Anis Mnejja (Banque d’Affaires de Tunisie) : La spéculation, principale source de création de valeur dans le secteur financier

anis-mnejja-bat.jpgChargé d’affaires à la BAT depuis 2010, Anis Mnejja est docteur en finance, membre de la société française des Evaluateurs. Il a auparavant été analyste financier fusions & acquisitions et consultant auprès de cabinets français (Epsilon Research, Performances & Strategy), Project manager à Thema CNRS (Paris) et chargé d’affaires au groupe El Amen.

Diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Sfax (maîtrise en études commerciales supérieures), Anis Mnejja est également détenteur d’un master en finances et d’un doctorat en sciences de gestion (Ecole doctorale d’Economie et de Mathématiques Paris Ouest).

WMC: Comment est née l’idée de mener une étude de la création de valeur dans le secteur financier tunisien et quelle en est la finalité?

Anis Mnejja: L’étude a été lancée par la Banque d’Affaires de Tunisie (BAT, dirigée par Habib Karaouli), suite à la demande d’un investisseur institutionnel étranger intéressé par des prises de participation dans le marché tunisien, notamment dans des banques ou des compagnies de leasing. Nous avons étudié la création de valeur à deux niveaux: d’abord, la valorisation de ces établissements, car son intérêt consistant à réaliser des plus-values, l’investisseur cherche idéalement à investir dans des titres sinon sous-évalués du moins correctement évalués; ensuite leurs fondamentaux.

Nous sommes sortis avec le constat que la quasi-totalité des établissements financiers sont actuellement surévalués et même très surévalués.

Quelle est la cause de cette surévaluation?

Elle est due à sept à huit années consécutives de hausse du marché boursier tunisien, à cause desquelles on va sûrement arriver à un stade où c’est tout le marché qui sera surévalué. En raison notamment du poids qu’y ont les établissements financiers, en particulier les banques qui représentent plus de 50% de la capitalisation boursière.

La surévaluation fait craindre la formation d’une bulle; qui pourrait ensuite éclater, entraînant un crash boursier. Et l’étude vise justement à expliquer ces niveaux de performances qui vont de 30 à 80% et font, de ce fait, rêver. Ces performances sont-elles imputables aux fondamentaux –croissance du produit net bancaire, des produits nets du leasing- de ces établissements financiers? A une profitabilité tenant à une maîtrise parfaite des risques encourus, des charges d’exploitation? Ou s’agit-il d’une performance artificielle venant essentiellement d’opérations de spéculation, surtout que, ainsi qu’on le sait, les marchés boursiers sont tirés par des mouvements moutonniers?

Qu’en est-il en réalité?

Pour l’ensemble du secteur des services financiers, la spéculation apparaît comme la principale source de création de valeur dans 51% des cas, viennent ensuite la croissance des revenus (31%), l’amélioration de la profitabilité (17%). Nous avons également remarqué que la détérioration des marges de profitabilité impacte considérablement cette création de valeur et constitue, au contraire, un facteur destructeur de valeur dans 37% des cas.

En 2010, la détérioration des marges est même le facteur le plus destructeur de valeur pour 75% des banques et des compagnies de leasing. Elle était due à une baisse des marges nettes de ces établissements découlant à son tour de l’incapacité à maîtriser les charges d’exploitation, de l’augmentation des provisions et des créances classées –pour ce qui est des banques- et de ce que nous appelons le levier d’exploitation.

Lorsque votre chiffre d’affaires et votre résultat n’évoluent pas à la même vitesse, se pose alors la question de savoir s’il est intéressant de faire croître le chiffre d’affaires, ou le pnb sans augmenter ou maintenir le niveau de marge, et quelle serait la cause de ce phénomène: un dysfonctionnement dans le mode de gestion, dans la politique d’octroi des crédits?

En quoi la politique d’octroi des crédits peut-elle empêcher l’augmentation du niveau de marge, c’est-à-dire des bénéfices?

Dans un process classique, le dossier pour l’octroi à crédit passe par un chargé d’affaires, et les analystes crédit qui vont le présenter à un comité qui va prendre la décision. Dans la réalité, il y a un biais tenant au fait que le chargé d’affaires est rémunéré à la fois sur les résultats que réalise la banque que sur le volume qu’il réalise, lui. Forcément, il va essayer de booster les demandes des clients d’autant qu’il peut subir de leur part un certain chantage avec menace de départ chez une autre banque en cas de non octroi du crédit.

A titre d’exemple, la Banque de Tunisie, la Société Tunisienne de Banque, la Banque Internationale Arabe de Tunisie, la Banque de l’Habitat, etc. souffrent d’une dégradation de marge très importante –de -24 à -40%. Pour l’ensemble du secteur bancaire, les marges nettes ont reculé de 12%.

Qu’en est-il pour le secteur du leasing?

Nous avons vu que la création de valeur des services financiers provient principalement de la spéculation. En fait, ce constat est plus marqué pour les banques que pour le secteur du leasing. La détérioration des marges et la baisse de profitabilité ont été les facteurs les plus destructeurs de valeur pour 50% des banques, contre 20% seulement pour le leasing. En fait, ce secteur semble concilier croissance et profitabilité, contrairement au secteur bancaire qui souffre d’une baisse importante de profitabilité.

Le leasing connaît également une croissance deux fois plus rapide –de 21% par an, contre seulement 10% pour les banques- durant la période 2008-2010.

Comment les responsables des compagnies du secteur financier et des banques en particulier peuvent-ils tirer profit au mieux de cette étude?

A titre d’exemple, pour les membres des conseils d’administration des établissements financiers, l’étude peut être un outil pour apprécier les efforts fournis par le management à différents niveaux et calibrer le niveau des bonus.

Autrement dit, si je vois que la plus grande partie de la performance de l’entreprise provient de la croissance, cela veut dire que c’est l’ensemble des chargés d’affaires, des réseaux d’agences, qui y a contribué le plus. S’il s’avère que la performance est imputable pour l’essentiel de l’amélioration de la profitabilité, je comprends qu’il y a derrière une bonne politique de sélection des clients, un effort de la part de tout le middle office dans l’optimisation des charges d’exploitation et des dépenses de gestion de la structure.

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