Ressource renouvelable : Exportons les Tunisiens !

La Tunisie a su tirer profit de sa situation géographique
stratégique (vous pensez bien que bien du monde passe par un carrefour des
civilisations) et surtout, en l’absence de ressources naturelles conséquentes,
de la matière grise de ses habitants. Ces éléments étant posés, certains ont
poussé un peu plus loin la réflexion. Dans une économie mondialisée, et à l’ère
du néolibéralisme, on exporte tous azimuts. Autant vendre donc ce que l’on a de
mieux, pour réaliser de meilleures affaires. Il s’agit ici de la fameuse loi des
avantages comparatifs qui stipule que l’on se spécialise dans les secteurs où
l’on est le plus compétitif.

La conclusion est claire : la Tunisie aura intérêt à se spécialiser dans
l’exportation des… Tunisiens.

Né au beau milieu du carrefour (méditerranéen), où se croisent les cultures
les plus diverses, le Tunisien est naturellement doué pour les langues. Dès
l’aube de l’Indépendance, ses gouvernements ont fait le pari de le former, de
l’éduquer, pour lui prodiguer le meilleur enseignement. Le Tunisien servira donc
son pays sur place, et à défaut, son exportation lui permettra aussi d’injecter
des devises fortes pour le plus grand bien de la mère patrie.

Autant de facteurs fondamentaux qui ont permis par exemple à notre «Agence
tunisienne de coopération technique (ATCT) de battre des records durant l’année
2008, dans «le placement des compétences tunisiennes à l’étranger et celui de la
coopération sud-sud». 2069 Tunisiens répartis sur plusieurs secteurs, notamment
l’enseignement, la santé, le sport et l’administration, ont ainsi été «placés»
l’année écoulée. L’agence TAP souligne que «ces résultats ont été réalisés grâce
à la confiance qu’accordent les employeurs étrangers à l’ATCT ainsi qu’à la
qualification des compétences tunisiennes». Sans même parler de ceux qui se sont
exportés sans passer par l’Agence de Coopération. Un menu fretin passé entre les
mailles des filets et autres fourches caudines qui font le tri entre les cadres
supérieurs et les petits ouvriers guère spécialisés.

L’Office des Tunisiens de l’Etranger ira jusqu’à affirmer que «les transferts
effectués par les Tunisiens à l’étranger se trouvent parmi les sources
principales de devises pour le pays». Pour les amateurs de chiffres, on notera
ainsi que «les transferts enregistrés durant les vingt dernières années
totalisent 21.825 millions de dinars dont 76%, soit 16.660 MDT, en numéraire et
24%, soit 5.165 MDT, en nature».

Sous la rubrique «Compétences disponibles», notre ATCT dénombre ainsi 490
spécialistes en hautes technologies (télécommunications, électronique,
électricité) prêts à partir. 2.200 enseignants sont sur la brèche (effet CAPES,
peut-être). 1993 cadres de la santé bons à être exportés. Des opérations «tout
bénéfice», puisque ces transferts de main-d’œuvre éduquée permettront aussi de
faire baisser la pression sur le marché du travail local. Et autant dire que la
gestion des stocks n’est pas toujours facile. Les «invendus» sur le marché local
ne sont pas toujours faciles à écouler. Il n’empêche. Nos exportations en
main-d’œuvre décollent, et nous assurent un joli pactole.

Un petit problème risque toutefois de se poser dans quelques décennies. Les
Tunisiens ont beau constituer une ressource renouvelable, elle n’est pas
inépuisable pour autant. Parce que la crise de l’emploi au niveau national cause
aussi quelques dommages collatéraux. Elle tend ainsi à limiter la reproduction
naturelle des forces productives. Les Tunisiens qui reportent de plus en plus
souvent leur mariage aux Calendes grecques (ces autres voisins au carrefour des
civilisations), semblent montrer quelques réticences à se multiplier. Ce qui
remettrait en cause nos fameux avantages comparatifs. Auquel cas, il faudrait
peut-être songer à limiter les exportations de nos cadres.