Printemps arabe : Un remake de la «Grande révolte arabe» (1)?

 

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L’ancien patron du quotidien égyptien «Al Ahram» et ancien ministre de l’Information de Gamal Abdenasser, Mohamed Hassanein Heykel, voit dans l’agitation que connaît le monde arabe la mise en place d’un nouvel accord secret du type Sykes-Picot. Pour le spécialiste français du renseignement, «dès 2007-2008, des conférences organisées sous l’égide d’ONG américaines, et où étaient présents la plupart des blogueurs et des leaders de ces mouvements, ont instillé le germe de la démocratie, créant un contexte favorable aux révolutions». Thèses fantaisistes?

L’ancien patron du quotidien égyptien «Al Ahram» et ancien ministre de l’Information de Gamal Abdenasser, Mohamed Hassanein Heykel, voit dans l’agitation que connaît le monde arabe la mise en place d’un nouvel accord secret du type Sykes-Picot. Pour le spécialiste français du renseignement, «dès 2007-2008, des conférences organisées sous l’égide d’ONG américaines, et où étaient présents la plupart des blogueurs et des leaders de ces mouvements, ont instillé le germe de la démocratie, créant un contexte favorable aux révolutions». Thèses fantaisistes?

Et si le Printemps arabe n’était qu’un mensonge? La question ne pourra pas, sans doute, être évitée au regard de ce qui se déroule sous nos yeux dans de nombreux pays arabes comme la Syrie, l’Arabie Saoudite et le Bahreïn, pour ne citer que ces derniers, qui risquent –c’est déjà le cas en Syrie- d’être mis à feu et à sang.

La thèse du complot défendu par des analystes, comme le spécialiste du renseignement français Eric Dénécé, ou encore l’universitaire suisse d’origine égyptienne Taraq Ramdan, qui soutiennent que les révolutions arabes, qui ont éclaté, le 17 décembre 2011, ne sont pas aussi spontanées que cela, peut-elle être crédible? Certes, il y a ras-le-bol d’une grande partie de l’opinion arabe face à des régimes dictatoriaux, kleptomanes et corrompus, mais ces révolutions n’ont-elles pas été préparées de longue date de l’étranger? C’est-à-dire inscrites dans les agendas de quelques pays occidentaux dont les Etats-Unis d’Amérique… En vue d’assurer la domination politique de cet espace et de partager les richesses.

Créer un contexte favorable aux révolutions

Pour Eric Dénécé, «dès 2007-2008, des conférences organisées sous l’égide d’ONG américaines, comme Freedom House, l’International Republican Institute ou Canvas, et où étaient présents la plupart des blogueurs et des leaders de ces mouvements, ont instillé le germe de la démocratie, créant un contexte favorable aux révolutions. Le processus était le même que celui qui a précédé le démantèlement de l’Union soviétique, la Révolution serbe, la Révolution orange en Ukraine ou encore celle des Roses en Géorgie» (Voir, à ce propos, pour Eric Dénécé, «Les mouvements démocratiques arabes seraient des coups d’Etat masqués»).

Tariq Ramdan estime, pour sa part, que «des gens et des courants ont accompagné le processus de ces révolutions afin de les contrôler». Il évoque la même formation assurée par le Département d’Etat américain de «cyberactivistes arabes» «pendant 3 ans» à «l’agitprop.» (Voir notamment «Révolutions arabes: quand Tariq Ramadan franchit la ligne rouge». Lire l’article).

On connaît l’accueil réservé à cette thèse par de nombreux observateurs et intellectuels qui les trouvent souvent fantaisistes et lancées pour attirer l’attention sur leurs auteurs en mal de notoriété. Des thèses de mégalomanes, voire de contre-révolutionnaires qui minimisent la capacité des populations arabes à être maîtres de leur destin et qui accréditent la thèse permanente selon laquelle elles sont toujours manipulées de l’étranger.

L’histoire dira si les uns et les autres ont raison. Peut-être donnera-t-elle raison aux deux camps. Une autre manière de voir les choses consiste à se poser la question suivante et pour reprendre une formule largement connue: A qui profite le «crime»?

