Ridha Essaïdi : « Le déficit doit servir à créer de l’emploi et non à augmenter les salaires »

ridha-saidi070112.jpgNon, le poste ministériel n’a rien modifié de l’attitude de Ridha Essaidi, ministre conseiller auprès du chef du gouvernement, chargé de l’Economique et du Social. D’abord simple, ouvert et franc, il n’élude aucune question. Le gouvernement en exercice aujourd’hui s’est orienté vers ce que les économistes appellent un patriotisme économique, ce qui revient à dire que les acteurs économiques comme l’État, le secteur privé et les consommateurs doivent œuvrer en faveur des activités nationales.

Est-ce à la base de la loi des finances complémentaire ?

Entretien

WMC: On reproche au gouvernement d’avoir mis en place une loi complémentaire ambiguë et qui n’annonce rien de concret. Vrai ou faux?

Ridha Essaidi : Nous avons estimé, dans une phase de relance économique et après une année de récession, que notre seul outil de reprise est la politique budgétaire. Les marges de manœuvre sont très limitées, nous avons exploité toutes nos ressources. Dans un désir de relance, l’Etat doit être précurseur et user de l’argent public pour investir dans les grands travaux, les équipements collectifs, le social et particulièrement les logements sociaux, ceci pour donner un nouveau souffle à la dynamique économique.

Nous avons adopté une démarche d’inspiration keynésienne, ce qui revient à tolérer un déficit budgétaire de 6,6% pour 2012, ce qui n’est pas courant. Ce déficit ne doit pas se reproduire en 2013 ou 2014, ce qui aurait un effet catastrophique sur l’économie. Le déficit budgétaire doit être cycliquement équilibré pour qu’il ne devienne pas structurel.

D’un autre côté, le déficit doit servir à créer de l’emploi et à investir et non à augmenter les salaires. C’est ce qui explique que les augmentations de salaires seront minimes. Les revendications sont excessives et il va falloir définir des priorités sur lesquelles gouvernement et partenaires sociaux s’entendent. Nous en avons d’ailleurs discuté avec l’UGTT. La révolution est la conséquence d’un ras-le-bol à cause du chômage et des déséquilibres régionaux. Nous voulons lutter contre la précarité de l’emploi et élever le niveau de vie des régions intérieures.

Avec quelles ressources ?

Les ressources du budget sont d’autant plus limitées qu’elles se rapportent aux impôts ou aux entreprises publiques qui sont presque toutes déficitaires y compris la CPG et le Groupe chimique. La CPG faisait entrer dans les caisses de l’Etat plus de 600 MDT; en 2011, les pertes s’élèvent à 1.200 MDT à cause des grèves et des sit-in répétitifs.   

A ce jour, nous pouvons encore tabler sur des recettes de 2010 pour pouvoir répondre aux exigences de 2012, mais pour l’année prochaine et vu le manque à gagner en 2011, nous nous attendons à une année difficile.

Les entreprises publiques souffrent de grandes complications sans oublier les services de la dette. Cette année, nous devons rembourser 650 MDT pour un prêt contracté en 2002, l’année prochaine, nos devons rembourser 1.000 MDT, ce qui représente le principal de la dette et constitue un coup dur pour les ressources budgétaires.

Dans ce contexte, nous avons lancé une étude sur la soutenabilité de la dette 2012/2017. Les experts ont planché sur cette étude et ont soumis au gouvernement leurs estimations. Le schéma adopté est d’accepter un taux d’endettement de 47 à 48% du PIB jusqu’à l’abaisser à 40% en 2017 et réduire le déficit budgétaire de 6,6% à 3,5 ou 4% en 2017.

Nous avons établi le projet des finances complémentaires en prenant en compte les considérations citées plus haut.

Nous ne pouvions pas bien sûr imposer aux salariés d’offrir 4 jours de leurs appointements à l’Etat comme prévu dans le budget initial hérité de l’ancien gouvernement,  la conjoncture ne le permet pas et nous ne nous attendons pas à un grand engouement de la part des contribuables pour qu’ils les offrent volontairement.

Nous avons par conséquent été obligés de nous rabattre sur les réserves mobilisées à la BCT issues du règlement de la vente des actions Tunisie Télécoms. Nous y avons puisé 800 MD en laissant une partie du montant de la vente aux générations futures.

