TRIBUNE Tunisie – Orient – Occident : Les rapports de force du prochain siècle

revolution-espagnol-01062011-art.jpgUn symbole magnifique que celui des «Jeunes en colère» d’Espagne, ceux de la
Bastille et ceux de la Grèce. Pour la première fois dans l’époque moderne et
postmoderne, un mouvement progressiste est entraîné par les nations et les
peuples arabes, et non pas occidentaux.

Jusque-là, la modernité était, elle-même, un système de valeurs et de normes,
nouvelles, relativement, et qui sont nées en Occident. «Les Lumières», par
opposition aux ténèbres, ont apporté à l’Occident sa nouvelle tradition
humaniste: l’Homme d’abord, les droits de l’Homme, les libertés individuelles,
la séparation de la religion et de l’Etat, etc. Valeurs pivots autour desquelles
s’est construit le monde moderne.

Et nous autres, nations arabes, ne faisions que suivre, et de loin, tout ce qui
se passe sur les terres des «Lumières». Nous autres, qui avions les plus grands
philosophes, les plus grands mathématiciens, astronomes, et j’en passe,
regardions avec amertume comment la science et le progrès n’étaient plus des
nôtres… et nous nous mettions soit à analyser, discuter et débattre pour trouver
la faille, soit à haïr l’Occident tout simplement.

D’où le terrorisme, dont la religion est juste l’étendar, et qui est fondé en
réalité sur un Orient et un Sud, qui jalouse l’Occident et le Nord. Voilà tout.
Le jeune qui n’a pas réussi ses études et obtenu un bon poste, un bon salaire,
épousé une belle femme, acheté une grande maison et une voiture, se retourne
soit vers l’immigration, soit vers… le terrorisme. En caricaturant bien sûr.

Ce qui se passe dans le monde aujourd’hui est tout simplement fondateur d’un
nouveau siècle, avec:

1. De nouvelles valeurs: non au capitalisme sauvage, l’Homme d’abord, la
priorité est à l’emploi, aux salaires dignes, pas à la rentabilité et aux
dividendes. Le système économique qui ne fait qu’enrichir une petite minorité,
en laissant une bonne majorité soit dans la concurrence la plus acharnée pour le
travail (d’où les bas salaires), soit dans le
chômage… Non merci, on n’en veut
plus. La jeunesse est en colère, la jeunesse est dans la rue.

2. Un nouveau rapport de force: le Sud aussi décide. Les choses se passent au
Sud. Le Nord n’a plus le monopole de la décision, et le progrès viendra
peut-être… des pays du Sud, du monde arabe, après le Printemps arabe. Vecteur
essentiel de ce glissement des rapports de force: la technologie citoyenne,
celle des «pages fan»
FB, avec des dizaines de milliers de fans… la technologie
où tout le monde pense, tout le monde peut agir.

Un nouveau monde se met en place. Les USA et l’Europe ne sont plus le centre du
monde. Le Brésil, l’Inde ou la Chine font déjà partie des Grands, les pays
arabes aussi… peut-être bientôt?!

Qui a dit que le progrès était une question de moyens ou de ressources
économiques? Le facteur principal du progrès n’est peut-être pas celui-là, mais
celui de la richesse interne, de la confiance, de la fierté, de la dignité
acquise ou reconquise.

Parsons dit que les rapports de force qui existent entre les sociétés façonnent
et orientent les changements dans ces sociétés. La société donatrice est celle
qui «donne» le modèle culturel, la société réceptrice est celle qui «reçoit» ou
intègre le modèle culturel. L’intégration de l’emprunt culturel ne se fait de
façon saine que lorsque la société réceptrice a un rapport de forces à peu près
d’égal à égal (ou alors supérieur….) avec celle donatrice.

C’est à peu près le cas du Français qui part au Maroc ou en Inde, et qui intègre
dans sa cuisine une nouvelle recette marocaine ou indienne. C’est beau, c’est
exotique, et ca n’enlève rien à la hauteur de la gastronomie française.

Ainsi, la France, par exemple, peut être qualifiée de «société autonome», elle a
une grande fierté et une grande estime de sa propre culture. Quand elle «reçoit»
quelque chose, elle le reçoit dans la fierté, c’est-à-dire tout en gardant son
originalité, son «noyau culturel de base».

Une société «dominée», par contre, est une société qui est -ou qui s’estime-
inférieure, en termes de rapports de force, à celle donatrice. Elle ne réussit
alors pas vraiment ses «emprunts» culturels.

C’était notre cas, nous nations arabes, qui essayions et faisions tout pour
rattraper le cortège des nations occidentales, développées et riches, sans
beaucoup de succès. C’était notre cas, avant le Printemps arabe. Avant que les
jeunes se mettent en colère en Espagne…

Les rapports de force, en termes culturels, sont en train de changer. A en
croire Parsons, tout est culturel, et surtout et d’abord le développement et le
progrès.