El Teatro : 20 ans qu’ils sont là


Par Amel Djait Belkaid

elteatro180.jpgSi
vous pensez que pour tenter d’échapper à Taoufik Jebali, j’ai pris
rendez-vous avec Zeyneb Farhat, vous n’avez pas tout à fait tort. Edifier le
profil d’El TEATRO serait peut-être, une option. Une affaire plus mince à
mener.

 

Comment condenser 20 ans de spectacles, d’animations culturelles, de
créations, et de coups d’éclats d’un lieu aussi insolite, chaleureux et
intelligent?

 

Esquisser le portrait de l’insaisissable Si Taoufik ? Je n’y pense même pas.
Oser soutenir l’humour, trouver les mots pour saisir ce qu’il peut être, sur
le vif. Pensez-vous !

 

En lui souhaitant dernièrement joyeux anniversaire sur Facebook, il
répondait «la raison est venue, j’ai demandé qu’elle sorte», comprenez
qu’elle est entrée par la porte, il lui a ouvert grande la fenêtre. «Il ne
faut jamais toucher à ses folies ni à ses grands délires», répond-il avec
élégance.

 

Je réfléchis et me demande si finalement il n’y avait pas moyen de
s’accommoder avec sa compagne de route. Comme un Jebali en cache un autre,
je me suis dit qu’avec une journaliste il y a moyen de s’entendre. Je
m’attendais à son célèbre franc parler, en fait, je découvre une grande dame
de la contestation. Elle, pour ceux qui ne l’ont toujours pas compris, c’est
l’épouse de lui, Taoufik Jebali, à savoir Zeyneb Farhat. Tiens, je me mets à
faire du KLEM ELLIL maintenant !

 

Fondé en octobre 1987, El TEATRO est le premier véritable espace culturel
multidisciplinaire et multidimensionnel. Il «se donne pour objectif de
promouvoir toute expression artistique contemporaine, à travers non
seulement les arts de la scène mais aussi les arts plastiques. Il vise, par
son action, à impulser et entretenir une réflexion continue sur l’art,
l’artiste et leur rôle au sein de la cité».

 

Coincé dans une bâtisse hideuse, ils ont su transformer le lieu en véritable
laboratoire. Les Jebali y ont tissé des amitiés, découvert des talents,
soutenu des initiatives, et cultivé beaucoup de passions. Cet immensément
petit îlot cache bien des engagements, dévoile régulièrement de belles
surprises, continue d’être depuis 7 ans l’un des rares cinéclubs en
activité, abrite des clubs pour enfants depuis 9 ans, officie un studio
théâtre depuis 4 ans, organise des expositions plastiques, anime des
rencontres, dresse des ateliers, provoque des tables rondes,…

 

A lui seul, il est tout un programme. Un programme annuel, régulier,
annoncé, publié, imprimé, distribué, positionné sur le net
http://www.elteatro.net/.
C’est envers et contre tout un lieu qui vit, un lieu auquel on s’attache et
par lequel on finit par passer à un moment ou un autre. Dans le mois,
l’année, la saison, ou la vie, on finit par passer par El TEATRO, car il s’y
passe toujours quelque chose.

 

Plus qu’un cas d’école, cet espace est à lui seul une vision originale et
aiguisé de l’animation, de l’évènementiel et de la vie culturelle. Les
créations d’El TEATRO bougent et bougent même beaucoup, ses manifestations
écument la Tunisie et se produisent à Nabeul, Gafsa, Kairouan, etc.

 

A la question de savoir si c’est viable : «la caisse est notre alliée. C’est
ce qui fait vivre El TEATRO, nous ne sommes ni fous, ni masochistes. La
caisse et le public sont nos alliés en plus des sponsors devenus partenaires
et qui continuent de soutenir l’espace depuis 20 ans», résume Zeyneb Farthat.
Quant à la durée de vie et au coût d’une production : «Tout dépend des
exigences, de l’expérience, des ingrédients, des émotions…», répond Zeyneb
Farhat, se remémorantun joli passage tiré de SAMARCANDE d’Amin Maalouf. Omar
Khayyâm répondait au Sultan qui trouvait cher payé son horoscope, que
derrière 5 minutes de prédictions, il y avait plus de 25 ans de savoir et
d’expérience.