Les Britanniques «ne respectent pas leur foi, leur parole»

Cette question est posée à la lumière d’une récente réflexion d’un vieux routier de l’analyse de la politique arabe, l’ancien patron du quotidien égyptien Al Ahram et ancien ministre de l’Information de Gamal Abdenasser, Mohamed Hassanein Heykel, qui voit dans l’agitation que connaît le monde arabe la mise en place d’un nouvel accord secret du type Sykes-Picot.

Tout le monde connaît la nature des accords secret de Sykes-Picot, du nom de deux négociateurs britannique et français, qui ont créé, alors que la Première Guerre mondiale n’était pas encore terminée, le 16 mai 1916, des zones d’influence franco-britannique au Moyen-Orient «dépeçant» un Empire Ottoman mourant, allié de l’Allemagne pendant la Guerre. L’objectif était de diviser la Grande Syrie en quatre Etats (la Syrie, la Palestine, le Liban et la Jordanie), d’installer un Etat juif sur une partie de la Palestine (la déclaration du ministre Arthur James Balfour sur la création d’un «foyer national juif» en Palestine interviendra une année plus tard (le 2 novembre 1917)).

Les Britanniques avaient pris soin, depuis 1915, d’œuvrer pour faciliter l’exécution de ce plan en «fomentant» ce qu’on désigne comme étant «La grande révolte arabe». Celle-ci, dont le nom a été donné par les Britanniques «désigne la rébellion menée entre 1916 et 1918 par Hussein Ben Ali, chérif de La Mecque, afin de libérer la péninsule Arabique de l’Empire ottoman qui en occupait alors la plus grande partie. Inspiré de nationalisme arabe, le chérif de La Mecque voulait ainsi créer un État arabe –Hachémite- unifié allant d’Alep en Syrie à Aden au Yémen». Hussein Ben Ali est de la tribu des Hachémites, descendants du prophète Mohamed (SWS). (Voir l’Article de l’encyclopédie de Wikipédia sur ce sujet.)

Deux éléments sont, sans doute, à retenir de cette «Grande révolte arabe». Le premier: la Grande-Bretagne, principale puissance de l’époque, l’avait conduite de bout en bout grâce notamment au service d’un officier-espion britannique en mal d’aventure (Thomas Edward Laurence, le fameux Lawrence d’Arabie), qui est allé convaincre Hussein Ben Ali de s’engager dans la bataille lui promettant de constituer un grand royaume arabe au sortir de la Guerre contre les Ottomans. Le second: les Arabes –et même Lawrence- ont été roulés, pour ainsi dire, dans la farine: seul un territoire quasi désertique pour l’essentiel (la Transjordanie –La Jordanie actuelle), une infime partie de ce Royaume promis au chérif de La Mecque, échouera en définitive à un descendant de ce dernier, l’émir Abdallah.

Son autre fils, l’émir Fayçal, à qui échoit la Syrie, qu’il libère en mars 1920, est obligé de s’exiler en juillet 1920: les troupes françaises occupent, conformément aux accords secrets de Sykes-Picot, la Syrie. Les Britanniques lui offrent une porte de sortie: le Royaume d’Irak. Le règne des Hachémites ne dure pas longtemps en Irak: son petit-fils, Gazi 1er, est chassé par un coup d’Etat en juillet 1958. Ironie de l’histoire: les Britanniques ne s’opposeront même pas à son renversement par Abdulaziz Al Saoud, en 1924, qui le dépossédera du royaume du Hedjaz. Ce dernier, parti en 1902 à la conquête de la péninsule arabique, avait signé en 1915 un traité de protection avec les Britanniques. Perfide Albion. Ainsi s’exprimait un homme d’église français du nom de Jacques-Bénigne Bossuet, au XVIII siècle, pour dire que les Britanniques «ne respectent pas leur foi, leur parole».

Les Occidentaux ne sont-ils pas capables de rééditer leur coup?

Nous y reviendrons.