Tunisie- Gouvernement de transition : Un déficit de communication flagrant!

Depuis sa formation, deuxième version, le gouvernement de transition, accouché
au forceps, après le sit-in d’El Kasbah, les semonces de la société civile et
les laborieuses tractations entamées avec les nouvelles forces sociales
montantes du pays, qui ne se sont jamais cantonnées au rôle d’auxiliaire docile
du pouvoir au temps de sa gloire (UGTT, Ordre des Avocats, Ligue Tunisienne des
Droits de l’Homme, partis politiques …), se laisse porter par le courant. Peine
à retrouver ses marques. Ne vit pas ses plus riches heures de communion avec les
médias. Manque de charisme. Manie des slogans nunuches. Agace de larges pans de
l’opinion publique. Succombe à l’incantation. Louvoie. Se cambre.Tergiverse.
Traîne. Au lieu d’entraîner. Antagonise. Au lieu de rassembler. Inquiète. Au
lieu de rassurer. Ce qui pousse les bouches à s’ouvrir et les appétits à
s’aiguiser.

Tant d’amateurisme est révoltant. Inquiétant. Alarmant. Angoissant. Effrayant.
Or, les Tunisiens sont en droit d’attendre de la nouvelle équipe au pouvoir des
décisions économiques en rupture avec l’ancien ordre, des actes sécuritaires
fermes relatifs à la stabilité nationale, des initiatives audacieuses pour
contrer l’anarchie ambiante et des mesures politiques cohérentes capables de
rassurer les forces du marché, les financiers, les entrepreneurs, les dirigeants
des PME du pays, actuellement sur le qui-vive devant l’incohérence
gouvernementale, la poussée de la fièvre revendicative, la montée en force du
discours gauchisant et la désinvolture de l’UGTT face aux agissement de ses
structures de base, pour qui le panier de l’Etat Mama est indestructible. Là, on
aurait presque envie de s’écrier: «Marx, reviens, ils sont devenus fous». Car
une entreprise a besoin de maîtriser le temps. Elle doit pouvoir décider
elle-même quoi investir, quoi céder, et à quel rythme. Elle a besoin de
continuité dans le management. Elle a besoin de tenir le cap au moment où tout
le monde s’agite.

Au fait, nous dit un vieil observateur de la scène locale, à vouloir contenter
tout le monde sans fixer de cap, sans s’adosser aux avantages d’une stratégie de
communication édifiante, pédagogique, aux prises avec le réel, le gouvernement
de transition, pourtant sous l’influence, nous dit-on, des terribles Atugiens
-ces supermen du relationnel, parachutés, au lendemain du 14 janvier, à La
Kasbah, sous l’aile protectrice de Hakim Karoui, homme de réseaux, établi à
Paris, patron des «Jeunes leaders de la Méditerranée», dont les amitiés et les
accointances passées font couler actuellement beaucoup d’encre sur le Net-,
aboutit à l’effet inverse, semant la confusion, frustrant les soutiens,
désarçonnant les compagnons de route, vexant les indécis, avivant les
oppositions. Pour se retrouver à la fin gravement isolé. Vilipendé. Fragilisé. A
la merci des flots et des vents. Parler, ce n’est pas capituler, mais se
positionner, se donner des leviers. Car le style, disait le Général de Gaulle,
c’est l’écume des choses.

Cela dit, dans une période post-révolutionnaire, une phase allante par
excellence, passionnée de nature, rebelle, émotive, rétive, où le personnel
politique, quels que soient son bord et son positionnement antérieur, peut
sortir groggy du combat à tout instant, les vrais gagnants, disait Malraux,
homme de culture et figure emblématique de la gauche française, se signalent
toujours par leur capacité à entrevoir des solutions inattendues. A susciter
l’adhésion. A hiérarchiser les objectifs. A placer le curseur au bon niveau. A
prendre de la hauteur. Apparemment, certains dirigeants de cette période
transitoire, dont certains peinent à s’exprimer en arabe, ont un autre agenda.
Se sanctuarisent dans leurs bureaux. S’isolent du personnel administratif
existant. Affichent des postures suffisantes. A la limite du mépris. Ce qui est
de nature à favoriser la démobilisation d’une administration déjà malmenée, en
proie au doute et dont l’ossature fait tout pour se mouvoir à nouveau dans les
eaux versatiles de la révolution.

Seule une poignée de ministres chevronnés, endurcis, professionnels de la
politique, habitués aux joutes, aux duels, issus de l’opposition radicale,
survivants d’une époque rédhibitoire, domine le quotidien, sans subir l’usure,
éveille les ambitions, se sert de tous les leviers possibles. Prends de la
hauteur. Esquive. Fait front. Concède, Corrige. Se distingue. Argumente. Se
moque. Réaffirme ses positions. Anime, avec brio, les plateaux de télévision. Se
vedettise. Et le charme se fait arme. Au grand soulagement de la plupart des
Tunisiens, désireux de s’accorder, de croire, de sortir au plus vite des
bourrasques, de se dégager de la gangue. De l’hypocrisie. De la forfaiture. Afin
d’échapper à la balourdise des idéologies, au monde de l’ingérence, qui n’est
pas une panacée, affirme un syndicaliste à la retraite, mais un prolongement
fidèle du monde de la géopolitique réelle, avec ses rapports de forces et ses
luttes d’influences.