Tunisie – SheratonGate : Olfa Riahi ne serait pas journaliste ! Et puis après?


olfa_riyahi-21012013-art.jpgPeut-on
interdire à un non journaliste de faire du journalisme? La question mérite
d’autant plus d’être posée que certains tentent d’utiliser la non-identité de
journaliste d’Olfa Riahi comme argument pour discréditer la bloggeuse. Mais
qu’est-ce qu’un journaliste ? Il n’y a pas de définition qui tienne vraiment la
route!

Y a-t-il un quelconque mal à ce qu’Olfa Riahi, la bloggeuse qui a fait éclater
l’affaire du «SheratonGate», ne soit pas journaliste? La question mérite
d’autant plus d’être posée que le fait de ne pas être journaliste semble avoir
été utilisé pour tenter de discréditer la blogueuse. Le discours entretenu à
l’occasion semble vouloir faire planer un quelconque soupçon –voire des
soupçons- sur l’action entreprise par la blogueuse (avoir réalisé un travail de
journalisme investigation) du fait que celle-ci n’est pas journaliste. Comme si
on voulait créer une relation de cause à effet entre l’identité de la blogueuse,
ou sa non-identité, et ses faits et gestes concernant cette affaire! Pour dire
sans doute qu’une blogueuse n’avait pas le droit de fourrer le nez dans une
opération dite de journalisme d’investigation.

Ce discours est-il logique? La réponse est non. Parce qu’il comporte de
nombreuses erreurs de jugements qui ne se vérifient pas donc sur le terrain de
la pratique du journalisme aujourd’hui, notamment depuis l’incursion de
l’Internet dans le champ de la presse.

Pour s’en assurer, il faut revenir à la définition du mot journaliste. Qu’est-ce
qu’un journaliste? Une riche littérature professionnelle nous apporte des
définitions. La plus connue est celle-ci: celui qui écrit dans un journal. Une
définition aussi vielle que la profession journalistique qui a connu son essor
au XIX siècle, lorsque les premières gazettes ont pris corps sur le Vieux
continent (en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, en Hollande…) et aux
Etats-Unis qui constituent un grand laboratoire dans le domaine des médias à la
fois au niveau des contenus qu’à celui des techniques de diffusion.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Avec le développement de la
société de la communication nourrie notamment par l’extraordinaire développement
technologique qui a favorisé une réelle convergence des médias (grosso modo
l’association entre le téléphone, l’Internet et la télévision), les définitions
sont devenues incomplètes puisque ne recensant plus les différentes facettes des
métiers des médias.

«Journaliste free lance» et «journaliste consultant»

D’autant plus que la profession recouvre des statuts multiples: journaliste à
plein temps, journaliste «pigiste» (payé à la pige, soit à l’article),
journaliste «free lance» (sorte de travailleur indépendant à la fois
entrepreneur, propriétaire (de ses moyens de production) et son propre employé
et «journaliste consultant», journaliste spécialisé dans l’analyse des
événements souvent un spécialiste d’un champ de la connaissance: politique,
économie, sport… Les exemples les plus connus dans ces domaines sont les
journalistes français Alexander Adler et Christian Malard, historiens
spécialistes des relations internationales; un confrère américain dit qu’ils
connaissent en matière de géopolitique autant sinon plus que des ministres des
Affaires étrangères.

Une réalité tellement complexe qu’aucune définition sérieuse ne peut décrire une
profession aux multiples facettes. Seule pour l’heure une définition est plus ou
moins adoptée. Il s’agit de celle qu’introduisent les lois qui essayent de
mettre de l’ordre dans le paysage médiatique notamment de la presse écrite et à
l’endroit de ceux qui peuvent détenir une carte de presse. Comme les Codes de la
presse ou encore les Codes du travail auxquels, il arrive qu’ils consacrent un
chapitre à la profession.

Ainsi et pour rester dans le cadre de la presse tunisienne, aussi bien le Codes
du travail de 1966 que le Code de la presse que la Tunisie indépendante ou non a
connus (1883, 1956, 1975 et 2011) ont discouru du statut de journaliste. Le
décret-loi n° 115 du 4 novembre 2011 définit le journaliste comme étant «toute
personne titulaire d’au moins une licence ou d’un diplôme équivalent et dont
l’activité consiste –pour l’essentiel- à collecter et à publier les informations
et les opinions et les porter à la connaissance du public, et ce d’une manière
permanente et régulière dans divers médias: écrits, audiovisuels et
électroniques» (Article 7).

Le même texte institue une carte de presse pour ce journaliste dit professionnel
et une commission ad hoc pour la délivrer (Article 8).

Une définition qui est contredite par les faits. Doit-on avoir en effet une
carte de presse pour pouvoir être journaliste et exercer cette profession?
Doit-on, par ailleurs, être payé à plein temps pour être considéré comme un
chevalier de la plume?

Nous y reviendrons

Prochain article : Tunisie – SheratonGate : Les journalistes n’ont plus
l’apanage du journalisme