Djerba, exemple vivant de la crise structurelle du secteur touristique tunisien

omt-jerba-210412.jpgDjerba est connu comme étant l’une des destinations les plus puisées en Méditerranée. Mais l’île des rêves va mal. Les crises successives qu’elle a connues ses dernières années ont altéré son activité principale, en l’occurrence le tourisme. Une activité qui fait vivre des milliers de personnes.

En 2010, Djerba a réalisé un taux d’occupation de 63%, qui représente 24% du taux national.

Les principales pertes de vitesse étant les attentats du 11 septembre 2001 et l’attentat de la Ghriba du 11 avril 2002 -ce dernier a largement terni l’image de l’ile. Mais les difficultés que connaît le secteur touristique, dans son ensemble, sur le plan structurel, ont eu aussi raison de la performance de la région.

Selon Jallel Bouricha, président de la Fédération régionale de l’hôtellerie, Djerba souffre aussi d’une saisonnalité accrue. «Auparavant, l’île travaillait 8 mois sur 12. Mais actuellement ce chiffre est descendu à cinq mois par an. Et cette cinquième saison est en train d’être perdue», s’inquiète-t-il, lors de la conférence organisée en marge de la 6ème conférence de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT).

Un bilan mitigé…

En 2011, l’île ne fut pas à l’écart de ce qui se passait dans le pays. 43,4% de baisse des nuitées ont été enregistrés. Au premier trimestre 2012, il y a eu un regain d’activité avec +212,9% par rapport à 2011, l’équivalent de 869.557 nuitées. Mais ces chiffres restent en deçà de 2010 de 15,6%. Le taux d’occupation est passé de 63% en 2010 à 39,9% en 2011. Il est de 20,9% au premier trimestre 2012.

Pour les principaux marchés, la baisse est générale en 2011. On a enregistré -74% pour la France, -70% pour l’Allemagne, -83% pour l’Italie, -48% pour la Belgique, 85% pour le Danemark et -52% pour le marché local. On note aussi un impact sur l’emploi, soit une perte de 3.000 postes contractuels et de 250 postes permanents.

Outre son climat particulier et attirant, Djerba dispose d’une infrastructure touristique qui lui permet d’accueillir des millions de touristes chaque année. 92 agences touristiques y opèrent et 104 hôtels y sont implantés. Cependant, la mise à niveau de ces hôtels est encore à la traîne. Une trentaine seulement s’est inscrite au Programme national de mise à niveau (PMN) alors qu’une autre trentaine devrait suivre prochainement.

Bien que Djerba dispose d’un aéroport international d’une capacité de 4 millions de passagers par an, il n’est pas assez exploité, selon M. Bouricha. «Le touriste d’aujourd’hui a besoin de courts séjours qui sont assurés par des correspondances. La liaison aérienne avec Djerba n’est pas toujours assurée en raison de l’absence de coordination des horaires des vols. Par exemple, aucune liaison régulière n’existe avec l’Italie», explique-t-il.

Des risques…

Mais il n’y a pas que cela. Djerba, c’est également une île de 514 km² de superficie avec un littoral de 140 km², qui connaît d’autres problèmes liés à la préservation de sa belle image. Selon Abdelfateh Kasseh, professeur de géographie et chercheur, il y a un risque de destructions des dunes littorales par l’implantation des hôtels tout près des plages, y ajoutant un non respect des domaines maritimes.

Un autre problème est lié au boom immobilier qui risque de détruire la richesse de sable en vogue dans l’île sans oublier l’urbanisation anarchique et autres décharges sauvages. «Djerba est à prendre comme un tout. Toute l’île est une zone touristique», lance M. Ahmed Samoui, ancien ministre du Tourisme. Qui affirme que la région enregistre un déficit dans la haute gamme. Selon lui, l’offre est accentuée sur le balnéaire de moyenne catégorie. «C’est un prototype du tourisme de masse tunisien, identique au reste du pays. Djerba a perdu ses atouts, ses spécificités, bien que son attractivité soit certaine. On reste plus longtemps à Djerba, soit 10 points de plus au niveau du taux d’occupation par rapport à la moyenne nationale qui est de 50%», souligne-t-il.

Crise de produit…

Mais la réalité est que cette île est également confrontée à une baisse de l’investissement touristique et une baisse de la fréquentation. M. Smaoui affirme que le patrimoine culturel n’est pas assez exploité. L’activité de thalassothérapie a besoin de restructuration, d’innovation et d’amélioration de la qualité de service. Le tourisme de congrès est inexistant. Pour la conférence de l’Organisation mondiale du tourisme, les organisateurs ont été obligés d’utiliser la grande salle du Casino.

Le port de Houmt Souk, censé être un point névralgique pour la promotion du tourisme, réalise des «résultats honteux», estime M. Smaoui. En 2010, il a accueilli 23 bateaux et 52 passagers, beaucoup loin par rapport à la performance nationale de 3.800 bateaux et 13.000 passagers.

«On a besoin d’une diversification de l’offre. Un modèle de développement adapté aux spécificités de l’île. La crise est beaucoup plus une crise de produit que de marché. Il faudra lancer un débat national pour faire le bilan et revoir la place du tourisme», indique-t-il.

Pour certains, c’est la formule «all inclusive» qui a influencé la performance touristique de Djerba. «Quand il vient ici, le touriste ne sort pas de l’hôtel. Tout est programmé pour lui, ces sorties, ces visites, ces excursions. Il n’a pas le temps ni l’opportunité de découvrir comme il veut le potentiel culturel que présente l’île. Il y a aussi les intrus dans le métier qui présentent un réel danger», nous précise un professionnel djerbien du secteur.

De l’action…

D’un autre côté, M. Bouricha souligne que la place du tourisme dans la politique économique de l’Etat n’a jamais été claire. «Il y a un gap important sur le terrain. Le tourisme est livré à lui-même au moment des crises. Nous voulons de l’action. Nous connaissons nos maux et les remèdes. Une politique franche doit suivre».

A noter qu’une étude de la Banque mondiale a fait état de la nécessité de réformer de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) par la création d’une agence de marketing et de communication, une agence de formation touristique et d’une agence des études de l’investissement. D’ailleurs, M. Bouricha ajoute qu’il y a un besoin d’avoir une plus grande flexibilité de gestion et de décision au sein de l’ONTT, une chose que la structure actuelle ne peut pas y répondre.

Il s’agit aussi de réviser le Code d’incitations aux investissements en encourageant l’investissement dans l’animation. Ce code doit prendre aussi en compte la saisonnalité du secteur, eu égard au volume horaire de travail et l’importance de la polyvalence.

Le responsable de la FTH régionale appelle aussi à la création d’un observatoire national du tourisme et du voyage qui réunirait les professionnels, les responsables régionaux pour discuter de la situation du secteur et aussi à la création d’un office régional du tourisme.

Pour M. Kasseh, il s’agit d’axer davantage sur la formation, la recherche et l’innovation. «Le secteur est doté d’une seule institution depuis 2004. Pratiquement, aucun bachelier ne s’oriente vers le tourisme. Il faudra encourager et motiver nos étudiants pour s’orienter vers ce secteur». Il parle aussi de l’amélioration de la gouvernance entre les différentes parties concernées sans oublier l’amélioration de l’aménagement touristique.

M. Kasseh propose, à cet égard, la création d’un centre méditerranéen de recherche et de formation, d’un conseil régional du tourisme et d’une banque d’investissement touristique.