Sûreté du nucléaire civil : la France exige des normes strictes, mais pas la démocratie

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ées de la centrale nucléaire du Tricastin, le 27 Août 2008 à Bollène. (Photo : Jeff Pachoud)

[09/03/2010 17:18:57] PARIS (AFP) Cherchant à promouvoir son réacteur EPR, censé être le plus sûr du monde, la France se fait l’apôtre de normes de sûreté nucléaire très strictes, mais sans y inclure l’une des plus essentielles, la démocratie, susceptible de lui faire perdre des marchés.

Vingt-deux ans après l’accident de Tchernobyl, Nicolas Sarkozy avait convié lundi et mardi à Paris 65 pays à une conférence visant à faciliter leur accès au nucléaire civil.

Le président de la République y a prononcé un vibrant plaidoyer en faveur du développement de l’atome civil, notamment pour les pays pauvres.

Fidèle à la doctrine française, il s’est aussi prononcé en faveur des “normes les plus strictes” en matière de sûreté.

“La sûreté nucléaire n’est pas un enjeu national, c’est une préoccupation collective (…) Il est nécessaire de confier la supervision à une autorité de sûreté indépendante”, a insisté Nicolas Sarkozy.

Lui emboîtant le pas, les responsables de l’industrie nucléaire française ont réaffirmé leur opposition à un nucléaire bon marché, dont la sûreté serait bradée.

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à Paris lors d’une conférence internationale sur le nucléaire civil (Photo : Philippe Wojazer)

“La théorie du nucléaire +low cost+ ne tient pas la route. Il n’est pas possible d’imaginer le nucléaire autrement que dans des conditions de sécurité optimales”, a ainsi assuré Henri Proglio, PDG d’Electricité de France (EDF).

Au diapason, la présidente d’Areva Anne Lauvergeon a jugé qu’il fallait construire “ce qu’il y a de plus solide et de plus sûr”.

“C’est un devoir vis-à-vis des générations futures”, a-t-elle affirmé.

Mais les patrons du nucléaire hexagonal se font par la même occasion les promoteurs du produit-phare de la France: l’EPR.

Ce réacteur nucléaire de 3e génération est en effet présenté par ses concepteurs comme l’un des plus sûrs du monde, censé par exemple résister à un tir de missile ou à la chute d’un avion de ligne.

L’inconvénient est que ce niveau de sûreté rend l’EPR très cher et qu’il doit désormais affronter la concurrence de réacteurs moins sûrs et meilleur marché.

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éma explicatif et carte (Photo : Paz Pizarro)

En décembre, la France a ainsi perdu un contrat de 20 milliards de dollars aux Emirats Arabes Unis, qui ont préféré acheter un réacteur coréen.

Dans le but évident de soutenir l’industrie française, Nicolas Sarkozy a demandé lundi à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’établir un classement des réacteurs nucléaires “selon le critère de la sûreté”.

“Aujourd’hui, le marché ne classe que selon le critère du prix”, a déploré le chef de l’Etat.

En terme de sûreté, la doctrine française n’est cependant pas sans limite.

Rares sont en effet les dirigeants hexagonaux qui mentionnent l’importance de la démocratie et de la liberté d’information pour la sûreté des populations dans le secteur nucléaire.

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ée du Centre de l’énergie atomique (CEA) travaille dans la salle de contrôle du réacteur de recherche français Osiris le 24 février 2010 à Saclay (Photo : Lionel Bonaventure)

La catastrophe de Tchernobyl, en Ukraine, en a pourtant apporté la preuve.

Le 26 avril 1986, alors qu’un réacteur était en feu et dégageait des matières radioactives dans l’atmosphère, les 50.000 habitants de la ville voisine n’étaient prévenus de rien et vaquaient à leurs occupations. Ils ne furent évacués que 36 heures plus tard.

“La sûreté nucléaire paraît difficile sans un minimum de démocratie”, souligne ainsi André-Claude Lacoste, président de l’Autorité française de sûreté nucléaire. “Je ne peux pas imaginer de sûreté nucléaire dans un pays s’il n’y a pas la possibilité de poser des questions et de critiquer”.

Mais inclure la démocratie dans les normes de sûreté nucléaire conduirait la France à se priver de marchés juteux, au moment même où elle démarche les pays du Moyen-Orient et construit deux EPR en Chine.