Tunisie : Chômage, inflation, économie en berne,… peut-on s’attendre au pire?

chomage-14112011-art.jpgUn taux de chômage de plus de 18%, 137.000 emplois perdus, un taux d’inflation
de 4,5%, un tourisme en berne, un développement régional quasi-inexistant et une
corruption généralisée… Peut-on s’attendre au pire? Les pratiques anciennes
auxquelles s’ajoutent les tumultes de l’après-révolution donnent une image assez
grisâtre sur l’avenir –proche- de la Tunisie.

La tâche à laquelle s’attèlera le prochain gouvernement risque de ne pas être
des plus aisées. L’héritage de l’ancien régime – corruption, mauvaise gestion,
injustice– sera difficile à effacer.

Bien que la principale tâche de ce gouvernement soit la bonne conduite de cette
période transitoire, et la rédaction de la nouvelle Constitution par l’Assemblée
nationale constituante, les Tunisiens s’attendent à des réponses urgentes et
efficientes à leurs problèmes quotidiens.

Dans les régions enclavées, les contrées lointaines, les quartiers et banlieues
populaires, les aspirations sont naturelles et claires: des conditions de vie
meilleure,
emploi, infrastructure, équité sociale, etc., loin des idéologies
politiques et orientations libérales, communistes ou socialistes ou autres des
partis. Les résultats des élections l’ont bien prouvé. Le taux de pauvreté
s’élève à 12,84% dans la région du centre-ouest (Kairouan, Sidi Bouzid et
Kasserine), soit plus du triple de la moyenne nationale.

Déséquilibres socioéconomiques…

Toute politique gouvernementale devrait désormais se concentrer sur les
déséquilibres socioéconomiques et sur le développement régional. N’oublions pas
que la révolution avait une essence purement régionale. L’abolition des
inégalités par rapport aux régions côtières –y compris la capitale- devrait être
l’objectif premier de toute politique économique. Le gouvernement provisoire a
essayé d’en apporter quelques éléments de réponse dans son “Livre blanc du
développement régional“, récemment publié.

Ce document, préparé minutieusement par le ministère du
Développement régional,
a décelé les tares de la politique du développement régional de l’ancien régime.
Une politique superficielle qui n’a pas réussi à apporter un traitement efficace
aux problématiques régionales. La politique économique n’a pas favorisé
l’investissement dans les régions et a renforcé leur enclavement.

De cet héritage, on peut citer l’absence de système d’information efficient et
d’une vraie planification régionale et la faiblesse des infrastructures de base
pour développer l’agriculture et attirer l’investissement local et étranger. On
note aussi la quasi-absence de formation et de vulgarisation, ce qui a empêché
les agriculteurs de moderniser leurs techniques de production et de diversifier
leur production.

La quasi-absence d’activités industrielles et de service a freiné l’embauche
d’une partie des demandeurs d’emploi, particulièrement les diplômés de
l’enseignement supérieur. On remarque également l’insuffisance des zones
industrielles appropriées et d’organismes d’appui à l’initiative privée.

Le document indique que la représentation bancaire est faible ainsi que celles
des administrations chargées du soutien à l’investissement privé. De même, les
incitations proposées sont insuffisantes ou incompréhensibles pour attirer les
investisseurs. «Une révision du code des investissements est une priorité».

L’autre lacune dans l’ancienne politique du développement régional se situe au
niveau des investissements publics. Selon le ministère du Développement
régional, les gouvernorats de Kairouan et de Sidi Bouzid sont nettement
défavorisés avec des montants de 2.497 dinars et 2.296 dinars par habitant
respectivement, durant la période 1992-2010. Ces montants s’approchent de ceux
octroyés aux gouvernorats de l’Ariana (2.392 dinars) et de La Manouba (2.107
dinars), mais ils sont limités compte tenu de la faible densité de population
des gouvernorats de Kairouan et de Sidi Bouzid.

De même pour les investissements privés, dans la même période. Les gouvernorats
situés sur le littoral nord bénéficient des montants d’investissements privés
par habitant les plus élevés avec 9.508 dinars par habitant pour Zaghouan, 8.672
dinars pour Monastir et 8.189 dinars pour Bizerte. La bande de territoire
regroupant les gouvernorats de Sidi Bouzid, Jendouba, Gafsa et Siliana forme la
zone la plus défavorisée avec respectivement des montants de 2.758 dinars, 2.635
dinars, 2.613 dinars et 2.601 dinars.

Décentralisation…

Selon les auteurs du livre, l’enjeu vital pour la Tunisie de demain est
d’atteindre un haut niveau de décentralisation. On affirme que le rapport du PIB
par habitant au taux de décentralisation des institutions publiques montre que
les pays les plus décentralisés se retrouvent en tête (Etats-Unis, Canada,
Allemagne, par exemple).

