Diagnostic : ce qui freine les banques maghrébines

Par : Tallel

Par Adama Wade, Casablanca.

Les
bons points : une rapide extension du réseau et une politique soutenue de
collecte de ressources à faible coût. Les mauvais points : concentrations
excessives du crédit sur quelques «bons» risques.

 

A l’heure où les banques maghrébines s’internationalisent, la question de
leur niveau de développement intrinsèque ne peut échapper à l’œil des
analystes. L’une des études les plus fournies en la matière et qui fait
partie du substrat du livre écrit récemment par le cercle des économistes
méditerranéens (le fameux 5+5=32) revient à Guillaume Almeras, de BGG
Consulting.

 

Rapportée au PIB, la capitalisation boursière est de 33% au Maroc, 15% en
Tunisie et 0,2% en Algérie.

 

Moyenne haute

 

Pour ce consultant qui, précisons-le, a fondé son étude sur la base des
chiffres de l’exercice 2006, le système bancaire maghrébin peut être
considéré comme appartenant à «la moyenne haute des pays en développement»
si on lui appliquait les critères de développement mis en place par les
théories de la croissance endogène. Ainsi, le rapport des crédits bancaires
sur le PIB est de 78% en Tunisie, 76% au Maroc et seulement 26% en Algérie.
A titre de comparaison, ce même rapport atteint 167% pour l’UE et 23% en
Turquie.

 

Rapportée au PIB, la capitalisation boursière, qui est de 123% aux USA, 100%
au Chili, 76% en Corée du Sud et 41% au Brésil, tombe à 33% au Maroc,
premier pays maghrébin par ce ratio. La Tunisie et l’Algérie suivent avec
respectivement 15 et 0,2% de capitalisation boursière rapportée au PIB.

 

En termes de taille, les banques marocaines se distinguent. Les trois
leaders (Attijariwafa Bank, Groupe banques populaires et BMCE) font 64% des
crédits. La spécificité marocaine par rapport aux deux autres pays réside
dans le développement du crédit à la consommation, quoique cette activité
reste, à ce stade, relativement marginale et saisonnière. En Tunisie,
beaucoup de banques s’affrontent sur un marché étroit et surenchérissent
dans l’ouverture des guichets. L’incertitude demeure sur l’évolution du
système bancaire algérien, dominé par des établissements publics chancelants
(BNA et BEA, laquelle tire désormais 75% de son PNB de la seule Sonatrach).
La phase privatisation (CPA, BDL entre autres) devrait inverser la donne.

 

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Surliquidités

 

Si l’Algérie accuse un retard par rapport à la Tunisie et, surtout, par
rapport au Maroc, la similarité des problèmes rencontrés est la même d’un
pays à l’autre. La question du réemploi des ressources se pose de la même
façon. Comme dans beaucoup d’autres pays en développement, les banques
maghrébines sont structurellement sur liquides. Mais ces ressources sont
soit absorbées par les titres d’Etat à court terme, soit allouées sous forme
de crédits à des entreprises publiques réputées mauvaises payeuses. Cette
surliquidité est d’ailleurs à relativiser puisqu’elle est insuffisante pour
répondre aux besoins de financement du développement des pays maghrébins. En
Algérie, les banques sont à la fois sur-liquides en bilan mais, en réalité,
sous-capitalisées et très dépendantes des adjudications de la Banque
centrale pour leur refinancement à court terme.

 

Sur le plan managérial, le rapport Almeras met le doigt sur un manque
d’indépendance du conseil d’administration par rapport à la direction, sur
des insuffisances dans les systèmes de contrôle interne et parfois dans le
management.

 

«Comme dans beaucoup d’autres pays en développement, les banques maghrébines
sont structurellement sur-liquides».

 

Retard dans la politique de crédit

 

«Au Maghreb, les banques assurent toujours prioritairement une fonction de
conservation de valeurs, dont le montant décide de l’accès ou non des
clients au crédit», constate le rapport. Le retard accumulé demeure sans
conteste dans l’accès des agents économiques au financement bancaire lequel
revêt souvent un caractère court-termiste. Si l’intermédiation bancaire,
balbutiante en Algérie, est incontournable en Tunisie et au Maroc, elle y
est en revanche peu efficace, poursuit l’auteur du rapport. Les banques de
ces deux pays accumulent les créances en souffrance et restreignent l’offre
de crédits apportés au secteur privé à un volume sensiblement inférieur à la
moyenne des pays émergents.

