Tunisie – Economie : Minimiser le coût social de la reprise

cout-050912.jpgUn leadership visionnaire doit pouvoir rétablir la visibilité. Un véritable casse-tête. Faut-il pour autant se résigner à quelques expédients de relance timide de l’économie? Ce n’est pas assez. Ajouter que cette méthode nous expose à un creusement des déficits ainsi qu’à une dégradation des comptes extérieurs. Le coût social à supporter par le contribuable pourrait être élevé.

Dans un propos récent, Mohamed Haddar, président de l’ASECTU (Association des économistes tunisiens), a évoqué ses appréhensions quant à la politique de relance entamée par le gouvernement. Il n’y voit pas une riposte adéquate à faire repartir l’économie.

Quels sont les termes de sa lecture du contexte actuel?

Une nouvelle dynamique de la croissance : éviter les recettes antiéconomiques

Mohamed Haddar ne voit pas dans la loi de finances complémentaire (LFC) ni même dans le «programme de travail gouvernemental» les ingrédients qui pourraient enclencher une croissance soutenue et durable. Il est vrai, rappelle le professeur, avec pédagogie, que le changement de modèle économique est une réforme de fond qui demande des années. La création d’emplois, l’éradication de l’exclusion, la réduction des inégalités et enfin l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs, c’est une œuvre de longue haleine. Rien n’indique une telle projection dans l’avenir. Pis encore, le recours à des expédients par des mesures d’urgence sociale est un procédé peu recommandé. Persister dans une «incohérence» de gouvernance publique nous éloignerait de cet horizon de prospérité.

En effet, cela ne fait qu’attiser les déséquilibres. Ajouter que l’on ne voit pas de résultats probants en matière de sécurité, ni de paix sociale et de retour de la confiance. La responsabilité de faciliter, inciter et soutenir le système revient à l’Etat. En revanche, quand l’Etat s’embourbe dans une situation d’inefficacité et que les opérateurs observent qu’il entrave et empêche, cela ne fait que compliquer la donne.

De quoi se nourrit l’inquiétude de Mohamed Haddar?

Un Etat économe, c’est possible!

Le non dit des propos du professeur, c’est que le gouvernement se livre à une entreprise de séduction de l’opinion. Dans un climat de transition, il est risqué de jouer de manière «procyclique», prévient-il. C’est artificiel, contreproductif et antiéconomique. Se mettre dans une perspective expansionniste, c’est faire fausse route, insinue, avec une certaine obstination, Mohamed Haddar. Il faut se serrer la ceinture. L’Etat doit renouer avec une certaine abstinence. Tant pis si ce choix peut fâcher certaines couches de la population. Le creusement des déficits, tonne le professeur, va se prolonger. Il ne sert à rien d’allouer de la dette à subventionner les économiquement faibles à fond la Caisse. Aller plus vers la vérité des prix, quand bien même ce choix est impopulaire, est un acte de salubrité économique.

Les dérives du creusement des déficits

Mohamed Haddar s’inquiète du glissement des déficits. Avec la loi de finances complémentaire, on est à un déficit budgétaire de 6,6% contre à peine 1,3% en 2010. On peut fermer les yeux, au motif de circonstances exceptionnelles! Mais l’ennui est qu’on va vers des paliers plus importants, prévient-il. Le cadrage de la LFC autorise cette réflexion.

Les recettes budgétaires sont à mal. Les recettes fiscales sur une année 2011 avec un taux de croissance négatif de 1,85% seront moindres. Les produits de cession des biens confisqués inscrites à 1.200 MDT sont trop optimistes par rapport à une évaluation moyenne de 400 MDT. Et l’appoint des dons, 400 MDT contre 100 MDT habituellement, semble exagéré.

Les dépenses de manière mécanique vont augmenter. Avec plus de fonctionnaires, l’accord sur une augmentation des salaires ainsi que l’emballement des factures céréalières et pétrolières, l’impasse budgétaire sera amplifiée.

Cette aggravation quasi acquise du déficit budgétaire prend un certain relief avec la probable dérive de l’équilibre extérieur. Quoique lentement, les comptes extérieurs se dégradent. Le dinar cède du terrain face à l’euro à 1,99 ainsi que face au dollar à 1,60. Au 31 juillet 2012, le déficit extérieur était à 3.323 MDT soit 4,8% du PIB contre 3,6% pour la même période en 2011. Les réserves en devises sont sur la pente glissante. Elles couvraient 196 jours d’importation en 2009, puis 147 jours en 2010, plus que 113 en 2011 et enfin 102 jours au 30 juillet 2012 avec 10.262 MDT.

La dérive de la dette publique devient de ce fait probable. Devant le creusement des déficits jumeaux, le relèvement de l’endettement extérieur devient inéluctable. Il faut bien payer nos importations et garnir nos réserves de change, si on veut tenir.

Par ailleurs, le glissement de la dette publique s’observe à vue d’œil. De 40,5% en 2010, nous voilà à 44,5% en 2011 et 45,9% en 2012. La part de la dette extérieure augmente, passant de 58 à 60,5% de l’encours global.

La dérive inflationniste nous guette. La hausse des prix, la baisse du dinar, la hausse des importations sont à l’origine de cette poussée d’inflation. Il a bien fallu doubler les subventions directes via la Caisse Générale de Compensation (CGC) pour contenir l’inflation à 4% en 2011. Ne faut-il pas infléchir cette tendance?

Se soucier de la facture sociale, la note pourrait être «salée»

Vouloir contenir coûte que coûte la pression inflationniste par les subventions de la CGC, c’est cacher un problème par un autre. Il est vrai que les effets secondaires de la hausse des prix, s’ils nous entraînaient dans un effet de second tour avec l’installation d’une spirale inflationniste, seraient désastreux. Une allocation impropre des ressources budgétaires, pour contenir un emballement des déséquilibres, ne constitue pas une politique. Le recours aux expédients peut relever la facture sociale pour le contribuable. Ce n’est pas de cette façon que l’on ferait revenir la croissance.

Mezza voce, Mohamed Haddar laisse glisser qu’il ne faut pas que la transition tourne aux années de braise. Les prémisses du plan 1982-1986 se profilent en silence. A l’époque, la croissance était molle, à 4,3%, l’emploi ne progressait que de 3,4% et les salaires ont augmenté, se découplant de la productivité. In fine, c’est le FMI qui s’est invité, par la force des choses, pour «mettre de l’ordre». Autant faire le nécessaire, par nous-mêmes si on ne veut pas renouer avec ce scénario frisson.

La croissance c’est l’affaire du redémarrage de l’investissement. Et, pour relancer l’investissement, l’Etat doit s’engager, en premier. C’est là le bon bout du problème, suggère le professeur. On pourrait même soutenir, en appui à cette affirmation, que l’Etat est l’investisseur en premier ressort. Voilà, c’est dit.

A bon entendeur, salut!