Nouvelle réforme du système tunisien d’assurance maladie : Encore quelques zones d’ombre

Par : Tallel
Nouvelle réforme du système tunisien d’assurance maladie : Encore quelques
zones d’ombre

Par Talel BAHOURY

Le Centre des jeunes dirigeants
(CJD) a organisé son premier petit déjeuner-débat du mois, samedi 1er
décembre 2007, sur le nouveau du système tunisien d’assurance maladie, avec
pour invité M. Lassaâd Zarrouk, DG de la sécurité sociale au ministère des
Affaires sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l’étranger.
Intéressés pour ne pas dire inquiets des avantages –et inconvénients- de
cette réforme tant redoutée pour leurs entreprises et leurs salariés, les
jeunes dirigeants avaient répondu nombreux à cette rencontre.

 

Sachant qu’il était attendu les pieds fermes par les jeunes dirigeants, M.
Zarrouk n’a ménagé aucun effort pour présenter de façon claire et concise
les grandes lignes de la nouvelle réforme du système d’assurance maladie,
qu’il a qualifiée de révolutionnaire et dynamique.

 

En effet, dans son introduction, le DG de la Sécurité société a souligné que
‘’la loi… du 2 août 2004, portant institution d’un régime d’assurance
maladie, constitue l’achèvement d’un long processus entamé depuis 1996’’.

 

Alors, quels sont les principaux axes de cette loi du 2 août 2004 ? Il
s’agit de :

– l’institution d’un régime de base obligatoire,

– l’institution d’un régime complémentaire facultatif,

– le financement (un taux de cotisation de 6,75% pour les actifs et 4% à la
charge des pensionnés, compte tenu des taux actuels de la couverture maladie
auprès des caisses de sécurité sociale).

 

Ensuite, à noter que le nouveau régime couvre l’ensemble des assurés
sociaux. Mais ce n’est pas tout, puisque cette loi vise également :

– la création d’une Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM),

– l’instauration du principe de conventionnement dans les relations entre la
CNAM et les prestataires de soins,

– poursuite de la démarche consensuelle par la mise en place d’un Conseil
national d’assurance maladie,
– et la préservation des droits acquis.

 

En fait, malgré ses avancées, tout le monde était d’accord pour dire que
l’ancien système commençait à donner des signes de faiblesse et que, par
conséquent, il fallait le changer par un autre dont l’objectif est ‘’de
permettre la mise en place d’un nouveau système de couverture de la maladie
au profit des assurés sociaux’’.

 

Selon M. Zarrouk, ‘’ce nouveau régime permettra, par l’instauration d’une
réelle complémentarité entre les différents fournisseurs des soins, la
consolidation des performances de notre pays en matière de santé publique,
une meilleure prise en charge de la maladie pour les assurés sociaux aussi
bien dans le secteur public que privé et une plus grande efficience dans
notre système de couverture maladie’’.

 

Mais auparavant, il a tenu à montrer les trois principales insuffisances ou
carences de l’ancien système d’assurance maladie ayant nécessité la réforme
actuelle :

– la multiplicité des structures,

– l’accroissement des inégalités, et

– l’aggravation pour l’ensemble des acteurs des charges inhérentes à la
couverture maladie.

 

Cela suppose que, pour être efficace, la nouvelle réforme se doive de
s’attaquer à ces insuffisances en visant principalement les objectifs
suivants :

– à améliorer les prestations sanitaires,

– à garantir l’équité sociale devant le risque maladie,

– et à maîtriser les dépenses de santé.

 

Sachant attendu sur le terrain des modalités de la prise en charge des frais
dans le cadre du régime de base, l’orateur a vite anticipé dans sa
présentation a soulignant que ‘’l’assuré social aura la possibilité de
choisir une option d’accès aux soins prévus par le régime de base, et ce
parmi trois options exclusives l’une par rapport aux autres :

– la filière publique,

– la filière privée,

– le système de remboursement’’.

