La Tunisie à la recherche de sources d’inspiration pour sa transition démocratique


konrad-21022011-art.jpgLa fondation Konrad Adenauer Stiftung et la Chaire Unesco d’études comparatives
de religions ont organisé une journée d’étude le 15 avril sur le thème:
«Révolutions et transitions démocratiques: Témoignages croisés, études
comparées». Des témoins de quatre transitions démocratiques (Espagne, Pologne,
ex-Allemagne de l’Est et Roumanie) et un membre de l’instance marocaine “Equité
et Réconciliation“ ont participé à cette journée en exposant les expériences de
leurs pays respectifs et leurs témoignages personnels sur des périodes qu’ils
avaient vécues.

Le professeur Mohamed Haddad, titulaire de la Chaire Unesco, et Thomas Schiller,
représentant de la fondation Konrad Adenauer Stiftung, ont ouvert le débat en le
situant dans cette période que traverse la Tunisie et dont la suite aura un
impact sur toute la région…

Le Professeur Haddad a rappelé que le monde a connu trois vagues de révolution.
La première, qu’on peut qualifier de classique, a été celle des révolutions
anglaise, française et américaine. Il y a eu ensuite la vague des révolutions
idéologiques dont la bolchévique, la chinoise et l’iranienne en 1978. La
troisième est celle des révolutions démocratiques déclenchées depuis 1989 en
Europe de l’Est mais qui s’est propagée et dont font partie, désormais, les
révolutions tunisienne et arabe.

La caractéristique principale de la révolution tunisienne est qu’elle est sans
idéologie, sans leader et sans avant-garde ou élite. Au début, ce déclenchement
était un avantage, mais il deviendra vite un inconvénient dès lors qu’on s’est
retrouvé sur une Avenue Bourguiba devenue l’Athènes d’aujourd’hui où le Forum
est ouvert tous les jours à qui le veut…

Cependant, cette période transitoire nous révèle que les exigences de
l’information, celle des débats contradictoires et celle de la volonté d’arriver
à une entente sont les conditions sine que none pour avancer.

Le professeur Haddad soulignera dans ce sens que les défis à relever sont
énormes. Le premier est un défi de générations. La révolution tunisienne est
faite par des jeunes, et la classe politique n’est pas jeune, d’où une
nécessité, pour elle, de se rajeunir, surtout que depuis 23 ans il n’y avait pas
de vie politique dans le pays, au sens doctrinal du terme.

Le deuxième défi concerne le rapport entre le besoin de travail et le besoin de
liberté, d’où l’impératif de trouver les moyens à même de ni se contredire entre
ces deux besoins ni de se tromper d’urgence.

Le troisième défi concerne le rapport entre les sensibilités islamiques et les
sensibilités sécularisées pour ne pas dire laïques. Comment trouver le
consensus? Par une charte républicaine ou par un pacte? Ou par d’autres moyens?

Les Tunisiens ont besoin, aujourd’hui, d’apprendre une culture de compromis
qu’ils ne connaissent pas. Le régime despotique a contribué à gonfler les egos,
et depuis 23 ans, il a éliminé tout dialogue. Ce qui fait que chacun s’est
construit son monde à lui sans savoir ni échanger ni partager avec les autres…

La Tunisie a eu le privilège d’avoir été le premier pays arabe à avoir aboli
l’esclavage(1846), à s’être doté d’une constitution moderne (1861); elle a été
parmi les premiers pays arabes à voir se constituer des partis et des syndicats
et à avoir mis en place un Code de Statut Personnel égalitaire. Elle doit –ou
devrait- réussir aujourd’hui la première transition démocratique arabe…

Le Docteur Bronislaw Wildstein, membre fondateur du syndicat Solidarnosc,
exposé, lors de cette première journée, certains côtés de l’expérience polonaise
à travers ce qu’il a vécu et pu observer. Il estime que la Pologne n’a pas
éradiqué le communisme et cet état de fait retarde l’installation d’un système
complètement démocratique.

Le Dr Wildstein soulignera que la système totalitaire a mis en place une
nomenklatura composée de cadres dont on peut résumer le profil par la triptyque
vérifiable dans tout système despotique, à savoir que le fonctionnaire doit être
surtout «fidèle, médiocre et passif». La transition sera faite par des
fonctionnaires de ce type car on ne peut pas changer toute l’administration du
pays, a rappelé l’ancien syndicaliste.

Cette situation a permis que les mêmes juges continuent à exercer avec les plus
corrompus d’entre eux. Du coup, toute une frange de la population n’a pas été
inquiétée bien qu’elle ait été impliquée. Les intellectuels du régime communiste
sont devenus des libéraux, les universités ont continué avec la même
administration d’avant la révolution. La police politique a été dissoute mais
les policiers ont été affectés à d’autres polices et on continué leur travail
comme avant …

Concernant l’économie, le Dr Wildstein précise que la nomenklatura du régime
communiste a fait main basse sur les biens de l’Etat car personne ne voulait ni
ne pouvait gérer la pagaille postrévolutionnaire, alors le moindre mal était de
mettre un fonctionnaire à la tête de telle entreprise ou de telle banque…

Le syndicaliste polonais a également mis en cause le rôle de l’Eglise polonaise
qui, par son conformisme, a contribué à faire baisser la vindicte populaire.

Par ailleurs, notre interlocuteur n’a pas manqué de mettre en exergue le rôle de
la femme, des médias… et en soulignant au passage que l’éducation n’a pas changé
depuis l’époque communiste, ce qui contribue aussi à cette appréciation d’échec
que certains ressentent en Pologne.

Les témoignages ont continué tout au long de cette journée. C’est ainsi qu’on a
pu écouter et partager l’expérience de l’ex- Allemagne de l’Est (République
démocratique d’Allemagne) avec M. Wolfgang Mayer, sans oublier les expériences
roumaine avec M. Cristian Pirvulescu, espagnole avec le témoignage du Dr. Ramon
Petit Miret.

Hamid El Kam, pour sa part, a présenté de son côté l’expérience très instructive
du Comité marocain “Equité et Réconciliation“.