Tunisie : L’Orientation universitaire, la bonification géographique des scores est-elle encore justifiée ?


orientation_01092010-art.jpgAprès
l’épreuve du bac, l’orientation est considérée pour bon nombre de parents comme plus importante que le résultat du bac
lui-même. C’est une phase critique et hyper importante, qui détermine les
grandes lignes de leurs avenirs socioprofessionnels.

L’orientation est pour l’essentiel un concours entre les bacheliers pour accéder
aux meilleures institutions, écoles ou facultés ; concours qui se décide sur la
base de scores.

Le score d’un candidat désirant intégrer une institution d’enseignement dépend
de ses notes au Bac, et de l’octroi ou non d’une bonification dite
«géographique». Le candidat peut ne pas obtenir cette «bonification» selon
l’appartenance géographique du lycée du candidat en rapport avec l’institution
souhaitée. La valeur de cette bonification est égale à 7% d’un score calculé a
partir des notes obtenues aux épreuves du Bac. La bonification est non
plafonnée.

Historique

L’instauration de cette bonification a été faite dans un contexte historique
marqué par l’augmentation sensible du nombre d’étudiants et la réduction de la
proportion des étudiants bénéficiaires des différents services sociaux de l’ONOU
(Office national des œuvres universitaires), tels que l’octroi des bourses,
l’hébergement, la restauration, etc.

Ainsi, la bonification géographique a été justifiée comme moyen pour emmener les
étudiants à effectuer des études dans des institutions non lointaines de leur
résidence familiale afin, déclarent-on, de modérer les effets financiers à
supporter par les familles et résultants de la divergence des évolutions sus
cités.

Il est intéressant de constater que, malgré des décennies d’existence, il y a
encore absence d’études ou de rapport d’évaluation publiés et portant sur les
effets de cette bonification, et de sa pertinence. Contre toutes attentes, la
récente réforme des calculs des scores opérée il y a moins de deux ans l’a
épargnée. Etablie depuis des décennies, cette bonification n’a jamais été
acceptée par tous. Et pour causes !

Tout d’abord, une objection de principe : cette bonification semble se fonder
sur une transgression du libre choix des étudiants et de leur famille quant à
l’établissement de leur priorité.

Puis y a-t-il vraiment une différence significative pour un étudiant d’effectuer
ses études à 70 km, ou à 90 km, à 150 km ou 180 km, à 220 km ou 340 km ?
D’autant plus que les distances de références sont celles séparant les centres
de gouvernorats et non des instituions universitaires et des lycées, ce qui
offre parfois des situations anecdotiques.

Les objections les plus importantes sont relatives aux effets discriminatoires
que la bonification a institués. Deux types d’inégalités sont apparus comme
conséquence :

– inégalité à l’accès aux meilleures institutions pour une même spécialité ;

– inégalité pour l’accès à certaines études (médicine par exemple).

Nouvelles priorités pour les familles

Depuis la mise en place de la bonification géographique, nombre d’éléments se
rapportant aux études au supérieur ont évolué, créant une nouvelle situation, où
le coût supporté par les parents n’est plus l’élément déterminant pour se
décider sur son orientation. L’évolution de la situation de l’emploi des
diplômés, qui est devenue plus tendue au fil des années, a propulsé
l’employabilité au devant de la scène en tant que facteur prioritaire dans le
choix des études.

Le nombre d’étudiants migrants pour faire des études médicales au Sénégal, en
Ukraine en passant par le Maroc, avec les coûts qui vont avec, en fournit une
preuve bien convaincante. La remarque peut aussi être faite pour les études
d’ingénierie, où nombre de jeunes effectuent leurs études en Europe ou en
Amérique du Nord.

Ce constat à lui seul, reléguant le facteur coûts des études à d’autres
priorités, autorise à discuter de la pertinence de la bonification géographique
dans sa forme actuelle.

Bonification ou confinement ?

