Harcèlement : Témoignage d’un chef d’entreprise


Propos recueillis par Mohamed BOUAMOUD

harcelement3286.gifMonsieur
(X Ben Y) a accepté de nous entretenir sur un vieux cas de harcèlement
sexuel qu’il a dû gérer à sa manière, mais, en plus de l’anonymat qu’il nous
a demandé (son nom et surtout celui de son entreprise), il a tenu d’abord à
nous faire un petit commentaire qu’il estime plus que nécessaire. Voici,
pour accéder à son souhait, son témoignage intégral :

 

«Je voudrais me permettre de faire cette petite remarque en guise
d’introduction. Il est certain que le harcèlement sexuel est répréhensible à
plus d’un titre ; et l’opinion publique –hommes comme femmes– a horreur d’un
tel comportement qu’elle condamne farouchement. Je suis d’accord. Néanmoins,
réagir à une plainte pour harcèlement sexuel est un piège où peuvent tomber
tous ceux et celles qui le condamnent. Car il y a d’abord la difficulté
quasi insurmontable de prouver le harcèlement –sauf, évidemment, s’il y a
des témoins. J’ajouterais en pesant tous mes mots que même le témoin
–généralement une femme– peut être complice d’une simple machination, car je
vois mal un harceleur en train de tenter sa chance auprès d’une femme et en
présence d’un témoin. Ceci dit, il y a plus grave que cela : qui peut
affirmer sans risque de se tromper que telle plaignante n’a pas fabriqué son
accusation de toutes pièces rien que pour nuire à la réputation de son
supérieur ?… Ce que je veux dire, c’est que l’on peut être amené à
sanctionner un fonctionnaire sur la base d’une plainte mensongère.

 

C’est tellement complexe et délicat car l’accusation pour harcèlement sexuel
est une arme fatale dont pourrait se servir toute femme qui chercherait à
nuire à un homme. Même dans un cas extrême où on flaire que telle plaignante
est probablement en train de mentir, l’homme ainsi accusé est
automatiquement catalogué comme possible harceleur dont il faudrait se
méfier. L’impossibilité de la preuve sert doublement la femme et quel que
soit le récit (la plainte) sur lequel elle s’appuie. Je suis tenté de dire
que dans certains cas, c’est l’homme qui est la vraie victime. Ce qui ne
veut pas dire que je renie l’existence d’un tel phénomène : oui, depuis que
la femme a accédé au marché de l’emploi, elle est en quelque sorte devenue
une tentation pour l’homme. Mais de là à sévir contre quiconque regarderait
d’une certaine manière une femme au motif que cela constitue un signe de
possible harcèlement, on risque de mettre tous les fonctionnaires en prison.

 

Oui, donc, j’ai eu à gérer au sein de mon entreprise un cas de possible
harcèlement. Et pour être sincère, je n’ai pas su le gérer comme il fallait,
j’étais à ce point sceptique, j’étais tellement embarrassé et jaloux pour la
réputation de mon entreprise que je n’ai pas eu le sang-froid nécessaire
pour régler l’affaire convenablement.

 

C’était arrivé il y a plusieurs années de là. Une secrétaire était venue une
fois me dire que sa collègue subissait depuis quelque temps des pressions
d’un certain ordre de la part de son chef de service, et que cela la
gênerait davantage si elle devait se confier à moi directement. En somme, la
secrétaire me demandait d’intervenir pour mettre un terme à cette situation.
Je n’ai pas entendu la chose de cette oreille, j’ai voulu en discuter mieux
avec l’intéressée. Elle s’est finalement présentée dans mon bureau pour me
rapporter que son chef, en lui serrant la main le matin, prenait un vif
plaisir à garder un bon moment dans sa main la sienne. Puis un jour, il lui
aurait fait remarquer que les gens ‘’in’’ s’embrassent plutôt que de se
serrer la main, soit une invitation claire à un bisou quotidien. Elle lui
aurait expliqué que son statut de femme mariée ne l’autorisait rien de tel,
et que même les poignées de mains commençaient à l’agacer.

 

Croyant changer de tactique, il lui aurait un jour proposé un petit collier
en cadeau, ce qu’elle aurait décliné selon ses dires. Une autre fois, il
aurait craqué : il l’aurait invitée dans son bureau pour lui dire qu’il n’en
pouvait plus, mais que, soudain, il aurait carrément perdu les pédales : il
l’aurait embrassée de force et avec une telle rapidité que, effet de la
surprise aidant, elle n’aurait même pas eu le temps de s’en dégager. Je lui
ai demandé de rédiger un rapport détaillé. Après quoi, j’ai invité, en fin
de séance, l’intéressé et lui ai soumis le rapport pour le lire. Ce qui est
arrivé est très étonnant : au tout premier moment, il a rougi ; mais
soudain, il s’est montré serein, calme, détendu et même sûr de lui. A ce
jour, je ne m’explique pas toujours ce changement de sa mine : aurait-il
rougi sous l’effet de l’indignation, celle de se voir l’objet d’une plainte
à laquelle il ne s’attendait pas ? Et aurait-il repris confiance en lui car
il se savait irréprochable ? Je ne sais pas. Mais c’est là que j’ai mal agi.
Le lendemain, j’ai invité tous les deux dans mon bureau pour leur dire, sans
même les regarder en face, que quelles que soient les choses, je n’aimais
pas ce genre d’histoires dans ma Société et que je ne voudrais plus jamais
en entendre parler sous peine de les mettre tous les deux à la porte. Contre
toute attente, la dame, apparemment déçue, a lâché : «La belle justice…».
Soudain hors de moi, j’ai sorti une feuille blanche et j’ai soumis mon chef
de service à rédiger séance tenante un texte dans lequel il s’engagerait
formellement à ne plus seulement regarder la fille de près ou de loin et
sous quelque prétexte que ce soit. Il s’est exécuté. Et j’ai pensé que
c’était chose réglée une fois pour toutes, qu’on n’en parlerait plus jamais.
Mais un mois plus tard, la dame m’adressa une lettre de démission en
substance de laquelle elle m’expliqua qu’elle n’arrivait pas à travailler
dans mon administration avec le souvenir d’un baiser volé, et que, du reste,
elle ne supporterait plus jamais de travailler dans aucun établissement.

 

Mais il m’a été donné d’apprendre qu’elle a trouvé un autre boulot ailleurs.
J’espère qu’elle n’aura plus à rédiger des rapports pour harcèlement sexuel…
».

 

 

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