mihailescu)

D’autant que le flou demeure sur le sort de Campia Turzii et Braila, déjà rongées par des vagues de licenciements.

“Nous craignons qu’Invest Nikarom soit un paravent qui permette à Mechel de licencier à la pelle puis de démembrer les usines pour vendre de la ferraille comme ils ont commencé à le faire sans assumer aucune responsabilité sociale”, indique à l’AFP Constantin Iarca, chef de file du syndicat Metal 94 au laminoir de Braila.

Invest Nikarom est contrôlé par Viktor et Svetalana Chumakov, les parents de la représentante de Mechel en Roumanie.

Malgré de nombreuses relances, ils n’ont pas répondu aux questions de l’AFP.

A Braila, un laminoir qui a livré dans le monde entier des produits métallurgiques de pointe pour les chantiers navals depuis 1920, ne compte plus que 380 employés contre 600 en 2011.

“Comment je me sens? Comme un homme qui craint de perdre l’emploi qu’il a depuis 33 ans et qui ne sait pas de quoi sera fait demain. A 55 ans qui voudra m’engager?”, confie à l’AFP Gheorghe Serbanescu, un ouvrier qui s’inquiète de ne plus pouvoir payer les études de sa fille.

Son collègue Victor Mazilu, 56 ans, entré lui aussi au laminoir en 1980, partage la même angoisse.

“On ne touche pas nos salaires à temps alors que les échéances des prêts, les factures de chauffage ne peuvent pas attendre”, souligne-t-il.

L’entretien se fait dans un café, la direction refusant l’accès aux locaux syndicaux.

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abandon sur le site de Braila , le 1er mars 2013, en Roumanie (Photo : Daniel Mihailescu)

De Braila à Campia Turzii, syndicats et salariés dénoncent une volonté de Mechel de “couler” les usines.

“Nous pouvions être rentables mais Mechel a fait porter les pertes sur le laminoir: les matières premières étaient achetées à une filiale, Mechel Services, à un prix plus élevé que sur le marché puis ce que nous produisions était acheté par une autre filiale de Mechel, Mechel Trading, à un prix sous évalué avant d’être revendu”, dénonce M. Iarca.

“Nous sommes abandonnés. En France, les ministres, le président ont essayé de faire pression sur Mittal, pas ici”, dit M. Mazilu.

“La préfecture, le maire, les responsables politiques répondent que c’est une affaire privée”, regrette M. Serbanescu.

Une réponse également donnée par le Premier ministre social-démocrate, Victor Ponta.

Pour M. Iarca, les autorités devraient toutefois vérifier le respect des contrats de privatisation, signés avec des promesses mirifiques dans les années 2000 mais aussi sanctionner les violations des obligations sociales comme le droit à l’information des salariés.

Malgré le chômage technique, M. Serbanescu se rend tous les jours au laminoir: “c’est plus fort que moi, il faut que j’y aille. J’espère qu’un investisseur sérieux viendra car nous sommes prêts à travailler”.