 

Puis M. Zarrouk d’apporter une précision de taille : ‘’Quelle que soit
l’option choisie, certains actes de soins, faisant actuellement l’objet de
conventions particulières, seront toujours pris en charge dans les
structures sanitaires publiques ou privées après accord préalable de la
Caisse’’.

 

Par la suite, il a défini ou délimité les prérogatives de chacune des trois
filières.

 

En effet, la filière publique permet l’accès aux consultations externes, aux
urgences et à l’hospitalisation, y compris celle de jour, dans les
structures sanitaires publiques avec le bénéfice du mode du tiers payant. Le
montant global du ticket modérateur supporté par l’assuré social et ses
ayants droit dans le secteur public est plafonné annuellement à un montant
égal à un salaire mensuel et demi. Mais là, une question se pose : si on
n’est pas assuré, comment faire ?

 

Quant à la filière privé, il est indiqué que :

– l’assuré qui adhère à cette option bénéficiera ainsi que ses ayants droit
du système du tiers payant pour les soins ambulatoires prodigués dans les
secteurs public et privé ;

– l’assuré bénéficie de la prise en charge de tous les actes chirurgicaux
effectués dans le secteur public, ainsi que de certains actes effectués dans
les cliniques privés inscrits sur une liste ;

– les frais de soins ambulatoires relatifs aux maladies ordinaires seront
pris en charge dans la limite d’un plafond annuel,

– aucun plafond n’est prévu pour les longues maladies et les
hospitalisations.

 

Enfin, le système de remboursement, permet à l’assuré social et à ses ayants
droit de s’adresser au prestataire de soins conventionné de leur choix.

 

Le remboursement des frais des soins ambulatoires s’effectue à l’acte
conformément aux tarifs conventionnels et sur la base des taux de prise en
charge prévus dans le régime de base.

 

Le remboursement des frais d’hospitalisation, engagés dans le secteur public
pour toutes les spécialités ou dans le secteur privé pour les spécialités
inscrites sur une liste préalablement arrêtée, s’effectue sur la base des
tarifs conventionnels forfaitaires par spécialité.

 

Les produits pharmaceutiques seront remboursés sur la base du taux de prise
en charge arrêté selon la nature du médicament (appartenant à la catégorie
des médicaments vitaux, essentiels, intermédiaires ou de confort).

 

Le remboursement s’effectuera dans la limite d’un plafond annuel réservé
uniquement aux soins ambulatoires liés aux maladies ordinaires.

 

Abordant la mise en place du nouveau régime, M. Lassaâd Zarrouk a souligné
que celle-ci sera progressive, aussi bien au niveau des prestations qu’à
celui des cotisations.

 

Au niveau des prestations : à partir de juillet 2007, les assurés sociaux
bénéficient de:

– la prise en charge de l’ensemble des soins prodigués dans les structures
publiques de santé,

– de la prise en charge dans le secteur privé de la santé en ambulatoire des
pathologies de longue durée (APCI) au nombre de 25 et du suivi de la
grossesse et de l’accouchement,

– de la prise en charge de 19 actes chirurgicaux dans les cliniques privées
ainsi que des actes liés aux APCI.

 

A partir de juillet 2008, le déploiement intégral de la réforme avec les
trois filières et l’exclusivité du choix pour l’assuré social.

 

Au niveau des cotisations : augmentation progressive des contributions pour
le régime général de la CNSS :

– d’abord 0,57% à la charge des employeurs à partir du 1er juillet 2007,

– ensuite, augmentation de 1,43% à la charge des salariés sur 2 ans et à
partir du 1er juillet 2008 (à raison de 0,72% en 2008 et 0,71% en 2009).

 

Dans les débats au cours desquels certains détails ont été dévoilés, la
tâche de l’orateur n’a pas été aisée, même s’il fau reconnaître qu’il s’est
bien battu, en insistant notamment sur le fait que cette réforme était
nécessaire, qu’elle n’était pas statique ; mais aussi sur l’équité médicale.
Cette réforme essaie également de concilier des impératifs économiques et
sociaux des assurés sociaux. Après tout, ‘’la sécurité sociale est un pacte
social…’’.

