Libérer l’économie tunisienne des inefficacités liées à la gouvernance (2)

Par : Tallel

Repenser le rôle de l’Etat : créer de l’espace pour le secteur privé

economie-31072012-m.gifBien que la Tunisie ait engagé des réformes structurelles et de l’environnement des affaires, et libéralisé progressivement son économie, le gouvernement a conservé un contrôle étroit sur l’économie. Les réformes de la libéralisation ont progressivement réduit des barrières tarifaires et commerciales, privatisé environ 160 entreprises publiques, simplifié le régime fiscal et réduit les dettes publique et extérieure. La politique de promotion des exportations et les incitations à l’investissement (loi 72-38 sur le régime offshore, loi 93-120 sur le Code des investissements) ont attiré les IDE, stimulé les exportations et créé de la croissance et des emplois (Graphique 5).

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En 2008, la Tunisie a conclu avec l’UE un accord de libre-échange des produits manufacturiers et son économie était considérée relativement ouverte (Graphique 6).

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Toutefois, l’économie tunisienne est restée en grande partie centralisée, planifiée et contrôlée par l’administration. Les taux de change et les comptes de capitaux restent strictement contrôlés par la Banque centrale, même si des dérogations sont accordées aux activités exportatrices.

Le secteur public occupe une place essentielle dans tous les secteurs stratégiques de l’économie (comme par exemple l’énergie, le transport, les télécommunications, la pharmacie, la collecte et le commerce des produits alimentaires de base, etc.) et les prix des produits de base sont contrôlés par le gouvernement (qui représente le tiers de l’IPC). Les neuf plus grandes entreprises du pays (en termes de chiffres d’affaires) sont des entreprises d’Etat.

Il était obligatoire de respecter les plans et buts quinquennaux de l’ancien régime, notamment ceux énoncés par le Président (dans le programme présidentiel). Les «lourdeurs administratives des services publics» apparaissent dès lors comme le facteur le plus problématique pour les affaires, et les règlementations sont jugées relativement contraignantes (5- Rapport sur la compétitivité mondiale 2011-2012), ce qui rend la Tunisie moins compétitive.

Graphiques 5 et 6…

Le système bancaire a également joué un rôle clé dans la mise en œuvre de la politique gouvernementale, à travers les prêts aux entreprises publiques, mais a également été progressivement affecté par le comportement de recherche de rentes de l’entourage de l’ancien président. Les banques tunisiennes ont souffert de la faiblesse de gouvernance d’entreprise. Sous l’ancien régime, leurs décisions de prêts et leurs structures d’actionnariat étaient sujets aux interférences politiques.

De plus, les membres des conseils d’administration manquaient parfois de l’indépendance et leur nomination pouvait être influencé plus par leur position politique que par leur compétence. Certaines banques appartenaient soit directement, soit indirectement à l’entourage de l’ancien président. Selon les estimations, près de 7% des prêts bancaires étaient accordés à des sociétés aux mains de la famille de l’ancien président et son entourage. La plupart de ces prêts ne seront pas remboursés tant que les actifs n’auront pas été juridiquement établis.

En outre, l’impact économique de la révolution pourrait également compromettre la performance du secteur bancaire. Le système bancaire tunisien souffre d’un taux relativement élevé de PNP (13% à la fin de 2010) (Graphique 7), d’une insuffisance de provisions (58% à la fin de 2010), et d’une faiblesse du ratio des fonds propres (12,4%).

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Trois banques de l’Etat contrôlent environ un tiers du système bancaire tunisien (38,7 % de l’ensemble des actifs, 43,5% des prêts et 36,5 % de l’ensemble des dépôts à la fin de 2009), ce qui induit une baisse de la performance moyenne. Dans le passé, les banques publiques avaient initialement été créées en vue de soutenir le développement de secteurs spécifiques tels que le logement, l’agriculture, le tourisme et l’industrie. En 2001, ces banques publiques de développement ont été transformées par des fusions, à des banques universelles et ce suite à la loi sur le système bancaire universel.

Cependant, elles ont hérité tant de la tradition d’octroi de fonds à des secteurs spécifiques que des taux élevés de prêts non performants. Ceci est particulièrement vrai pour la STB, fusionnée avec la BNDT (Banque nationale de développement touristique), et qui continue d’être affectée par les PNP du secteur touristique. La part et le rôle significatifs des banques publiques dans l’actuel système montrent que le système bancaire tunisien est toujours sujet à l’ingérence des pouvoirs publics, ce qui affecte sensiblement sa performance.

