Tunisie – Immobilier : L’habitat social, le «joker»…

sprolos-210512.jpgDépanner les mal logés, un ciblage social avec de l’effet d’annonce. Faire repartir le secteur du bâtiment, une solution plus globale et moins politicienne !

Une enveloppe de 100 millions de dinars, pour construire 30.000 logements de type “habitat social“, c’est-à-dire pour les économiquement faibles, mal logés ou sans logis, avec un coût de 35.000 dinars tunisiens et des remboursements mensuels ne dépassant pas 100 dinars. Ce programme, quasiment d’urgence sociale, au vu des besoins de la population concernée, a tout l’air d’un package politique. Le programme a été longuement débattu, lors d’une journée d’étude, jeudi 17 courant. L’ennui est que le profilage du programme réduit son impact économique. Un programme qui aurait fait repartir le secteur dans son ensemble a-t-il manqué?

Evaporés les fameux 82%

Le plan de l’habitat social détruit une arme dont s’est longtemps servi l’ancien régime pour faire croire au succès de sa politique sociale. Les fameux 82% de Tunisiens propriétaires de leurs logements, révélation choc des campagnes de recensement fallacieuses de l’ancien régime, se volatilisent. Les revendications populaires, accentuées par les dernières inondations et des chutes de neige, ont révélé, au grand jour, le nombre élevé de citoyens mal logés dans notre pays.

Le mal logement accompagne la pauvreté avec ses mêmes particularités. C’est-à-dire que l’on peut être mal logé, même en dehors des zones défavorisées, donc dans des régions bien nanties, ce qui est le cas de certaines ceintures urbaines à proximité de grandes villes prospères.

Le boom de l’immobilier qui a servi de façade, et qui a fait l’objet de l’exploitation politicienne que l’on connaît, comportait un certain aspect de bulle. L’immobilier de haut standing servait à thésauriser, aspirant des sommes qui auraient été allouées à l’investissement productif. La situation a contribué à ancrer la spéculation immobilière et à pénaliser les salariés qui paient un prix au mètre carré de plus en plus cher et qui ne fléchit même pas en temps de crise. L’ennui est que cet effet de façade cachait la dure réalité des citoyens vivant dans la précarité et vivant dans des conditions de logement critiques.

Un programme, des contraintes nombreuses

La loi de finances complémentaire prévoit donc la construction sur les deux années, 2012 et 2013, de 30.000 logements de type social. L’Etat doit s’y engager pour trouver la réserve foncière adéquate, à des prix bon marché. Il s’emploie aussi à sélectionner des techniques de construction à faible coût.

L’équation comporte plusieurs variables. Le matériau doit être économique, de préférence local, et satisfaire aux exigences de développement durable. Comprenez qu’il ne doit pas être énergivore autant pour sa fabrication que dans son mode de construction, ainsi que pour les besoins de conditionnement.

Des variantes ont été présentées ce jour-là, tel le béton cellulaire, la brique en terre compensée, le polystyrène renforcé, etc. La contrainte prix fait que le préfabriqué se positionne avantageusement. Le poste du travail d’entreprise avoisine les 40% du coût du logement. Cela fait qu’une économie de temps peut peser de manière significative sur le coût global.

Mais il faut dire que la Tunisie a tenté de nombreuses expériences en matière d’habitat social. Le modèle originel remonte aux années Ben Salah avec le fameux «logement populaire» construit avec le parpaing, qui est devenu, depuis, un matériau de très large utilisation. Les variantes alternatives aujourd’hui existent bel et bien et le CTMCCV (Centre technique des matériaux de construction, céramique et du verre) fait régulièrement un travail de promotion à travers des journées de démonstration sur les techniques maîtrisées par les opérateurs tunisiens.

Les dommages collatéraux

Il faut rappeler que le programme de promotion de l’habitat a été bien pensé depuis 1974. Le secteur avait reçu un cadre global pour le lotissement, la viabilisation et le financement. Des solutions de financement pour les gens à revenus modestes, existent via le Foprolos. Ce plan de financement commence à partir du revenu de base, soit une fois le SMIC. Secourir les mal logés doit nous amener à trouver un nouveau plan de financement pour tous les autres catégories, c’est-à-dire les précaires, les saisonniers, les petits travailleurs indépendants dans les petits métiers. Ceux qui vivent au petit bonheur la chance. L’accès à la propriété pour ceux-là ne peut se concrétiser qu’avec un appui de l’Etat. Dans cet ordre d’idées, les fameux prêts à taux zéro sont annoncés à grande pompe y compris dans les pays à économie avancée. Nicolas Sarkozy en a fait l’un des points phares de son programme électoral en 2007. C’est le rôle de l’Etat de faire face à cette incapacité financière des gens démunis.

Par ailleurs, nous savons que des programmes pilotes, tels la cité olympique ou le programme Tambourini d’El Mourouj, ont été initiés, avec les effets que l’on connaît. Comme le logement populaire de Ben Salah, ils ont été exploités pour des effets vitrine. Ce serait bien de ne pas tomber dans ce travers, une fois encore. Les quartiers sociaux finissent par devenir des quartiers pauvres, mal équipés, mal desservis, et totalement marginalisés. Ils sont de nouvelles aires de frustration sociale et donc d’exclusion et in fine d’explosion.

Il est vrai que le plan actuel est accompagné d’un mécanisme d’éradication du logement rudimentaire à l’instar de celui de la «dégourbification». Et qu’il est également accompagné d’un programme de réhabilitation sociale pour les ceintures périphériques des grandes agglomérations. Seront-ils suffisants pour remettre dans la compétition les populations concernées? Il faudrait que l’Etat, pour le plan actuel, prenne toutes les dispositions nécessaires pour leur éviter les désagréments de l’exclusion.

Un compte sommaire sur la base de la taille moyenne du ménage tunisien, lequel se compose de cinq personnes, nous montre que, dans le meilleur des cas, 150.000 citoyens profiteront de l’habitat social. Cela en fait un bon plan de dépannage, ni donc un plan d’éradication de la pauvreté ni un plan pour faire repartir le secteur. Que l’on se souvienne que le bâtiment est fortement utilisateur de main-d’œuvre. Conforter le secteur permettrait de gagner sur les deux tableaux de l’économique et du social. Pourquoi s’en priver alors?