Définir l’intelligence économique : Une notion en pleine évolution

Par : Tallel

D’une
vision centrée sur le renseignement, l’intelligence économique évolue vers
une conception intégrant à la fois l’information stratégique, les rapports
géopoligiques, les facteurs idéologiques et culturels de la guerre
économique, l’infostratégie

 

L’Intelligence économique (souvent réduite à ses initiales «IE») est la
version française de ce que les Anglo-Saxons nomment competitive
intelligence. Dans notre pays, la notion est apparue en 1994 dans un rapport
d’Henri Martre. Celui-ci insistait sur la notion «de recherche, de
traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l’information
utile aux acteurs économiques». Afin de bien distinguer l’IE de l’espionnage
industriel, le rapport soulignait que cette quête du renseignement pertinent
devait se faire dans le respect de la légalité.

 

L’intelligence économique est d’abord interprétée comme l’art de savoir ce
qui servira à être performant, à conquérir des marchés,… Cette vision évolue
au cours de la décennie 90 en même temps que les notions de mondialisation
et de société de l’information mais aussi de risque informationnel, d’hypercompétitivité…
Le champ de l’intelligence économique s’élargit ; il ne s’agit plus de bien
protéger ses secrets ou de faire de bonnes fiches sur l’actualité
technologique, la concurrence, la législation d’un État, les brevets… ; il
faut que toute stratégie économique, qu’elle soit d’État ou d’entreprise,
intègre de nouveaux facteurs: les impératifs de l’économie de l’information
et de la connaissance, la fragilité du patrimoine informationnel d’une
entreprise, mais aussi de ses systèmes d’information, de sa réputation, la
dépendance de ses activités à l’égard de l’opinion, des médias, des ONG, des
nouvelles exigences (sécuritaires, éthiques, environnementales) de la
société civile, les nouveaux rapports de protection et de coopérations entre
l’État stratège et ses entreprises les plus sensibles, les facteurs
culturels du comportement économique…

 

Il n’est
pas seulement question d’ajouter de l’intelligence au à l’économie envisagée
comme simple lutte contre la rareté mais de développer une nouvelle
intelligence de l’économie dans le jeu de la puissance, de l’influence, du
conflit, des valeurs…

 

Le
rapport que le député Carayon a consacré a l’IE en 2003 reprend le thème et
souligne trois objectifs auxquels doivent coopérer l’État et les entreprises
:

 

– la
maîtrise du patrimoine scientifique et technologique à protéger en priorité,
ce qui suppose donc des hiérarchies stratégiques

– la
détection des menaces et des opportunités par l’acquisition de l’information
utile

– des
politiques d’influence au service de l’intérêt national et/ou de
l’entreprise.

 

Depuis,
de nombreuses affaires qui ont défrayé l’actualité n’ont cessé de mettre l’IE
sur le devant de la scène, qu’il s’agisse de déstabilisation d’entreprises
ou des débats sur le patriotisme économique.

 

Il faut
donc concilier :

 

– la
protection légale et technique des informations détenues par l’entreprise.
Cet aspect défensif est souvent mis en avant en raison de ses connotations
romantiques –secret, renseignement. S’il constitue la base de la sécurité,
ce n’est pas le plus décisif ;
– la recherche de l’information pertinente par la veille et la coopération.
La veille elle-même se décline en veille prospective, environnementale,
concurrentielle, sociétale… Elle doit ouvrir sur tous les phénomènes non
économiques interférant avec la marche de l’entreprise. Ce processus appelle
un complément, l’anticipation des risques d’image. Il faut aussi déceler les
tentatives de déstabilisation informationnelle, les rumeurs, l’intoxication.
Savoir ce qu’il faut, savoir ce que l’on sait et empêcher qu’autrui ne croie
ou ne sache ce qu’il ne faut pas : autant d’aspects d’une même démarche pour
traduire l’acquisition d’information en capacité d’action ;
– le troisième volet, l’influence qui agit en amont de la performance
économique, suppose la vision la plus large. C’est un mode d’action indirect
sur les perceptions et évaluations d’autrui. Il passe par l’image que l’on
émet (tel le prestige d’un pays), par le message que l’on propage (ce que
les Américains nomment «diplomatie publique»), par les vecteurs et réseaux
que l’on mobilise (les réseaux), et plus souvent encore, par une combinaison
des trois : prestige, persuasion, médiation. L’influence est cruciale,
depuis sa version la plus triviale, le lobbying, jusqu’aux stratégies des
États pour s’ouvrir de futurs partenariats économiques par la diplomatie, la
culture, l’éducation…
 


L’intelligence économique traite de l’information sous forme :


– de données relatives à l’environnement actuel ou futur de l’entreprise,
puis de connaissance pour la décision (tout en empêchant un concurrent
d’acquérir des informations cruciales sur sa propre action),
– l de messages qui détermineront indirectement la décision d’autres acteurs
à travers leurs convictions ou évaluations.
 


Le premier processus (veille et protection) est cognitif et technique (il
agit sur des données), le second (l’influence) est rhétorique et pragmatique
(elle agit sur les gens).

(Source
:
http://www.huyghe.fr/actu_239.htm
)