Tunisie : Le premier «Café» économique

mohamed-haddar-240212.jpgL’Association des économistes de Tunisie (ASECTU) teste un nouveau mode de débat. Le format fait tilt. L’intensité du débat doit suivre.

Vendredi 24 février, l’ASECTU a organisé une après-midi d’un genre particulier. Son séminaire périodique sur les questions d’actualité a été organisé sous forme de «café» économique. C’est dire si l’Association est tendance! Aussi vrai que le format est dans le vent, le contenu n’a pas été incisif. Le concept est, certes, en rodage. Mais il faut insuffler du piquant. Au carré de choc constitué de Mohamed Haddar, président de l’Association, Ridha Gouia son SG et de leurs deux invités, Hakim Ben Hammouda, conseiller du président de la BAD, et Ahmed Ben Romdhane, chief-economist du Pôle démocratique, a manqué un modérateur. Mohamed Haddar y a suppléé, avec pédagogie. Ce serait bien de pourvoir le poste, à l’avenir, d’autant que l’ASECTU regorge de talents. Science sans communication n’est qu’effervescence intellectuelle. Sa mise en forme la rendrait, à l’évidence, plus intelligible et, in fine, exploitable. Quand on s’invite au débat et qu’on occupe le champ public, il faut sacrifier à des conditions de forme.

Venons-en au fond à présent, et examinons la qualité des échanges.


Le round up

Mohamed Haddar a circonscrit les interventions dans un triptyque, qui ne manque pas de cohérence. Il a commencé par s’interroger sur la situation actuelle, ses raisons et les perspectives d’avenir. Avec espièglerie, il a esquivé une question, à savoir ce que recommande l’ASECTU. Mais nous l’inviterons à s’exprimer sur le sujet dans une interview imminente. Malgré la délimitation du champ par le président de séance, les échanges ont débordé ce cadre strict, et cela n’a fait qu’enrichir cette rencontre.

Dans l’ensemble, on a parlé des lieux communs et on n’a pas manqué un exercice de prospective, ça a rajouté du pep à cette rencontre. Il était inévitable que l’on aborde la politique monétaire. Je dois reconnaître que nous avons divergé sur la question. On a évoqué les conditions de redémarrage de l’investissement. Là, également, on s’est interpelé. On s’est penché sur la question de l’emballement de la dette. Nos vues n’ont fait qu’interférer. Sacrifier à l’optimisme ne relève pas de la mission de l’ASECTU. On s’attend à ce qu’elle donne de la force à ses propositions, elle serait plus dans son rôle.

Le soft et le hard!

Les économistes ont leur jargon. Un conseil toutefois, pour se faire entendre de la communauté d’affaires, il faut faire dans le concret. L’état développementaliste, se dit en version d’aujourd’hui, partenariat public/privé (PPP). La politique monétaire a aidé à ne pas étrangler les entreprises. Soit, mais rien qu’en partie. Elle a sauvé la mise aux banques dont les dépôts d’épargne ont été à leur étiage. La Caisse générale de compensation dévore 7 milliards de dinars et laisse le budget d’investissement, le fameux titre deux, avec une maigre dotation de 5 milliards. L’Etat n’a plus les moyens d’investir. La compensation du seul prix de l’énergie l’épuise. Un dollar de hausse du cours du pétrole saigne le budget de 28 milliards.

A bien des égards, les arbitrages budgétaires ne débouchent pas sur une allocation optimale des ressources frôlant parfois l’hérésie. Désormais, l’investissement est l’affaire du secteur privé. Et, ce n’est pas en changeant le profil des entrepreneurs qu’on parviendrait à le doper. Il ne faut pas oublier que l’investissement, jusque-là, s’est fait par de la dette via le financement bancaire. On a pallié à notre déficit en capital par de la monnaie. Il faut dire que ce subterfuge n’a qu’une portée limitée. Le modèle économique s’essouffle, soit.

La corruption et la prédation du clan des BAT a beaucoup engourdi l’ardeur des entrepreneurs, dans une certaine mesure. Elle ne rend pas compte du déficit de tonicité de notre croissance. Pourquoi ne dit-on rien de la faiblesse de la productivité qui inhibe les chefs d’entreprise. Et pourquoi ne pas demander l’activation du Fonds générationnel pour injecter du capital (Equity). Le fonds Ajyal, de ce point de vue, constituait une réponse tout dédiée. Ce serait bien de le préciser.

Dans l’intervalle, on essaie de promouvoir la finance islamique. Il faut se prononcer sur sa portée et sa limite. Le budget complémentaire, de même qu’il a été dit, sera difficilement bouclé à cause de la flambée du prix de l’énergie et également du repli du cours du dinar. La dette atteindra 50% en 2013, a-t-on soutenu. Mais le gouvernement de BCE avait trouvé un début de réponse. On a bien dit qu’on postulerait au statut de membre sans l’adhésion avec l’UE. L’objectif est de puiser dans les fonds structurels destinés à la mise à niveau des régions, ce qui dispenserait de lever de la dette.

Voilà des questions épineuses à aborder. L’opinion a besoin des lumières des universitaires.

Un think tank de plein droit

Parler de l’économie dans son ensemble, c’est une façon de prendre de la hauteur. Mais c’est d’une certaine façon s’enfermer dans de l’académisme. Ignorer totalement le monde de l’entreprise revient tout simplement à survoler les problèmes. Quand l’université ignore l’entreprise, elle ne fait que tourner le dos au partenaire avec lequel elle peut s’atteler à la refondation de l’économie. Les économistes ont un devoir. Aux Etats-Unis, il est de tradition que chaque président fait équipe avec un économiste. Milton Friedman, W. Rostow, Kenneth Galbraith et les autres ont investi le bureau ovale. Nos économistes sont restés à l’écart des grands choix du pays. Les économistes ont beaucoup souffert de la dictature et de la pensée unique du ministère du Plan. L’exemple de Mohamed Ali Lahouel est fort édifiant. L’économiste, pourtant RCDiste affiché, a eu «l’outrecuidance» de soutenir en 2000 que le taux de croissance du IXème Plan devait être ramené de 5,5 à 5% qu’il fut banni de la scène publique.

Désormais, les économistes doivent avoir voix au chapitre. Et pour cela il faut qu’ils donnent de la voix. En disant leur mot.