Hommes d’affaires turcs, le commerce pour conquérir le marché tunisien

La visite en Tunisie du 1er au 3 décembre 2010 d’une délégation turque présidée par le ministre d’Etat Dhafar Tchagueliane, et constituée en grande partie d’exportateurs et opérateurs qui cherchent des opportunités de représentation en Tunisie, annonce par sa composition même la couleur : la volonté de conquérir le marché tunisien et y conforter la présence économique ottomane.

Les rendez-vous fixés avec les chefs des départements économiques ministériels comprenant celui du Commerce et de l’Artisanat, celui du Développement  et de la Coopération internationale, du Transport, de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, de l’Industrie et de la Technologie et qui seront couronnés par une rencontre avec Mohamed Ghannouchi, prouve l’intérêt des opérateurs turcs pour le marché tunisien.

Cet intérêt va-t-il dans le sens d’un partenariat gagnant/gagnant ou plutôt dans le sens d’échanges commerciaux inégaux? Il suffit d’attendre pour voir et savoir.

Dans l’intervalle, les entretiens des opérateurs turcs guidés par leur ministre ne s’arrêtent pas aux institutionnels, ils concernent également les privés avec lesquels, ils démarrent les travaux du Conseil d’Affaires tuniso-turc. Les membres du Conseil d’Affaires avaient, au mois de mars dernier, débattu au siège de l’UTICA des potentialités d’affaires et de partenariat avec la Turquie et des moyens de renforcer les relations économiques et commerciales entre les deux pays en se focalisant sur certaines niches de produits et de services, notamment les BTP, les matériaux de construction et les bureaux d’études. Parmi les suggestions, une antenne à Istanbul sous l’égide du CEPEX pour mieux se positionner sur le marché turc. Proposition judicieuse si elle venait à voir le jour.  

Des échanges commerciaux largement à l’avantage de la Turquie

Les échanges commerciaux de la Tunisie avec la Turquie ont atteint, en 2010 en exportations, un peu plus de 209 MDT, soit moins de 39,2% qu’en 2008 (378,529 MDT) et plus de 16,3% qu’en 2009 (179.654 MDT). Les importations ont, pour leur part, augmenté de 228.1 MDT en 2010, soit plus de 46% que les réalisations de l’année 2009.

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La balance commerciale largement excédentaire à l’avantage de la Turquie conforte sa position sur le marché Tunisie et dénote d’une stratégie commerciale agressive de la part des opérateurs privés turcs.

Les produits tunisiens exportés vers la Turquie sont axés sur les hydrocarbures et leurs dérivés, les dattes, certaines composants automobiles et produits domestiques et électriques. Parmi les entreprises privées qui opèrent sur la Turquie, citons la société Valeo, Boudjbel, Zodiac, la Rose des Sables, Sitex, Tannerie Mégisserie du Maghreb, Société de développement agroalimentaire de Tunis et autres, soit au total 27 entreprises.

La Tunisie importe de la Turquie près de 20 produits comprenant différentes qualités de tissus, des véhicules agricoles, des compresseurs, des pelles mécaniques, des tubes et tuyaux utilisés pour les oléoducs ou gazoducs et différents produits en fer ou en acier.

La Turquie, 15ème économie mondiale, présente les caractéristiques d’une économie dynamique et stable, bien intégrée dans l’économie régionale et internationale. Le commerce extérieur représente plus de la moitié du PIB du pays qui possède l’une des plus grosses agricultures d’Europe Orientale et du Moyen-Orient*. Les paysans y représentent environ 35,9% de la population active, 22,8% vivent de l’industrie qui reste concentrée dans les grandes villes. Et parmi ses plus grandes industries, le bâtiment, la construction et l’automobile, un des piliers de l’économie turque, regroupant plus de 1.000 entreprises et employant 500.000 personnes. Le secteur occupe la deuxième place au niveau des activités exportatrices du pays.

Les relations commerciales entre la Tunisie et la Turquie sont régies par l’Accord instituant une zone de libre-échange signé à Tunis le 21/11/2004. L’exonération totale des droits de douane et taxes d’effet équivalent à l’importation et à l’exportation des produits industriels d’origine tunisienne exportés pour la Turquie et des produits industriels turcs non prévus dans les trois premières listes du protocole numéro 1 joint à l’Accord.  L’Accord stipule un abattement progressif des droits de douane et taxes d’effet équivalent à l’importation en Tunisie des produits d’origine turque ainsi que le traitement privilégié sur les produits agricoles d’origine tunisienne.

Mais vu la balance commerciale tunisienne déficitaire en faveur de la Turquie, on voit bien que la Tunisie ne profite pas aussi bien des facilités d’accès au marché turc comprises dans l’accord de libre-échange entre les deux pays. Ce n’est pas le cas des Turcs auxquels la culture de conquête a permis, à la fin du 10ème siècle, d’occuper les devants du monde islamique et devenir l’un des plus puissants empires de l’histoire de l’humanité.  Aujourd’hui, à l’orée de ce 21ème siècle, ils y occupent toujours la première place mais cette fois-ci économique.

Eh oui, l’esprit de conquête, c’est surtout et avant tout une culture et un héritage. Il faut faire l’effort de s’y imprégner pour l’acquérir et devenir des conquérants.

En jargon footballistique, on dit toujours que l’attaque est la meilleure défense. Serions-nous mieux nantis, si nous passions de ceux qui subissent à ceux qui agissent? Assurément.