 

En effet, les non-performing loans ne représentent que 6% de l’ensemble des
crédits accordés dans les pays émergents contre 20,9% au Maroc et 19,4% en
Tunisie. Le poids des impayés et des défaillances conjugué aux difficultés
de traiter les contentieux expliquent en partie la faiblesse du crédit. «Le
crédit est cher parce que les banques limitent l’offre de crédit en quantité
(peu d’entreprises y accèdent), en qualité (peu d’engagements à moyen-long
terme)». A ces raisons restreignant le crédit, il faut ajouter des
conditions draconiennes avec une garantie patrimoniale impérative, un cash
collatéral exigé pour les opérations de commerce international. Situation
d’autant plus insolvable pour les agents économiques que l’alternative
censée être apportée par le marché de l’intermédiation non bancaire n’est
pas encore suffisamment développée. Le capital investissement compte une
dizaine d’acteurs au Maroc, et moins de fonds spécialisés comme celui d’Upline
dédié au NTIC. En Tunisie, les SICAR (fonds de capital risque) permettent
surtout aux banques de convertir leurs créances en souffrance en titres de
participation.

 

D’une manière générale, le marché maghrébin est étroit. Au Maroc, pays le
plus développé des trois au plan bancaire, 16% des ménages seulement
possèdent un compte bancaire. Ce chiffre, indique le rapport, est à
rapporter aux réalités sociales marocaines, avec 40% de la population âgée
de moins de 15 ans et 20% vivant avec moins de 2 dollars/jour.

 

«Cela revient à dire que la conquête des marchés financiers maghrébins
devrait commencer en Europe».

 

Surenchère sur quelques «bons» risques

 

Dans un tel contexte, les banques ont tendance à se livrer à une surenchère
sur quelques «bons risques». «Leur forte concentration sur ces risques
expose les banques à des défaillances en chaîne (l’analyse du stock de
créances en souffrance portées par l’ensemble des banques tunisiennes
actuellement révèle un faible nombre de contreparties) et les oblige à
conserver sous forme de placements sécurisés à court terme (bons du Trésor)
de fortes liquidités». Autre paradoxe, le faible développement des produits
d’épargne, alors que les banques sont engagées dans une véritable course à
la collecte des dépôts. «On retrouve là un effet de la faiblesse des
systèmes financiers locaux : le manque de placements porteurs permettant une
gestion différenciée, dynamique, des fonds collectés». Pour booster ce
créneau, la voie la plus rapide serait de permettre le placement des actifs
sur des supports européens, ce qu’autoriserait précisément la collecte, à
travers ces produits d’épargne, des transferts issus de l’immigration.
L’ouverture du système bancaire maghrébin favoriserait peut-être les banques
étrangères, notamment françaises. «Ces dernières, cependant, n’ont eu
d’autre stratégie que le développement autonome d’une enseigne par la
création d’un réseau d’agences et le renforcement progressif d’une offre,
étendue des opérations de commerce international à des produits purement
domestiques», indique le rapport pour qui cette stratégie appliquée au Maroc
il y a dix ans n’a permis aux banques françaises que de conquérir des parts
de marché modestes.

 

La conclusion de l’étude sonne comme un bon conseil aux établissements
financiers français intéressés par la région : «Si le Maghreb représente
aujourd’hui un potentiel pour les établissements financiers français, ce
n’est peut-être pas tant par ses marchés, qui demeurent bien étroits et
difficiles, mais dans un cadre englobant les deux côtés de la Méditerranée
et profitant des liens linguistiques, culturels et financiers existants pour
y démultiplier offres et moyens de traitement. Cela revient à dire que la
conquête des marchés financiers maghrébins devrait commencer en Europe».

 

C’est là tout l’enjeu que représentent les transferts issus de l’émigration
maghrébine. Un marché très conséquent évalué entre 5 et 10 milliards d’euros
et sur lequel aucun établissement bancaire européen n’a réussi à greffer ses
services.

 

Source :

http://www.lesafriques.com/frontpage/ce-qui-freine-les-banques-maghrebines.html?Itemid=89?article=1704