Tunisie : Inégalités régionales et du genre… Ces chiffres qui font froid dans le dos!

 

carte_regions-0112.jpgLe vécu tunisien montre que chaque fois généralement que l’on s’éloigne de la bande côtière et que l’on raisonne en termes de genre, les inégalités apparaissent. Un débat, organisé le 29 décembre 2011, par une nouvelle association, AVEC, qui entend œuvrer pour que tous les citoyens aient des chances égales, a permis, sans doute, de mieux cerner la question.

Y a pas phot! L’expression, connue par les turfistes, pour signifier qu’il n’y a pas de doute sur le vainqueur, peut être utilisée pour évoquer les inégalités en Tunisie. La communication de Mourad Gachem, vice-président d’AVEC (Association Vigilance et Egalité des Chances), consultant international et ancien représentant assistant du FNUAP (Fonds des Nations unies pour la population) à Tunis, se passe de commentaires.

Le propos clair et le verbe précis, son intervention faite au cours de la table ronde, organisée par l’AVEC, jeudi 29 décembre 2011, au complexe de Bir Belhassan, à l’Ariana, montre que chaque fois généralement que l’on s’éloigne de la bande côtière et que l’on raisonne en termes de genre les inégalités apparaissent.

Commençons par les indicateurs de santé. Le taux de mortalité maternelle est de 44,8 pour 100 mille nouveaux nés en Tunisie (moyenne nationale et chiffres de l’Institut national de santé publique). Mais, il est de 30,5 dans le nord-est et de 67 dans le nord-ouest.

45 médecins pour 1000 habitants à Kasserine

La densité médicale ne fait pas mieux: 45 médecins pour 1000 habitants à Kasserine et 363 à Tunis et 175 à Sfax. Même constat concernant les services des SSB (Soins de Santé de Base): 8,9% des centres des SSB offrent des prestations 6 jours par semaine à Sidi Bouzid, 11,4 à Jendouba, 26% à Sousse, 55% à Ben Arous et 100% à Tunis.

Le taux d’analphabétisme marque également cette inégalité régionale. Et là aussi les chiffres se passent de tout commentaire. Le taux d’analphabétisme est de 23% dans l’ensemble de la Tunisie (dernier chiffre connu du taux de recensement de l’Institut national des statistiques de 2004). Mais il est de 38,1% à Kairouan et de 35% à Kasserine alors qu’il est de seulement… 18,3% à Sousse et de 14,5% à Tunis.

Une autre inégalité apparaît à la lecture des chiffres présentés par M. Gachem: celle qui existe entre les deux sexes: 48,4% des femmes sont analphabètes dans le gouvernorat de Kairouan alors que ce taux n’est que de 27,3% pour les hommes. Idem pour Kasserine: 46,7% pour les femmes et 22,8% pour les hommes.

88,2% des entreprises dans le centre-est et le centre-ouest

On ne s’étonnera pas en apprenant que les inégalités sont frappantes en matière de tissu entrepreneurial et d’emploi. 88,2% des entreprises sont concentrées dans les régions du nord-est et du centre-est de la Tunisie. Il faut dire aussi que ces deux régions concentrent un peu plus que 60% de la population.

Le taux de chômage, qui était quant à lui de 18,3%, en mai 2011 (toujours chiffres de l’INS), est, comme suit, lorsqu’il est réparti par région: 28,6% dans le centre-ouest, 26,9% dans le sud-ouest, 24,8% dans le sud-est, 17,3% dans le nord-est et 11,1% centre-est.

Inégalité également entre les deux sexes: le taux de chômage est de 24,7% pour les femmes et de 15% pour les hommes.

Côté chômage des jeunes (18-29 ans), les régions de l’intérieur collectionnent, pour ainsi dire, les mauvais chiffres: 50% dans le sud-ouest, 45% dans le nord-ouest, 35% dans le centre-ouest, 30% dans le Grand Tunis et 26% dans le centre-est.

Présentant à son tour une intervention, Senim Ben Abdallah, universitaire, spécialisé en Sociologie, et consultant, abondera dans le même sens. En faisant observer, à cet effet, que 64% des diplômés-chômeurs sont des femmes et que ces dernières n’ont pas du fait qu’elles sont des femmes les mêmes chances que les hommes: elles ont notamment moins de possibilités d’être mobiles et ne peuvent faire certains métiers pour lesquels elles ont été pourtant formées. Il fera remarquer, à ce propos, que les organismes de formation «s’entêtent» à former du personnel qui ne trouve pas toujours, au sortir des cycles de formations, un métier.

Une révolution contre les institutions

Apportant une lecture pertinente du contexte tunisien et notamment des bouleversements politiques et sociaux de la Tunisie, depuis le 17 décembre 2010, lorsque le martyr Mohamed Bouazizi s’immole par le feu, Senim Ben Abdallah estime que la révolution tunisienne est «une révolution contre les institutions qui n’ont pas réussi à donner du travail à la jeunesse».

Un constat regrettable. Parce que, souligne M. Ben Abdallah, un pays, comme la Tunisie, où les jeunes pèsent démographiquement de tout leur poids, devrait vivre une «période en or» de son histoire s’il réussit évidement à utiliser les potentialités de cette jeunesse.

Un débat initié par AVEC et qui montre bien que l’association qui a inscrit notamment pour objectifs d’«œuvrer pour que tous les citoyens aient des chances égales indépendamment de leur appartenance sexuelle, géographique ou sociale et de comptabiliser et dénoncer les discriminations et les obstacles» a du pain sur la planche.

Pour ce faire, l’équipe qui entoure Mme Khédija Madani, présidente de cette association et avocate, a inscrit à son programme de l’année 2012 un ensemble d’activités aux premiers rangs desquels figurent la mise en place d’un réseau de veille sur les écarts entre hommes et femmes et entre les régions dans le processus de transition et l’instauration d’un partenariat avec les ONG, avec des points focaux dans les régions, concernant les activités de l’AVEC.

Souhaitons-leur bonne chance!