Agriculture euroméditerranéenne : Quel avenir, quels défis… ? (2)

Par : Tallel
Agriculture euroméditerranéenne : Quel avenir, quels défis… ? (2)

Synthèse de Tallel BAHOURY

Dans un article publié récemment dans les ‘’Cahiers d’études et de
recherches francophones / Agricultures – Juillet-août 2007 ayant un titre
aussi évocateur qu’inquiétant, ‘’ Dix enjeux pour l’agriculture en
Méditerranée’’, Bertrand Hervieu, Secrétaire général du Centre international
de hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam), évoque les dix
défis de l’agriculture méditerranéenne qui, s’ils ne sont pas pris en
compte, la région risque de payer cher la mondialisation… C’est inquiétant
et ça donne des sueurs froides.

Cinquième enjeu : ‘’une fracture territoriale Sud-Sud qui s’accentue’’. Sur
ce chapitre, même si tous les pays ne peuvent pas être logés dans la même
enseigne, l’auteur estime que ‘’… le risque existe de voir à nouveau se
déséquilibrer les territoires : c’est la réapparition d’une fracture intrarégionale’’ dans la plupart des pays méditerranéens du Sud. ‘’Dissimulé
derrière les multiples failles qui traversent en longitude le Bassin
méditerranéen, le clivage semble s’aggraver parallèlement entre les zones
urbaines littorales et les espaces ruraux intérieurs’’, écrit-il.

Plus loin, il indique que, ‘’à l’ouverture sur la mondialisation des villes
répondent la marginalisation et la paupérisation des campagnes. Tout se
passe comme si le sud de la Méditerranée n’avait plus besoin de ses
arrière-pays pour se développer, le salut arrivant, selon un credo libéral
discipliné, par les échanges et l’arrimage extérieur. Si les villes côtières
sont propulsées sur l’avenir, à l’inverse, les territoires ruraux, quant à
eux, sont renvoyés au siècle dernier’’.
Sans doute l’un des plus inquiétants des ‘’défis’’ de Bertrand Hervieu,
c’est le ‘’pluriel de défis environnementaux’’. En effet, soulignant que
‘’la richesse des ressources naturelles et la diversité des paysages de la
Méditerranée en font une écorégion exceptionnelle de ce monde’’, il estime
cependant ‘’qu’avec le développement humain et industriel, ce patrimoine
environnemental s’érode peu à peu’’. Car selon lui, certes des efforts
internationaux ont été déployés au cours des trente dernières années ‘’afin
de protéger cet écosystème unique’’, mais celui-ci reste fragile et continue
à se détériorer sous l’effet de l’augmentation des pressions exercées sur
l’environnement’’…

Défi 7 : ‘’Une tension croissante sur les ressources en eau’’. Ah l’eau,
cette denrée dont certains prédisent qu’elle serait la cause de plusieurs
guerres dans les décennies à venir, est considérée par Bertrand Hervieu, à
l’instar d’autres spécialistes, comme une ‘’ressource rare et très
inégalement répartie en Méditerranée, avec 75% des disponibilités sur la
rive nord’’. Ceci dit, il attire l’attention sur le fait que ‘’l’agriculture
absorbe aujourd’hui environ 80% des ressources en eau dans les pays de la
rive sud et qu’une bonne partie de ce volume est perdue faute de réseaux
d’adduction performants, une fracture hydraulique se renforce actuellement
entre catégories aisées et pauvres pour qui l’accès à l’eau potable est
sensiblement différent’’. Là encore, il est bon de signaler que ce n’est pas
réalité de tous les pays, puisqu’en Tunisie, par exemple, plus de 95% de la
population ont accès à l’eau potable.

Pour le 8ème défi, à savoir ‘’une sécurité alimentaire quantitative
maîtrisée mais qualitativement fragilisée’’, Bertrand Hervieu évoque des
statistiques qui donnent froid dans le dos. Ainsi, ‘’face à l’ampleur de la
croissance démographique dans la région et de la dégradation constatée des
équilibres agrocommerciaux, la question de la sécurité alimentaire pour les
populations méditerranéennes reste entière…, souligne-t-il, avec d’abord sa
dimension quantitative, car la malnutrition reste un fléau non négligeable
(environ 4% de la population du sud de la Méditerranée souffre d’une
sous-alimentation quotidienne) et numériquement en croissance (7 millions de
personnes en 1990, 9 millions en 2002)’’.