 

Zeyneb rajoute avec la passion qui la caractérise : «Les productions sont
éternelles. Nous repassons MEMOIRES D’UN DINOSAURE au cours du mois. C’est
ce spectacle qui a fait l’ouverture de notre espace il y a 20 ans. Le PHOU a
été présenté dernièrement et la grande joie de constater que des anciens
sont venus revoir la pièce bien des années après, alors que pour nous le
plaisir était immense de la présenter à des nouvelles générations. La salle
était comble et nous étions ravis».

 

L’équipe d’ELTEATRO voit aujourd’hui les fidèles, les «purs et durs» d’EL
TEATRO revenir avec leurs enfants. Les générations se suivent et ne se
ressemblent pas.

 

Cet espace finit par devenir non seulement le port de bien des artistes,
mais aussi le refuge du Cinéclub Djibril Diop Mambetty, où il se tient
depuis 7 ans. AVANT PREMIERE, est aussi une manière certaine de soutenir les
jeunes et de cultiver «mon bonheur dans ce que je fais. Lancé il y a 5 ans,
cette manifestation est le rendez vous des découvertes, EL TEARTO produit le
spectacle de première et signe un pacte avec une jeunesse douée et
talentueuse».

 

L’aventure semble toutefois périlleuse, handicapé de 3 mois d’inactivité en
été, de charges fixes lourdes à assurer El TEATRO est aussi une équipe, un
loyer, des salaires, des familles…«Nous y passons des moments de grande
émotions», rassure Zeyneb. Toute l’équipe vit son métier avec passion et
acharnement. «22 créations sur 20 ans d’activités. Si en tant que chargée de
production, je devais payer le scénographe, le comédien, le concept, la
lumière, les textes, les dialogues, etc., je ne pourrais absolument pas m’en
sortir. El TEATRO est surendetté envers Taoufik Jeballi. Son travail est
sans arrêt réinvesti».

 

Pour la petite histoire, c’est l’énergie et une opportunité qui conduisent
Taoufik Jebali à prendre le risque fou de créer le premier espace culturel
privé en Tunisie il y a 20 ans. Pour «Garantir sa dignité d’artiste qui lui
est capital», le prêt de 25 mille dinars qu’il souscrit auprès du FONAPRA
est à l’époque le premier prêt accordé à la culture. Pour le local, un texte
de loi oblige tout hôtel de plus de 200 lits d’assurer une activité
artistique. Le projet naissant tombe à point avec l’installation du premier
hôtel du Consortium tuniso-koweitien de développement (CTKD). La suite, vous
la connaissez.

 

Alors que Zeyneb Farhat regrette que «les belle lois avant-gardistes et
intelligentes dans notre pays soient hélas violées…», je ne peux m’empêcher,
peine au cœur, d’imaginer ce que serait devenu le paysage culturel tunisien
si cette loi avait été respectée.

 

Imaginez des EL TEATRO en puissance, parsemés le long des côtes tunisiennes.
Avec plus au moins d’éclats, une activité dense et moins dense, un
foisonnement de talents…

Des El TEATRO, le long des centres touristiques du pays et c’est assurément
le pari pour un tourisme culturel actif et valorisant. Une mise en valeur
des régions, une mise en lumière du patrimoine, des individualités et des
arts qui méritent tant à être mis en exergue. Réellement, tout ce dont nous
avons besoin d’urgence, aujourd’hui ! Mais ceci est assurément une autre
paire de manche.

 

Entre-temps, les Jeballi régentent le destin d’EL TEATRO. Ils rythment nos
soirées les plus agréables, titillent nos esprits, éveillent nos sens et
suscitent nos rires les plus fous.

Si un jour, vous vous êtes sentis soit tout à fait stupides, soit
particulièrement brillants, c’est bien grâce et à cause de leur fameux
FEMTALLAH. Les KLEM ELLIL n’ont-ils pas orchestré nos hivers malgré la
morosité ambiante ? Leurs initiatives ne sont-elles pas toujours autant de
réjouissances ? Ils prennent Tunis à contre-pied et s’inscrivent dans une
culture alternative, contestatrice dérangeante, bohème et chic.

 

Ils signent dans la brochure qui fête l’anniversaire d’EL TEATRO : « …Nous
vivons, écoutons et touchons de si belles choses, à des amitiés si solides,
à des moments de plaisir intenses, à une solidarité humaine si
réconfortante, par des mots, des regards et des gestes de tendresse et des
courriers de citoyens anonymes…