L’entreprise tunisienne et l’intelligence économique

Par : Tallel
L’entreprise tunisienne et l’intelligence
économique
Le salut passera
nécessairement par la maîtrise de l’information

Par Tallel BAHOURY

’Intelligence économique’’, une expression très en vogue dans certaines
économies avancées depuis plusieurs années déjà. Pour la Tunisie qui
ambitionne de prendre part dans le wagon de la locomotive des économies
développées, nous avons voulu en savoir plus sur cette question au niveau
de nos entreprises. Pour ce faire, nous avons tenté d’obtenir les points de vue de
certains spécialistes; bien entendu, nous aurions espéré un débat nourri, avec
plusieurs sensibilités, mais vous aurez compris, faute de combattants, la
guerre des visions, conceptions et des propositions n’a finalement pas eu
lieu. Cependant, deux spécialistes ont accepté de répondre à nos questions
et de disséquer le concept et d’en établir un parallèle avec les réalités de
l’économie nationale, en l’occurrence MM. Mondher Khanfir et Mustapha
Mezghani… !

Mais auparavant, rappelons quelques données essentielles soulignées ici et
là sur la question. En effet, pour certains, ‘’la complexification de
l’environnement global (politique, économique, social, écologique,
culturel)… et l’explosion de la quantité d’informations produites par les
sociétés modernes’’ figurent parmi les évolutions majeures ayant eu une
nette influence sur le modèle économique libéral au cours des 20-25
dernières années.

Cela ne pouvait pas ne pas avoir de conséquence sur les entreprises :
‘’lorsqu’on sait fournir l’information stratégique au bon moment, à la bonne
personne, dans le bon contexte, on obtient un avantage compétitif décisif
sur les autres’’… Selon Wikipédia, ‘’l’intelligence
économique naquit de la prise de conscience progressive de l’ensemble de ces
évolutions et métamorphoses. Elle fut donc d’abord définie… comme l’ensemble
des actions coordonnées de recherche, de traitement, et de distribution, en
vue de son exploitation, l’information utile aux acteurs économiques…».

Les réponses de nos deux spécialistes vont dans le même sens -mais en
essayant de coller au plus près aux réalités tunisiennes- en montrant que
‘’… ce qui est central dans la compréhension de l’intelligence économique,
c’est le fait qu’elle ne se réduit pas à l’accumulation désordonnée
d’informations de toutes sortes. Il s’agit de produire de la connaissance
structurée à vocation opérationnelle…’’. Autrement dit, il faut aller
plus loin dans le traitement informatisé des données, ce qui induit ‘’des
compétences d’interprétation et d’analyse qui sont l’apanage du «facteur»
humain’’. Voilà, les chefs d’entreprise tunisiens sont avertis: sans
maîtrise de l’information, point de salut à longtemps!

khanfir081007.jpgWebmanagercenter : Tout d’abord, qu’entend-on par ‘’intelligence
économique’’ ?

Mondher Khanfir (*) : L’intelligence
économique, dans le cas de l’entreprise, est la recherche systématique d’un
sens aux informations internes et externes, utiles à l’organisation, en vue
de leur intégration dans le système décisionnel. L’intelligence économique
suppose une familiarité avec les techniques de gestion et de capitalisation
des connaissances. La matière première de l’intelligence économique est
l’information recueillie ou produite dans un contexte légal et à partir de
sources ouvertes.

Mustapha Mezghani (*) : L’intelligence
économique est la collecte d’informations «publiques» et leur analyse et
interprétation dans le cadre de la veille afin d’anticiper sur l’évolution,
au sens large, de l’environnement de l’entreprise. Ainsi cette intelligence
économique concernera la concurrence, la technologie,…

Tout comme une entreprise fait de la veille économique, ses entreprises
concurrentes sont aussi supposées en faire. Il est donc de bonne guerre de
ne rendre publique que les informations opportunes et au moment opportun.