La Tunisie est considérée avoir une liberté financière limitée, un système bancaire de petite taille et fragmenté, ce qui pénalise l’accès au crédit du secteur privé national, en élevant le coût du crédit. Ainsi, bien que les PME représentent plus de 80% des entreprises du pays, elles ne bénéficient que de 15% des prêts bancaires.

D’autre part, les prêts immobiliers représentaient 21% de l’ensemble des prêts en 2009, notamment des prêts-logements. Les prêts aux PME sont généralement consentis contre des garanties, sans évaluation de leurs potentiels d’affaires. Le manque de capacité des banques à évaluer les risques et potentiels des PME en matière d’affaires entrave leur accès aux financements et l’introduction d’innovations dans le secteur industriel tunisien. La gestion du soutien aux PME et de la microfinance incombaient principalement aux banques publiques, telles que la BFPME (Banque de financement des PME) et la Banque solidaire tunisienne (en charge du financement des microcrédits). L’ingérence politique dans le système de microcrédit a particulièrement été forte, ce qui a entravé son développement.

Le contrôle des principales activités économiques par le secteur public et la détention de nombreuses grandes entreprises par l’élite dirigeante ont accru le protectionnisme injustifié des secteurs clés et la concurrence déloyale sur le marché intérieur, entravant ainsi le développement du secteur privé. En dépit de l’amélioration impressionnante du classement de la Tunisie au «Doing Business» du Groupe de la Banque mondiale, du 80ème rang en 2006 (sur 175 pays) au 40ème en 2011 (sur 183 pays), ses impacts sur le développement du secteur privé national ont été limités.

Ces dernières années, la Tunisie a mis en œuvre des réformes importantes visant à améliorer le climat des affaires, à travers la simplification des procédures administratives et fiscales, la création et le renforcement du Conseil de la concurrence, la facilitation et l’adoption de mesures d’incitation à la création d’entreprises, et l’accès aux informations sur les opportunités d’affaires (le registre du commerce en ligne, etc.). Malgré ces réformes soutenues, les incitations successives et les mécanismes fiscaux mis en œuvre pour soutenir l’investissement privé, celui-ci est resté relativement limité, représentant moins de 60 % de l’ensemble des investissements et moins de 15 % du PIB. Notamment dans le secteur onshore, il est admis qu’il existe un écart significatif entre les règles et la pratique, ce qui laisse un pouvoir discrétionnaire aux administrations. Le fait que le ministère du Commerce serve de l’enquête sur les importations de produits sous surveillance pour de facto autoriser ou réglementer les importations, ou encore le manque de transparence dans l’attribution des quotas d’importation de véhicules (lesquels devaient en principe être supprimés après la conclusion de l’accord de libre-échange avec l’UE) aux revendeurs de véhicules (pour la plupart des membres de la famille de l’ancien président) sont quelques exemples palpables de l’abus de ce pouvoir discrétionnaire.

46% des entreprises tunisiennes enquêtées ont reporté une concurrence déloyale tandis que 40% d’entre elles ont déploré des comportements anticoncurrentiels. Bien que le secteur exportateur jouisse d’un climat des affaires relativement libre et compétitif le secteur privé national était pénalisé par la lourdeur des règlementations, par des contrôles de la part du secteur public et par des problèmes de gouvernance. La participation majoritaire d’investisseurs étrangers dans les sociétés tunisiennes n’est autorisée que sur accord du gouvernement, et seuls les Tunisiens (nationaux et majorité du capital) sont autorisés à exercer des activités de distribution sur le territoire tunisien.

Le recrutement de travailleurs étrangers est très restreint, tandis que la réglementation sur le change limite l’exposition du secteur privé national au marché mondial. Il y a lieu de souligner que très peu de sociétés sous régime offshore ont exploité l’opportunité qui leur est offerte de vendre une partie de leur production sur le marché intérieur. Vendre sur le marché intérieur les exposaient aux règlementations et administrations locales, y compris aux problèmes de gouvernance, contrairement aux activités offshore. Tant qu’elles se tenaient hors du marché intérieur, ces entreprises jouissaient d’un environnement des affaires relativement transparent.

Source : BAD