Puis, il en vient à la dimension qualitative qui, selon lui, ‘’doit être
réexaminée car l’alimentation méditerranéenne se dégrade, avec un alignement
sur le modèle de consommation anglo-saxon : le modèle crétois, vanté par
l’Organisation mondiale de la santé (OMS), se délocalise et gagne les
espaces occidentaux tandis que la Méditerranée s’en éloigne’’. Et de donner
un exemple : ‘’la forte progression de l’obésité et du surpoids, notamment
chez les populations les plus jeunes (au Maghreb, 17% des enfants de moins
de 5 ans)’’. Donc, ‘’c’est dans ce contexte qu’il faut replacer la question
de la sécurité sanitaire des aliments, et donc de la certification et des
contrôles techniques, pour le thème désormais stratégique de la qualité
alimentaire en Méditerranée (Centre international de hautes études
agronomiques méditerranéennes, 2007)’’, pense-t-il.

‘’L’émergence rapide de la grande distribution’’, constitue le 9ème défi qui
concerne beaucoup plus les pays sud-méditerranéens que les autres. En effet,
Bertrand Hervieu insiste sur le fait qu’au cours des quinze dernières
années, la grande distribution a envahi les pays du sud de la Méditerranée,
avec une pointe dans les pays du Maghreb est éloquente où ‘’l’on est passé
d’un paysage dépourvu en grandes centrales d’achat à un panorama urbain se
recomposant autour de surfaces commerciales sans cesse plus attractives.
L’essor d’une classe moyenne urbaine branchée sur les standards de
consommation modernes et la hausse relative des niveaux de vie pour ces
populations expliquent en partie ce phénomène’’.

Et si ce phénomène n’avait pas que des bons côtés ! Certes, la grande
distribution, qui ne représente qu’environ 10% du total des ventes
alimentaires au Maghreb, ‘’risque de bousculer les pratiques industrielles
de ceux qui ont décidé de collaborer, avec notamment l’écueil d’une
industrie locale à deux vitesses’’. Explication de M. Hervieu : ‘’s’appuyant
sur une industrie normalisée, une logistique organisée, des
approvisionnements importants en volume et réguliers, la grande distribution
alimentaire exige organisation et ressources à la fois humaines et
financières. Autant d’efforts auxquels bon nombre d’industriels ne sont sans
doute pas prêts à consentir’’. Mais là une question se pose : avec
l’ouverture des frontières –mondialisation et accords de libre-échange
obligent-, mais des règles draconiennes érigées par les pays du Nord, les
industriels du sud ont-ils le choix de collaborer ou non avec les centrales
d’achat ou les grandes surfaces ? C’est évidemment non, à moins de se
condamner à mourir à petit feu.

Enfin, avec la hausse des prix des hydrocarbures, Bertrand Hervieu invite à
‘’une clarification du débat sur les biocarburants’’. Sur ce sujet, l’auteur
souligne que ‘’la promotion des biocarburants et leur développement sont des
faits mondiaux qu’il convient de reconnaître, avec les avantages que cela
apporte parfois’’. Toutefois, il déconseille de s’enthousiasmer dès lors
‘’qu’on raisonne à l’échelle du Bassin méditerranéen sur ce dossier’’. Et ce
pour deux raisons évidentes : ‘’d’abord, l’agriculture dans la région,
peut-être plus que partout ailleurs, ne pourra pas à la fois nourrir les
hommes et remplir les réservoirs des voitures : la croissance démographique
est trop importante, les surfaces agricoles manquent et les conditions
naturelles sont inadaptées et tendanciellement défavorables. Ensuite,
comment ne pas craindre que la Méditerranée soit l’illustration parfaite des
faits récemment observés, à savoir une corrélation intime entre croissance
des prix agricoles et développement des biocarburants ?’’.

In fine, voici la conclusion de Bertrand Hervieu dans laquelle il invite les
partenaires méditerranéens à une grande réflexion sur ce secteur certes
stratégique mais qui n’a pas fait l’objet de toutes les attentions à la
hauteur de ses implications dans l’avenir de la région : ‘’Ce panorama non
exhaustif des dynamiques agricoles, rurales et alimentaires en Méditerranée
montre assez bien l’éventail des enjeux auxquels l’agriculture est confrontée
dans cette région. Il importe d’en considérer toutes les dimensions, du
territorial au socioculturel en passant par la santé publique et la
géopolitique, pour en comprendre le caractère éminemment stratégique.

Si le soin est pris de ne pas cloisonner le débat agricole méditerranéen
dans les simples périmètres du commercial et de l’agronomique, peut-être
pourrait-on sortir des malentendus qui pèsent sur cette question, et ainsi,
au contraire, y explorer toutes les variables déterminantes pour le futur de
la Méditerranée.

Une fois cette posture adoptée, peut-être pourrait-on construire et
progresser dans la construction d’une coopération méditerranéenne fondée sur
un triptyque santé mobilisateur : santé des économies (savoir optimiser et
rationaliser les systèmes agricoles de chaque pays), santé des territoires
(savoir protéger et préserver l’environnement), et santé des hommes (savoir
se nourrir)’’.