 

En effet, à la question concernant le médecin de famille, ‘’si celui-ci
n’est pas conventionné, comment faire ?’’, l’orateur a répondu que
l’objectif à court et moyen terme était de faire toute la profession
(médecins, pharmaciens…). ‘’En cas de changement de résidence, sera-t-il
facile de changer de médecin de famille ou de médecin traitant ?’’, là
encore M. Zarrouk a souligné en substance que les médecins sont répartis sur
l’ensemble du territoire.

 

D’autres s’inquiètent d’une éventuelle homogénéisation de la nouvelle
réforme, qui risque d’engendrer les problèmes comparables à ceux de la
voiture populaire avec les conséquences qu’on connaît des embouteillages
dans certaines villes du pays (parce qu’on n’a pas pensé à améliorer
l’infrastructure routière avant de prendre la décision de les importer…). A
ce propos, le DG de la Sécurité sociale a été clair, en disant que réforme
ne prétend pas être parfaite, au contraire, ‘’on va continuer à réformer’’,
à l’instar de ce qui se fait dans les pays développés.

 

D’autres questions ont concerné la mise à niveau des hôpitaux, le pourquoi
d’aller voir un généraliste au lieu d’aller consulter directement un
spécialiste, si des sanctions sont prévues contre les médecins non
conventionnés, la notion du médecin référent, sur l’utilisation des
médicaments génériques (certains contestent leur efficacité), etc. A toutes
ces questions, l’orateur a essayé d’apporter des éléments de réponses. Sans
y parvenir réellement.

 

Par exemple, M. Zarrouk a souligné que l’entreprise ne supportera aucun coût
supplémentaire dû à ce nouveau régime sauf 0,57%. L’augmentation de la
cotisation se fera comme suit : 0.57% en 2007 à la charge de l’employeur,
0.72% en 2008 à la charge de l’employé et 0.71% en 2009 à la charge de
l’employé aussi…

 

Alors, à ce niveau, posons la question suivante : le salarié a-t-il les
moyens de supporter seul cette augmentation de cotisation ou est-ce qu’elle
sera financée par des augmentations de salaires qui seront imposées à
l’entreprise, ultérieurement ? Auquel cas, est-ce que cela ne risque
d’impacter sur la compétitivité de l’entreprise tunisienne ? Et vu que nous
ne sommes plus bien placés en termes de coût des facteurs de production sur
le plan international pour les charges sociales, il serait nécessaire de
réfléchir à mille fois aux conséquences que cela entraînerait…

 

En tout cas, certains estiment cela n’est viable que si la Tunisie s’oriente
vers des industries à très haute valeur ajoutée avec des technologies
innovantes. D’ailleurs, où en sommes nous dans ce domaine justement ? On
estime que beaucoup reste à faire pour que la Tunisie soit reconnue dans le
paysage mondial des TIC, ce qui, aujourd’hui, constitue un handicap pour son
expansion.

 

Par ailleurs, si tout le monde est d’accord pour dire que la réussite du
nouveau régime est tributaire de la mise à niveau de la santé publique, il
n’est pas inutile de se demander quel prix et surtout à la charge de qui. En
a-t-on les moyens de nos ambitions ? Toujours dans le même ordre d’idées,
une reforme de nos hôpitaux est certes indispensable mais qui va payer la
facture ?

 

La question du vieillissement de la population n’a pas été longuement
abordée, et on sait que, à long terme, il y a un vieillissement de la
population tunisienne, et ce nouveau régime sera trop lourd pour la
population active. Dans ce cas, va-t-on vers sa faillite ? L’exemple
français des caisses sociales devrait nous inspirer… Pour éviter a mort dans
l’âme de cette réforme !

 

On aura compris, cette réforme suscite beaucoup d’interrogations auxquelles,
il faut le reconnaître, un simple petit déjeuner-débat n’était pas en mesure
d’apporter toutes les réponses.