La création de nouvelle instituions d’enseignement supérieur, faisant passer le
nombre d’universités à 13 contre 6 en 1996, institutions qui sont peu connues
par les employeurs, puisque nouvelles, sans grande tradition, puisque récentes,
ni beaucoup de contacts avec le monde économique, puisqu’ayant peu de diplômés
en activité. C’est parmi ses nouvelles universités aussi que l’encadrement
académique est parfois limite en nombre et en niveau : logiquement, et dans le
cadre d’une orientation accordant une plus grande autonomie aux universités, ce
sont les diplômés des institutions qui doivent avoir le plus de difficultés
d’accéder à l’emploi. Malgré les efforts considérables dispensés durant les
dernières décennies, la répartition des institutions universitaires sur le
territoire reste peu équilibrée en termes de palmarès «informel» d’employabilité
des diplômés, et aussi en termes d’enseignement de spécialités.

«Encourager» un élève dont le centre du gouvernorat du lycée est proche de ces
institutions naissantes, dans les faits, c’est limiter son ambition de
poursuivre les études dans les meilleures institutions du pays, c’est-à-dire le
pénaliser. Ainsi, la bonification géographique s’apparente davantage -pour des
centaines voir des milliers d’étudiants- à un outil de confinement social.

L’évolution qu’a connue le système de l’enseignement supérieur couplée avec la
situation de l’emploi des diplômés, ceci a rendu cette bonification dans les
faits un handicap pour les uns et un avantage pour les autres pour accéder aux
institutions à forte ou meilleure employabilité.

Une telle situation semble bien, aux yeux de la morale et de l’éthique, et
peut-être aussi de la loi non équitable. Il serait d’ailleurs bien curieux de
connaître l’avis du Tribunal administratif si la question lui était soumise.

La logique qui prône le choix de sacrifier une partie substantielle de ses
chances d’accéder à un potentiel statut socioprofessionnel et à avoir des
meilleures possibilités de décrocher un emploi, sous prétexte de faire une
économie sur les frais liés aux études, cette logique peut ne pas convaincre
tout le monde.

La bonification et égalité des chances

La valeur de la bonification géographique est de 7%. Et c’est énorme. Pour un
élève ayant la mention “Bien“ ou “Très bien“, 7% a le même effet sur le calcul
des scores que d’ajouter un point ou plus dans toutes les matières, et autant
dans la moyenne générale.

En se basant sur le guide d’orientation à l’intention des bacheliers 2010, et
pour les études de médecine, prises à titre d’exemple (page 45 version arabe),
on observe que la différence entre les derniers scores des admis dans deux
facultés est de 10 à 12 points, ce qui correspond au 7% de bonification.

La signification de ces chiffres est que les études de médecine ont été refusées
pour des élèves ayant une moyenne au Bac de l’ordre 16.5/20, alors que d’autres
élèves ont pu y accéder très légalement avec une moyenne au Bac et des notes
inférieures d’un point. L’explication est géographique, voire régionale. Elle
n’a rien à voir avec le mérite ni le talent.

La bonification géographique peut être ressentie comme une pratique
discriminatoire à base régionale, en incohérence avec le principe de l’égalité
des chances et en contradiction avec les valeurs de la justice sociale.

Réformer profondément

Il est à remarquer que cette bonification s’applique à toutes les formations
dispensées par deux institutions ou plus similaires. Le taux de 7% est unique.
Ces généralisations paraissent mal adaptées.

Le démantèlement de la bonification géographique relève du respect des principes
moraux voire juridiques, de justice et d’égalité. Pour les études les plus
prisées, tels que médecine et instituts préparatoires pour les études
d’ingénieurs, son abolition devient urgente.

Pour les autres études, le taux de 7% est élevé de fait, c’est un handicap
indéniable pour les uns et un avantage substantiel pour les autres. Le taux de
7% serait logiquement réduit à une valeur symbolique de l’ordre de 2% et la
bonification plafonnée a 3 points.