Tunisie : Makhthar… l’appel de détresse

makthar-greve0112.jpgOn gouverne avec des symboles. Un message a-t-il manqué? Il y a manque de lisibilité sur le plan d’action du gouvernement. Après l’appel de détresse des régions de l’intérieur, voilà la grogne, le cri de désespoir et l’explosion de colère. Un sommet économique national serait-il de trop?

A Makhthar les jeunes ont littéralement disjoncté. Il n’y a pas d’autre mot. Ils disent toute leur rage d’avoir attendu sans rien voir venir. Où est notre retour sur investissement -entendez révolution-, scandent beaucoup de jeunes. Et même s’il est vrai que de tels propos peuvent manquer du sens des responsabilités, ils n’en traduisent pas moins une expression du dépit qui a gagné les esprits. Que faire, en pareille circonstance?

Ici et maintenant

Ils sont, purement et simplement, en déshérence pour n’avoir rien hérité de la révolution, alors que beaucoup de leurs congénères ont payé le prix fort. La révolution ne leur a pas renvoyé l’ascenseur, pensent-ils. La manne post-révolutionnaire a fait défaut. Le pays s’est métamorphosé mais dans les régions, rien ou presque n’a changé. La dynamique économique tant espérée est absente.

Il faut voir l’état de désolation des régions de l’intérieur, c’est-à-dire la Tunisie profonde, pour comprendre l’ampleur du désarroi des gens. Ils pensaient que le gouvernement, sitôt investi, les prendrait en mains. Attente légitime mais complètement désaxée par une proposition de consultation nationale. Les jeunes en attente d’espoir n’y voient pas la riposte adéquate. Probablement que, se disent-ils, ils n’ont pas assez donné de la voix, et c’est leur colère qui remonte en surface.

Allez expliquer à des jeunes, au bout du rouleau, que les bonnes choses doivent mûrir et que la précipitation est mauvaise conseillère. Leur réponse fuse, sans raison, sans discernement, mais avec beaucoup d’effusion: «ici et maintenant». On a vu des choses similaires se passer ailleurs. A reggio de Calabria, il y a quelques années, des jeunes ont mis l’Italie en émoi parce que leurs attentes n’étaient pas satisfaites. En Corse, pareil. La disparité n’est plus vécue comme un dysfonctionnement mais comme une injustice. Et cela appelle, de ce point de vue, réparation.

Mais où est donc l’inclusion?

Ils ont le cœur lourd, de chagrin et d’impatience. Pensant que le gouvernement donnerait le strike dès son installation, ils ne comprennent pas que l’on arrive aux affaires, avec de bonnes prédispositions et de la détermination à bien faire.

Un jour, un confrère disait à Raymond Barre, alors Premier ministre en France, combien de temps allait-il prendre avant de répondre à la proposition des syndicats. Et Barre de lui faire observer que d’un poste de pouvoir on ne réfléchit pas, on décide, car on est dans l’action.

Le déroulement séquentiel de notre transition démocratique, qui a été conforme aux normes internationales de transparence, les laisse de marbre. De toutes façons, ils se considèrent sur le banc de touche alors que la révolution allait mettre fin à leur exclusion et les remettre dans la partie. Damnés de la croissance, ils sont privés de la possibilité de construire leur avenir. Ils veulent des jobs et pour tout de suite. Leur inclusion dans le système est à ce prix. Pourquoi les re-consulter alors qu’ils avaient dit ce qu’ils ont sur le cœur?

Un sommet économique national

Tout en étant en colère, ils n’ont pas perdu le sens de l’honneur et des sentiments nobles. Certains jeunes de la région ont bénéficié des subventions du plan AMAL. Cette obole n’est qu’un subside à leurs yeux, un expédient. Ajouter qu’ils refusent le principe de vivre sur le dos de la communauté. Ils ont le sentiment de pratiquer un racket social. Le premier signal d’entre tous aurait été d’activer l’une des principales recommandations du plan Jasmin, c’est-à-dire d’engager tout de suite le nouveau découpage des régions. C’est une façon rassurante que le reste ne fera que suivre. Un compte à rebours serait, de cette façon, concrètement engagé et que sa réalisation suivra un planning effectif. La région, ce fameux bassin d’emploi, dont la dynamique auto-entretenue est le gage de la transformation sociale qu’ils attendent.

Alors pourquoi pas un sommet économique national pour soutenir ce chantier prometteur? En parallèle, la consultation en cours trouverait toute sa légitimité. Il en découlerait une certaine lisibilité encourageante. Les jeunes des régions de l’intérieur verraient alors qu’ils vont pouvoir peser sur leur avenir.

Y a-t-il meilleure motivation républicaine?