Tunisie : Libertés publiques, ça craint!

belkhamsa-150612-01.jpg«Encadrer» les artistes ne présage pas de lendemains qui chantent pour les libertés publiques. La dérive commence toujours par la mise à l’index, pour motif d’hérésie, de ces petits soldats de la liberté. Hélas, elle peut nous mettre sur la pente glissante de la mise au pas et de l’embrigadement. Bonjour les dégâts!

Le mystère est trop clair. Le timing des derniers événements n’est ni fortuit, car le déroulement des faits laisse croire à une coordination, ni innocent puisqu’il vise une cible précise. Et, encore moins national puisqu’on peut déceler son affiliation idéologique étant donné son parrainage par des formations politiques. Tout, donc, aurait été programmé? Sombre projet! N’est-ce pas que la synchronisation des événements qui surviennent simultanément en divers endroits du territoire donne à réfléchir. C’est comme si des forces, pas tout à fait occultes puisqu’elles tirent les marrons du feu, sonnaient la fin de cette récréation de la liberté présentée comme libertaire.

Le compte à rebours pour faucher les forces libres est déjà donné. En première ligne, les journalistes et les artistes, les seuls à disposer d’une marge de communication. L’espace public sera-t-il, de cette façon, retiré à tous ceux qui ont la possibilité de communiquer avec l’opinion publique et de perpétuer le débat libre et franc dans notre pays?

Le retour de l’inquisition, le syndrome «Galilée»

Une révolution «sainte» se serait-elle mise en route? Les motifs invoqués pour incriminer les artistes et constituer un «casus belli» abondent dans ce sens. Les modes de riposte adoptés peuvent donner à le penser, également. L’inquisition est aveugle. C’est un motif de bloc. Il suffit de l’agiter et tous les motifs deviennent recevables. On peut recourir à n’importe quel habillage et le résultat est garanti. L’atteinte au sacré est un chef d’inculpation fourre-tout. Peu importe si les œuvres incriminées ont failli ou pas.

L’interprétation subjective est difficile à cerner. On peut argumenter à l’infini. Cependant, il faut rappeler un principe de base: la liberté des artistes est intangible. Elle ne peut être muselée. Parce que si l’on accepte de la ligaturer, il sera facile d’aller vers la lobotomie. Et on connaît la suite. Galilée a fini sur le bûcher. Le plus dangereux, dans la situation actuelle, c’est que l’Etat a été mis hors circuit. Des forces politiques sont montées au créneau pour traiter la crise. C’est dangereux pour une démocratie encore en gestation. On a vu des forces politiques s’emparer de la gestion de la situation. On craindrait l’apparition d’un clergé car on voit se profiler un front politique pour parrainer la résolution de ce «conflit».

Le désaveu d’une œuvre artistique se fait par la voie de la critique et non par le bûcher. De toutes les réactions qui ont suivi la publication des BD du dessinateur danois, calomniant le Prophète, celle de Youssef Seddik a fait particulièrement tilt et a été la plus virulente. Le penseur tunisien, en résumé, accablait l’auteur des dessins infâmes de manquer de délicatesse.

Quoi de plus insultant pour l’intelligence humaine que l’accusation de barbarie. Voilà comment on traite un dépassement artistique. Par le tact car le recours à la violence met son auteur hors jeu.

L’unité nationale est en péril

Les hoquets de la démocratie, quand elle est en marche, sont une chose naturelle. Cependant, l’amoncellement de ces contreperformances devient inquiétant. Elles semblent pousser le processus hors-la-voie. Les déflagrations à répétition et les atteintes à l’autorité de l’Etat ainsi que le torpillage systématique des forces de liberté souillées par l’accusation du libertinage mettent en péril l’unité nationale. Détricoter le maillage national est un processus sans fin dont on se relève difficilement.

L’escalade dans l’étouffement des forces de liberté par toujours plus de violence menace la stabilité sociale. Banaliser la violence c’est la pérenniser! On chercherait à mettre le feu au pays que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Quand la violence s’installe, c’est un pari sur l’inconnu. L’ingratitude touche à son comble, en l’occurrence.

Les forces politiques qui ont retrouvé la liberté d’exister, et d’abord de s’exprimer grâce à la révolution, s’emploient maintenant à étouffer les mêmes forces qui ont donné leur sang pour la révolution. Quel retour de bâton! On joue gros, cependant. Que la transition démocratique trébuche en Tunisie et toutes les forces islamophobes, dans le monde, pourront saliver à l’infini. Liberté et démocratie, comme ils n’arrêtent pas de nous l’asséner, sont incompatibles avec l’islam. Nous serons dans une posture très difficile. On peut nous coller, sans la moindre précaution, l’étiquette de fanatisme et d’extrémisme politique. Il sera facile de nous étiqueter comme étant pas très fréquentable.

Il faut se méfier. Nous risquons de nous retrouver dans un tournant regrettable. Outre ces menaces extérieures qu’il ne faut pas prendre à la légère, demain toute initiative politique nouvelle, sur la scène nationale, se retrouvera dans un climat de suspicion, et cela ne sera pas sans empoisonner le climat général.