Hubert Védrine : ‘’ Les Etats au sud du Bassin méditerranéen n’ont jamais brillé au niveau des compromis…’’

De tous les hommes politiques français, c’est sans doute l’un
des plus énigmatiques sous l’apparence d’une simplicité bonhomme. Drôle,
brillant, rapide. C’est un orateur efficace et un débatteur hors pair. Bon
vivant, consensuel, facile d’accès. Figure de proue de la Mitterrandie, animal
de campagne, il a réussi à arracher, dans l’ambiance délétère de la
cohabitation, l’estime de Jacques Chirac, pourfendeur acharné de la cohorte
socialiste de l’époque.

Inépuisable parleur à la tête du Quai d’Orsay, il est le prototype de
l’intellectuel organique doté d’un sens très aigu des réalités d’un monde
éclaté, dit-il, où les passions identitaires s’arriment à des projets
centrifuges.

Invité de marque du Forum des Jeunes leaders de la Méditerranée, tenu du 16 au
18 octobre 2008, dans la banlieue nord de Tunis, il s’est volontiers prêté aux
questions de Webmanagercenter.

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Webmanagercenter : Peut-on parler d’une réussite du Forum ?

Hubert Védrine : Toutes les initiatives porteuses d’ouvertures, de
complémentarités et de rapprochements entre les peuples du pourtour
méditerranéen sont les bienvenues dans un monde où la régionalisation des
modes de gouvernement prend de plus en plus le dessus pour répondre aux
défis complexes d’un ordre marchand polycentrique, avec une ou deux
puissances majeures sur chaque continent, faisant de chaque minute de la vie
des citoyens une occasion de produire, d’échanger ou de consommer.

Cette première édition du Forum des jeunes leaders méditerranéens est en
mesure, à mon avis, de bâtir des passerelles de compréhension grâce à un
travail de réseautage et de maillage des différents agitateurs d’idées
économiques de part et d’autre de la mare Nostrum.

Doit-on associer les politiques à ces initiatives ?

Les forces étatiques de la région, surtout au sud du Bassin
méditerranéen, n’ont jamais brillé au niveau des compromis, préférant, le
plus souvent, gérer les humeurs des opinions publiques, surfer sur les
crispations identitaires et privilégier les intérêts à court terme des Etats-
nations au détriment de la promotion d’un partenariat supranational, seul à
même d’ériger des espaces industrieux, fiables et dynamiques.

En Europe, par exemple, on n’arrive pas à comprendre l’incapacité des
pays maghrébins, en dépit d’un legs historique et religieux commun, à
s’entendre, à s’arrimer et à imbriquer leurs intérêts pour pouvoir peser
dans le concert des rapports de forces du monde. A cause de ces pesanteurs,
l’espoir réside dans le tissu associatif, les binationaux et l’élan
volontariste de la société civile des deux rives pour donner corps à des
actions concrètes et dépasser les clivages culturels.

Mais le nord pêche aussi par indifférence ?

Généralement les pays nordiques n’ont pas de sensibilité méditerranéenne
pour des raisons géographiques et historiques compréhensibles. Mais les
sœurs latines aussi peinent, dans le cadre de l’Union européenne et du temps
où j’étais à la tête de la diplomatie française, à homogénéiser leurs
politiques vis-à-vis de l’ensemble maghrébin. L’Espagne n’a d’yeux que pour
le Maroc et l’ouest algérien, l’Italie est obsédé par la Libye tout en
lorgnant vers la Tunisie, et la France, poids de l’histoire oblige, est dans
l’obligation morale d’équilibrer ses relations avec sa façade sud, ce qui
requiert une diplomatie agissante, volontariste, capable de dépassionner les
débats à tout moment.