Qu’en est-il de la situation au sein des entreprises tunisiennes ? Est-ce
que la taille de l’entreprise ou la nature de production (ou produit) peut
jouer quand on parle d’intelligence économique.

Mondher Khanfir : Il existe très peu d’entreprises tunisiennes dotées
d’une fonction dédiée à part entière à l’Intelligence Economique. Et la
taille du marché et/ou de l’entreprise est un faux problème, car cette
fonction se prête bien à l’externalisation. C’est plutôt une question de
culture. Le style de management en Tunisie s’appuie encore, chez beaucoup de
dirigeants, sur les circuits d’informations informelles.

De plus, l’information microéconomique fait en général défaut en Tunisie. Et
même lorsqu’elle existe, elle n’est pas toujours fiable ou accessible. Il
n’y a qu’à voir comment est géré le registre de Commerce en Tunisie
–première source d’informations légales- pour s’apercevoir que
l’administration en charge de cette mission se contente de stocker les
supports physiques de l’information légale, sans vérification de son
intégrité dans le temps et sans avoir les moyens de vérifier
systématiquement les défauts de mise à jour. Ainsi, beaucoup d’entreprises
en profitent, et montrent une réticence voire une défaillance quant à
l’actualisation, l’enregistrement et la publication de leurs informations
légales.

Et là, on retrouve le rôle crucial de l’État, qui doit exercer sa
souveraineté sur les sources d’informations, pour faciliter l’accès aux
informations publiques. Pour revenir au cas du Registre de Commerce, on peut
imaginer l’externalisation, voire la privatisation de certains processus
back office de gestion et mise à jour de l’information, d’autant que les
solutions technologiques pour ce type d’initiative existent et ont fait leur
preuve.

Mustapha Mezghani : L’intelligence économique doit concerner toutes
les entreprises quelle que soit leur taille, même si cela peut se faire à
des niveaux différents. De l’artisan du coin de la rue qui essayeras sur les
matériaux, couleurs et autres modèles utilisés par ses concurrents à la
grande entreprise industrielle ou commerciale qui devra être plus performant
que la concurrence et innover dans le mode de distribution ou le type de
promotions.

De plus, cette intelligence économique doit se faire aussi bien en Tunisie
qu’à l’étranger car la concurrence est devenue internationale et elle ne
sera que facilitée par l’entrée en vigueur des accords de libre échange avec
l’Union européenne.

A titre d’exemples, certains pays, à l’instar des États-Unis, de la France
ou du Maroc ont mis en place des systèmes de veille économique au service de
l’entreprise tellement la question de l’intelligence économique est
importante.

Quel lien peut-il exister entre intelligence économique et compétitivité de
l’entreprise ?


Mondher Khanfir : Dans un vrai marché ouvert et concurrentiel,
l’intelligence économique est un des piliers de la compétitivité de
l’entreprise. Produire l’information économique à chaque besoin, peut
s’avérer long et coûteux. Ce processus peut être mutualisé et centralisé au
niveau d’un organisme indépendant, voire au niveau de l’instance de tutelle.
Prenons le cas particulier de la libéralisation du commerce des services
dans le cadre de l’OMC et de l’UE. Celle-ci devrait s’accompagner d’un
dispositif d’intelligence économique à l’échelle de l’ensemble du secteur.

Vous voyez que cette question d’intelligence économique est liée au débat
sur le patriotisme économique. Rappelez-vous que l’avènement de la société
de l’information, c’est aussi l’entrée dans l’ère de la guerre de
l’information.

Mustapha Mezghani : Comme mentionné ci-dessus, l’intelligence
économique permettra à l’entreprise de prévoir et donc de pouvoir anticiper
sur les actions futures de la concurrence, l’évolution technologique,… et ne
peut qu’avoir une influence positive sur la compétitivité de l’entreprise.

(*) Mondher Khanfir, C.E.O à MKC Group, Conseiller au
Commerce Extérieur
(*) Mustapha Mezghani, Senior Executive 2CW