Volailles du Cap Bon : la PME sortie des œufs de basse-cour


Par Mohamed BOUAMOUD

SC’est l’histoire d’un enfant qui a grandi en même temps que ce qu’il
n’osait même pas à l’époque appeler projet. C’était petit au départ, tout
comme lui. Il devait avoir 14 ou 15 ans quand il était invité à donner un
coup de main à son père, petit commerçant d’épices et de condiments divers
quelque part à Nabeul. Et c’est lui, l’enfant, qui avait eu bientôt l’idée
de proposer avec les épis quelques œufs de basse-cour, dits ‘‘œufs arbi’’ ou
frais. Contre toute attente, ce commerce des œufs s’était avéré tout aussi,
sinon plus, rentable que les autres produits si répandus à Nabeul. De sorte
que l’enfant, du nom de Mohamed Trabelsi, avait eu très tôt un goût fort
prononcé pour les produits de basse-cour. Tant et si bien qu’il aménagea
dans un coin du magasin un petit étal proposant carrément de la volaille. A
l’arrière-boutique, l’enfant déplumait les poulets achetés chez les
éleveurs, les découpait et les vendait en vrac.

 

Nous sommes là jusqu’à 1970, année où, alors âgé de 19 ans, le jeune Mohamed
allait découvrir la couveuse et la volaille industrielle. La répulsion des
consommateurs pour ce nouveau mode d’élevage n’a fait que conforter le petit
commerçant dans son travail classique (dé plumage traditionnel). Mais
l’industrialisation du secteur allait peu à peu s’imposer. L’accent n’était
plus mis sur la qualité ou pas du poulet industriel, mais sur la capacité ou
pas de faire face à un marché de plus en plus demandeur de volailles.
Mohamed Trabelsi sentait qu’il risquait à plus ou moins brève échéance
d’être dépassé par les événements, par le marché plus exactement. Fonceur
intrépide, il alla s’endetter jusqu’au cou auprès de la famille, des amis et
jusque des voisins pour réunir un capital initial de 50 mille dinars. Avec,
il se fit ériger un petit abattoir équipé comme il se devait : une chaîne
d’abattage avec un appareil anesthésiant, un tapis électrique, un convoyeur
aérien, une chaîne roulante et la déplumeuse qui vint se substituer à ses
mains. Nous sommes en 1989 et pour la première fois à Nabeul est née une
petite entreprise du nom commercial de «Volailles du Cap Bon» et avec une
capacité de 200 poulets/heure. Fini donc l’abattage traditionnel et la
misère de l’arrière-boutique. Un grand nom est né et qu’il va falloir
préserver et consolider.

 

Six années plus tard, en 1995, le capital, à coups de réinjection des
bénéfices, se monte à 200 mille dinars. Mohamed Trabelsi procède à
l’extension de l’abattoir (2 mille m2) et à l’acquisition d’un nouvel
équipement qui, avec une vingtaine d’ouvriers permanents, porteront la
capacité de production à mille poulets/heure (ou 8 mille poulets/jour) Il
s’agit de poulets de chair de 37 à 45 jours achetés auprès des éleveurs et
abattus chez «Volailles du Cap Bon».

 

Avec une telle production, « Volailles du Cap Bon » s’est fait pour clients
stables quelques hôtels, certains hôpitaux, certaines prisons civiles et
quelques restaurateurs, cependant que la production a gagné en variétés
(poulet, dinde, charcuterie, salami…).

 

Les choses vont plutôt assez bien quand éclate en février 2006 la fausse et
malheureuse rumeur de la grippe aviaire en Tunisie. Au comble de la crise,
et alors que certains éleveurs vont lâcher aux quatre vents leurs volailles,
Mohamed Trabelsi prend le taureau par les cornes et organise, le 1er mars,
une journée de dégustation où est convié le tout Nabeul. Dans le jardin
public de Nabeul, en face de la fameuse Jarre centrale, une sorte de
barbecue géant est offert au public. Y prennent part, côté officiel, les
représentants des autorités locales et ceux de l’UTAP (union régionale). Le
tout Nabeul (ou presque) s’en donne à cœur joie : poulet rôti, salami,
grillades, escalope de dinde… Tout le monde s’est tant et si bien régalé que
la rumeur a battu de l’aile et est tombée comme braise de feu dans un seau
d’eau. Plus personne n’en a parlé depuis.

 

A ses trois filles et un garçon, Mohamed Trabelsi a souvent dit : «Je ne
ferai rien de vous, vous vous ferez de vous-mêmes». Message visiblement bien
arrivé : l’une de ses filles est déjà gérante de sa propre petit boîte. Le
garçon est sur le chemin de son père. Cependant que la plus jeune est
passionnée de la langue de Shakespeare.

 

Voià ce qu’ont fait ces quatre œufs arbi de 1966…