Ceci s’explique par le fait que les régions décentralisées sont plus efficaces
parce qu’elles connaissent mieux les préférences de leurs citoyens et les
besoins de leurs entreprises. L’autre facteur qui stimule la croissance
économique est l’efficience: les niveaux inférieurs connaissent mieux les
contextes locaux; ils peuvent offrir des services publics à des coûts
inférieurs.

Donc, les gouvernements futurs devraient faire preuve d’efficience dans le
maintien de l’équilibre géographique et politique. Ceci est possible par
«l’intégration des instruments de politique économique qui incorporent une
discrimination positive en faveur des régions en retard sans sacrifier la
compétitivité des grandes agglomérations». Un équilibre difficile à trouver
puisqu’il requiert déjà une préparation en amont.

La vision du Livre blanc s’appuie sur trois dimensions: la mise à niveau des
régions en retard par la réduction des inégalités socioéconomiques; la liaison
des zones en retard aux zones avancées afin d’exploiter les effets
d’entraînement et de diffusion exercés par les agglomérations; l’insertion de
toutes les régions dans l’économie mondiale de manière à les inscrire dans une
perspective de développement dynamique et durable.

Le document a, ainsi, émis un ensemble de 49 propositions concrètes ou
recommandations, pour les futurs gouvernements. Il s’agit aussi bien de la mise
à niveau de l’infrastructure que de la politique du logement social, l’accès aux
soins publics, la mise en place de réseaux routiers et de réseaux ferroviaires,
la réalisation de zones industriels, etc.

Code d’investissement…

Concernant le code d’investissement, on recommande de favoriser les incitations
directes (subvention et prime d’investissement) plutôt que les incitations
indirectes (exonérations fiscales). «Les incitations ne doivent plus être
orientées principalement vers les entreprises exportatrices; ces dernières
doivent bénéficier des incitations fiscales et financières au même titre que les
autres entreprises», souligne le document.

De même, on note que les incitations doivent accorder plus d’avantages aux
investisseurs qui désirent s’installer dans les zones de développement régional
en distinguant seulement entre deux catégories de zones, à savoir “zone de
développement régional“ et “zone de développement prioritaire“. Il s’agit aussi
de faciliter l’implantation des entreprises dans ces zones par l’accès à la
propriété des terrains et l’accès aux commodités et améliorer l’infrastructure
de transport intra et inter-régions.

On recommande d’accorder des primes supplémentaires pour les promoteurs
investissant dans la construction de l’infrastructure des territoires concernés
par la politique de développement régional. Il est également question de
supprimer le délai d’exonération des impôts sur le revenu fixé jusqu’à
maintenant à dix ans et assouplir les contraintes imposées aux investisseurs
étrangers lors de la phase d’installation en Tunisie.

On insiste sur la conformité des incitations à la politique de développement
économique et celle du développement de chaque région tunisienne (par secteur
d’activités et par région, par exemple). Ainsi, les incitations ou le montant de
la prime d’investissement peuvent dépendre du nombre d’emplois créés chaque
année ou chaque période.

Chômage…

Tant de propositions qui seront à même permettre, à long terme, de résoudre la
problématique du chômage qui est, certes, généralisée à tout le pays, mais qui
s’accentue dans les zones intérieures. Après la révolution, les chiffres
dévoilés au public montrent que cette problématique présente un réel frein au
développement économique du pays.

Récemment, l’Institut National des Statistiques a indiqué que le taux de chômage
a atteint 18,3% en mai 2011. Au niveau régional, le taux s’élève à 28,6% au
centre-ouest, 26,9% au sud-ouest, 24,8% au sud-est, entre 17,3% et 17,8% au nord
et 11,1% au centre-est. Le gouvernorat de Gafsa enregistre le taux le plus haut,
avec un taux de 28,3%, selon le ministère du Développement régional, suivi par
Tataouine (23,6%), Kasserine (20,7%), Jendouba (17,7%) et Sidi Bouzid (14,7%).

De même pour le taux de chômage des diplômés du supérieur – 23,3% au niveau
national– qui se renforce à Gafsa (47,4%), à Jendouba (40,1%), Sidi Bouzid
(41,0%), Gabès (39,4%), Tataouine (39,1%) et Kasserine (38,9%).

Tant de chantiers qui attendent les futurs gouvernements, demandant la
mobilisation de toutes les ressources humaines et matérielles du pays. Il ne
s’agit plus, pour le moment et pour d’autres années encore, de la victoire d’un
parti mais de la victoire d’un peuple, qui a su faire face à la dictature et
favoriser le développement de son pays. Le changement, le vrai, ne découle pas
des forces politiques, mais des individus qui détiennent –aussi unis
soient-t-ils– la force majeure du progrès.