TRIBUNE “Où va notre Tunisie?”

Par : Autres

partie-politique-01052011-art.jpgLe 14 janvier dernier,
Ben Ali fuyait le pays. Chacun découvrait une liberté
longtemps rêvée mais à laquelle personne n’était réellement préparé. Nous avons
alors rêvé d’une Tunisie meilleure, réconciliée avec elle-même et fière de son
histoire plusieurs fois millénaire. A des années de frustration, de répression
et d’absence de dialogue a répondu une inévitable cacophonie avec excès et
surenchères.

Après les hésitations et les errements du gouvernement Ghannouchi, on pouvait
imaginer que le consensus autour de la Constituante, largement réclamée,
ouvrirait la voie à une étape politique certes disputée, mais plus constructive.
Même si le délai imparti pour la préparation des élections est court, le cap
fixé semble bien emporter l’adhésion de la classe politique autant que des
spécialistes et moins spécialistes en sciences politiques et droit
constitutionnel, qui se sont révélés en nombre depuis trois mois!

Aujourd’hui, l’inquiétant est que la volonté affichée par la majorité des
acteurs politiques d’aller de l’avant s’accompagne d’un certain amateurisme et
d’une forme d’irresponsabilité d’une partie des hommes politiques et de
certaines «élites». Le gouvernement provisoire, qui n’a certes pas une tâche
facile, communique encore mal et donne l’impression d’agir presque en catimini,
comme ce fut le cas pour les délégations spéciales au niveau des principales
communes du pays, ou encore dans la gestion de la crise des réfugiés venant de
Libye… face à une opinion publique aux aguets. Même les commissions
d’investigation paraissent livrées à elles-mêmes. Elles deviennent l’objet d’une
suspicion non fondée, alors que l’ampleur de la tâche fait que leur travail
colossal reste à parfaire et à soutenir.

Quant à l’opposition démocratique d’hier, qui est aujourd’hui en pleine
mutation, elle paraît s’épuiser dans des batailles de leadership, voire d’égo et
qui n’ont pas lieu d’être. Ne risque-t-elle pas ainsi de se diviser alors que
l’essentiel devrait l’unir? Le projet de société pour une Tunisie fière de son
histoire et attachée à ses acquis mais résolument ouverte à la modernité et au
progrès n’est-il pas la priorité des priorités ?

Ce faisant, les partis démocratiques et les forces de progrès, ou du moins ceux
d’entre eux qui privilégient le one man show au jeu collectif, oubliant sans
raison les alliances d’hier (comme l’Alliance pour l’égalité et la citoyenneté),
tardent à apparaître comme une force de proposition crédible. Ils sont ainsi le
jeu des réactionnaires et des extrémistes qu’ils prétendent combattre. Sinon
comment expliquer qu’il y ait presque tous les jours une initiative nouvelle
pour un «front démocratique»?

Cette multiplication est en elle-même contradictoire avec l’objectif déclaré qui
suppose concertation, alliance et sens des priorités. Si l’on n’y prend pas
garde, tout cela risque d’être contre-productif. Pourquoi d’ailleurs celles-ci
émanent-elles d’associations ou de personnalités indépendantes, mais pas
d’organisations politiques? Car s’il est vrai qu’Ettajdid tente de fédérer les
diverses initiatives citoyennes dans une large alliance démocratique, le FDTL et
le PDP semblent peu enclins à répondre à ce genre de propositions.

Le premier ayant choisi de s’aligner sur les positions d’une
UGTT qu’il n’est
pourtant pas seul à courtiser, et le second ayant choisi de faire cavalier seul,
espérant être ainsi plus efficace. Or c’est là que réside le danger; ces partis
“historiques”, qui ont en commun un même projet pour la Tunisie et bénéficient
d’un capital de sympathie et de confiance non négligeable, ont déjà chèrement
payé leurs brouilles, par le passé. Ils ne semblent pas réaliser qu’ils ont
aujourd’hui une responsabilité historique à se rapprocher -sans se fondre, ni se
renier- dans la perspective de l’échéance du 24 juillet (en dépit du mode de
scrutin retenu) avec l’objectif d’être une véritable alternative face aux
courants réactionnaires qui cachent à peine leurs desseins hégémoniques.

La presse enfin, longtemps muselée ou volontairement alignée, n’est pour
l’essentiel pas encore capable d’apporter au citoyen qui se cherche une
information fiable à défaut d’être objective ni une analyse pertinente qui
permettraient d’appréhender l’ampleur des enjeux. Elle n’offre pas non plus un
espace de débat réel et équilibré avec toutes les forces politiques et autorités
concernées.

Les plateaux télé permettent à des «invités» en mal de reconnaissance de lancer
des attaques ad hominem, sans qu’il y ait un rappel à la modération et à
l’ordre, alors que se pose non seulement un problème d’éthique mais également un
problème de responsabilité pénale.

Quant à la presse écrite, trop longtemps habituée à relayer les dépêches des
agences, il est fréquent d’y relever des titres sortis de leur contexte ou des
faits ni vérifiés ni analysés. Ils participent à la confusion ambiante, à telle
enseigne que certains en soient à regretter que rien n’ait été trouvé pour
compenser la disparition du ministère de la Communication.

Face à l’immensité des défis et à la complexité de la situation tant au plan
national qu’international avec les conséquences de la guerre en Libye et
l’instabilité dans toute la région, l’essentiel reste à faire: transformer
l’essai et faire en sorte que l’échéance du 24 juillet soit réellement celle du
début de l’édification d’un Etat démocratique.

Or, le temps nous est compté. Nous observons peu de postures politiques
rationnelles et constructives, comme on entend peu de propos raisonnables. Même
les survivants de l’ère Bourguiba, à l’instar de Mestiri et Ben Salah, même que
l’âge aurait dû porter à la sagesse, après qu’ils aient volontairement gardé le
silence des années durant, ils ne font que brouiller les esprits avec des
propositions peu réalistes quand elles ne sont pas complètement fantaisistes.

Sachons nous ressaisir et mettre les égos en sourdine et prouver ainsi, à
nous-mêmes et au monde, que nous sommes vraiment fidèles à cette révolution et à
tous ceux qui sont morts pour que la Tunisie soit meilleure. Comme le dit Edgar
Morin, “A force de sacrifier l’essentiel pour l’urgent, on finit par oublier
l’urgence de l’essentiel”.