Les autres ressources, nous comptons les trouver grâce à la vente des entreprises confisquées. La commission de la confiscation a été très lente et il y a eu des altercations entre le président de la commission et ses membres. La lenteur s’explique par la complexité des procédures et les soubassements légaux de l’acte de confisquer en lui-même sans oublier les moyens limités mis à la disposition de la commission.

Quelles mesures préconisez-vous pour remédier à cette situation ?

Nous avons, en accord avec M. Abderrahmane Ladgham, ministre chargé de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre les malversations pris des mesures pour améliorer le rendement de la commission de la confiscation qui manquait d’experts et de moyens tout comme celle de la gestion sous tutelle du ministère des Finances.

Nous avons décidé dans ce cadre de renforcer les effectifs de ces commissions en les dotant d’hommes de terrain, d’experts de haut niveau et en élargissant ses prérogatives. Nous avons également insisté sur l’importance des échéances dans le travail de la commission ainsi que l’engagement des autres procès. Un collège de juges intègre, compétents et crédibles se consacrera totalement aux affaires encours et siègera au ministère de la Justice.

Pour ce qui se rapporte à la justice transitionnelle, les hommes d’affaires qui ont profité du système doivent en rendre compte, ceux qui étaient de simples fonctionnaires et qui se sont retrouvés milliardaires en un court laps de temps seront questionnés et jugés, et si on prouve qu’il y a eu spoliation aux dépends de l’Etat, nous restituerons les biens à qui de droit et ensuite, il y aura une réconciliation. Il n y aura pas de deux poids, deux mesures. D’ailleurs, il y a des personnes en prison et d’autres en liberté pour les mêmes griefs, cela n’a aucun sens. La commission indépendante pour la lutte contre la corruption et les malversations aura bientôt un président, son nom a d’ailleurs déjà circulé, c’est M. Annabi.

Les trois commissions seront sous la tutelle du chef du gouvernement avec en plus la commission de la restitution des biens l’étranger.

Comment pensez-vous gérer les groupes confisqués ?

Nous comptons restructurer 4 grandes entreprises et introduire d’autres à la Bourse de Tunis. Nous procédons aujourd’hui à l’assainissement de certaines sociétés avant de les mettre en vente afin de ne pas les dévaloriser et préserver leurs actifs.

Les biens immobiliers et les voitures confisqués seront mis en vente. Nous n’arrivons pas à profiter de milliers de milliards qui peuvent dynamiser le marché bancaire et nous estimons que nous avons là l’occasion de  pousser les gens à investir. L’introduction en Bourse d’Hexabyte, lors de laquelle on devait lever 2 MDT, a atteint 40 fois le montant attendu. C’est du jamais vu en Tunisie, c’est contre toute logique boursière.

Prenons l’exemple du secteur des télécoms, l’Etat se concurrence lui-même en étant présent dans les trois firmes opérant en Tunisie, Tunisie Télécom, Orange et Tunisiana, cela n’a aucun sens. Nous allons prendre des décisions stratégiques pour préserver la compétitivité du secteur. 

Vous ne m’avez toujours pas dis comment vous allez pouvoir avoir les ressources nécessaires pour le budget complémentaire, car il va falloir du temps avant que l’Etat récolte les fruits des groupes confisqués…

Tout d’abord la réconciliation fiscale dont nous commençons à percevoir les fruits car les réfractaires  adhèrent et commencent à s’acquitter de leurs impôts. Il y a également tout un programme de négociations entre l’Etat et les opérateurs ou les groupes qui ont failli aux règles de bonne gouvernance au temps de l’ancien président et n’ont pas obéi aux procédures en vigueur profitant de complicités afin qu’ils restituent à l’Etat tout son dû. Cela se passera dans le cadre d’un accord global et je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas de traiter ces affaires dans le secret des bureaux ou en ne respectant pas les règlements et les lois. Mais il s’agit de préserver les hauts intérêts du pays et de choisir ce qu’il y a de mieux pour nous en tant qu’Etat et pour le peuple. La réconciliation nationale a été décidée et réussie par nombre de pays dans le monde, en Italie, on a conclu un accord avec la mafia. Nous sommes intègres et personne ne peut douter de notre propreté et de notre volonté de mener au mieux les affaires du pays. C’est une décision politique que nous sommes décidés à prendre pour aider au mieux l’économie à redémarrer, sécuriser nos investisseurs nationaux et ceux étrangers.