Reportage/Touristes-artisanat : Ah ces dinars si difficiles à sortir!

Touristes-artisanat: Ah ces dinars si difficiles à sortir!

Par Mohamed Bouamoud


med20110.jpgOn voyage pour découvrir et faire du shopping. Ça paraît tellement
évident que c’est une lapalissade. Eh bien, non ! Ce n’est pas si évident
que ça. Dans les souks de Tunis, le ‘‘touriste’’ le plus dépensier est
le…Tunisien.

«C’est à combien ça ?» – «15 dinars, Madame…» – «Non, 5 dinars…» – «Disons
10, Madame…» – «Non, j’ai dit 5 !…» – «D’accord, 5…» – «C’est bon, je
vais réfléchir…». Et au signataire de cet article, le commerçant commente :
«T’as vu ?… C’est elle qui arrête le prix, je dis oui, et elle va encore
réfléchir avant de se décider… T’as vu comment ça fonctionne ici ?…».

Mercredi 5 septembre. Dans les souks de Tunis, à quelques jours de la
rentrée scolaire, les venelles ne désemplissent pas de touristes. C’est même
du coude à coude. Le jargon qu’on entend n’a rien d’italien (ou très peu),
ni d’allemand, encore moins du français (un sur mille, peut-être). Une
langue franchement étrangère. Quelqu’un nous précise : «Cette année, c’est
l’Europe de l’est qui est parmi nous». Plus exactement des Polonais et des
Tchèques pour l’essentiel. Ils regardent. Contemplent. Admirent. Et
circulent. Les commerçants les appellent (dans leur langue), les invitent à
voir ; c’est à peine s’ils se retournent. Pour donner un sens à leur visite,
ils se contentent d’un «C’est combien ça ?» sans suite réelle. Terribles ces
dinars si difficiles à sortir des poches !… A mi-chemin entre l’entrée
du Souk et la Mosquée Zitouna, deux jeunes Polonaises sont carrément assises
à l’intérieur d’une échoppe. Le jeune commerçant a cru flairer une bonne
affaire ; il leur a même offert des cafés. A leur demande, le pauvre a dû
mettre son magasin sens dessus dessous pour leur montrer le maximum possible
d’articles. En vain. Au bout d’un long moment, elles lui ont fait un
large sourire et sont sorties. Un autre commerçant nous dit : «Depuis que,
il y a trois ou quatre ans, les Français et les Italiens se sont faits
rares, ça ne marche plus vraiment ici. Avec l’Europe de l’est, nous avons
cru gagner un nouveau marché : mais voilà le résultat, il est rare que quelqu’un
achète…».

Contre toute attente, ce sont apparemment les Algériens qui se sont montrés
assez intéressés par notre artisanat : «Franchement, c’est eux qui ont sauvé
la saison cette année ; je dois aussi reconnaître que les Libyens ne sont
pas en reste, ils ont montré un intérêt manifeste pour nos produits», nous
confie un artisan. Autre surprise : «C’est à peine croyable, mais les
Espagnols, dont l’artisanat pourtant ne diffère pas tellement de la nôtre, nous
ont acheté bien des choses», s’étonne agréablement un autre.

Oui, mais qui achète quoi ?… Quand il leur arrive d’acheter, les Tchèques
et les Polonais se rabattent sur des articles d’assez timide valeur, comme
le petit chameau fourré de chiffons, la petite Darbouka d’à peine 15 cm de
taille, ou encore le petit cendrier en cuivre… Le peu d’Italiens se sont
intéressés au narguilé de décoration, aux coffrets en bois superbement
ornés, ou des cadres assez beaux avec bordure en argent… Les Espagnoles,
elles surtout, se sont montrées très intéressées par la Jebba et le Qoftane
joliment brodés…

Quant à l’argent proprement dit, il faut dire que cela reste tuniso-tunisien
: «C’est à peine si je compte un touriste sur cent Tunisiens qui achètent,
nous dit un artisan-commerçant d’argent. Je peux comprendre que ce soit
relativement cher pour le touriste qui s’apprête à faire ses valises. En
revanche, du 15 au 30 août, c’est-à-dire vers la fin de leurs vacances dans
le pays, les Tunisiens résidant à l’étranger aiment acheter pour offrir à
leurs amis européens, ou peut-être aux leurs qui seraient restés dans le
pays hôte.

 

Or, ces Tunisiens n’achètent pas du n’importe quoi, c’est du
sérieux. Cela va du coffret à l’argentière, en passant par les cadres, les
socles pour livres ou autres, les bracelets, etc… Sauf que l’argent
semble poser problème : « Notre seul problème c’est nos collègues ; ils
utilisent du cuivre brassé avec du nickel, et le résultat est un soupçon
d’argent. Le client ne s’en offusque pas du moment qu’il achète un semblant
d’argent à vil prix. Du coup, ce sont nos prix qui semblent exorbitants ; il
n’empêche, beaucoup savent à quoi s’en tenir, et ils ne lésinent pas, leur
plaisir étant de s’offrir de la bonne qualité… Bref, c’est avec les
Tunisiens que nous travaillons : les succès scolaires, les anniversaires,
les fiançailles et autres sont autant d’occasions pour offrir des cadeaux,
et l’argent paraît être l’article le plus prisé… ».

A ce stade de notre reportage, nous avons failli conclure que le touriste,
en général, n’achète pas. En tout cas, c’est une vérité pour beaucoup de
commerçants. Sauf que quelqu’un nous a fait une déclaration aussi inattendue
qu’indigeste : «Que de fois nous sommes restés sidérés devant un phénomène
pour le moins injuste. Nous voyons des groupes entiers de touristes guidés
tout droit vers trois ou quatre commerçants –toujours les mêmes– auprès
desquels, eux seuls, on achète. C’est injuste. De quel droit influence-t-on
le touriste à n’acheter qu’auprès de ces chanceux, et de quel droit nous
empêche-t-on d’avoir une petite part du gâteau ?!… ».

C’est comme qui aurait dit qu’un petit malheur n’arrive jamais seul…