Hafsaoui Lamine – PDG BTS : “Dans cinq ans, la BTS atteindra l’équilibre financier”

Par : Tallel
hafsaoui2203.jpgDans l’entretien ci-dessous, le président-directeur général de la Banque tunisienne de solidarité, M. Hafsaoui Lamine, nommé il y a juste un an, dresse l’état des lieux de la banque, et révèle sa nouvelle stratégie et les perspectives de cette institution financière tunisienne qui constitue aujourd’hui un exemple pour beaucoup de pays en développement. Ce grand commis de l’Etat, qui a pratiquement toujours travaillé au sein ministère des Finances, se donne cinq ans pour faire de la BTS une banque rentable et équilibrée, sans pour autant se détourner de sa mission première : financer
des projets, des zones et des populations souvent délaissés par le système bancaire classique.

Pour y parvenir, il a engagé une véritable réorganisation de la banque. Entretien !


La BTS ne favorise-t-elle pas la mentalité d’assisté ?

Il a été procédé de sorte que ces gens-là ne se retrouvent pas dans une situation d’assistés, mais qu’ils arrivent à se prendre en charge par eux-mêmes. Ceci dit, on s’est
aperçu que le Fonds n’était pas suffisamment outillé pour recouvrer les créances, parce qu’il s’agissait bien des prêts et non d’aides comme s’était le cas des programmes de développement rural ou urbain, et qui étaient beaucoup plus de l’assistance que de financement.

Et de fil en aiguille, est venue l’idée de créer une institution qui s’occupe uniquement du financement de la création de sources de revenu pour les personnes qui ne peuvent pas
être prises en charge par le système bancaire classique.

C’est ainsi que le président de la République a pris, le 21 mai 1997, la décision de la création de la Banque Tunisienne de solidarité (BTS).

La Banque Tunisienne de Solidarité a été créée -en 1997, et a effectivement démarré en 1998.

Cette création est intervenue juste après celle du Fonds national de solidarité qui a pour mission le financement d’infrastructures dans les zones d’ombres à travers toute
la République (écoles, dispensaires, pistes, électricité).

Mais par la suite, les pouvoirs publics se sont rendus compte que ces gens-là avaient également besoin d’aide financière. C’est ainsi que le Fonds national de solidarité 26-26, en plus du financement des infrastructures, a commencé à financer le lancement de projets destinés à devenir des sources de revenus (environ 63 mille sources de revenus dans les divers secteurs économiques).


Alors pourriez-vous expliquer en quoi consiste la solidarité dans le concept BTS ?

Le premier niveau de solidarité réside dans le fait que la BTS compte plus de 225 000 actionnaires –pratiquement chaque famille tunisienne a un membre qui a participé à la création de cette banque.

Le second niveau de solidarité, c’est que la BTS est exclusivement vouée aux couches défavorisées.

Le 3ème a consisté à ne pas alourdir les charges de la banque, c’est-à-dire qu’il ne fallait pas investir dans la logistique pour ne pas l’accabler dès le départ ; et c’est ainsi qu’un mouvement de solidarité s’est mis en place par la mise à la disposition des gens de
l’administration, des banques.

Le 4ème aspect de la solidarité, c’est que la BTS accorde des crédits sans garantie réelle et avec un taux d’intérêt qui ne dépasse pas 5% par an (contre 5,35% pour le TMM), cela constitue aussi un effort de solidarité que fournit la BTS pour soutenir les couches des les plus démunies.


Au jour d’aujourd’hui, combien de prêts ont été accordés par la BTS ?

Depuis sa création jusqu’à aujourd’hui (fin février 2007), la Banque a délivré quelque 86.000 accords de financement avec un montant global de l’ordre de 396 millions de dinars, soit environ 9.000 accords de financement par an depuis la création de la BTS. Ces crédits ont servi pour le financement de différents secteurs économiques : agriculture (14,1%), services (44,3%), petits métiers (38%), l’artisanat (3,6%).

Les diplômés de l’enseignement supérieur ont bénéficié de 15,5% du nombre total
des crédits.

86,2% des crédits ont concerné des créations de nouveaux projets, alors qu’environ 13,8% ont financé des extensions.


Est-ce que vous avez une idée sur le taux de réussite de ces projets ?

Nous avons engagé depuis mars 2006 une opération d’inventaire de tous les projets
financés par la banque depuis sa création.

En effet, on a eu d’excellentes surprises. Première bonne surprise : 72% des projets financés par la BTS continuent à exister, alors que la durée de vie des projets dans le domaine de la microfinance est très limitée.

La deuxième, c’est que 56% des projets continuent à fonctionner de façon normale ; 16% des projets connaissent quelques difficultés. Enfin, 28% des projets ont disparu pour des raisons multiples.


Dans ce cas, est-ce que vous vous dites que cette stratégie ayant donné d’excellents résultats, il n’est pas nécessaire de changer une équipe qui gagne ?

Non, au contraire, parce qu’entre temps, nous avons découvert que nous pouvons mieux faire avec les mêmes moyens mais avec une meilleure réorganisation de la banque. Au final, ce diagnostic, nous a permis de savoir quels sont nos points forts, et nos faiblesses aussi.

Et parmi nos points forts, c’est que la banque a acquis une grande expérience dans la petite finance : avec tout l’environnement de soutien, on connaît aujourd’hui les populations cibles, nous maîtrisons les techniques d’évaluation des projets, nous maîtrisons également les techniques du recouvrement.

Mais le plus important de tout cela, c’est que nous avons constaté que la BTS constitue aujourd’hui une sorte d’ascenseur social, dans le sens où certains projets ont permis non seulement à leurs promoteurs de réussir, mais à aider d’autres membres de leurs familles. Vous savez, avant on étudiait pour travailler dans une entreprise, dans l’administration afin d’aider sa famille, alors qu’aujourd’hui on le fait avec son propre projet avec les petits projets… C’est donc une réussite socioéconomique de la Banque.

Y a-t-il des gens ayant commencé avec la BTS, mais qui ont tellement ‘’grandi’’ qu’ils se trouvent obligés de se tourner vers les autres institutions financières… classiques ?

On peut en citer des centaines de projets. Sans aller trop loin, celui qui a obtenu le Prix Présidentiel de l’année dernière –il s’agit d’un petit projet de fabrication d’améliorant de gâteau, de pain…-, c’est un jeune agronome qui a commencé avec un prêt de 14 000 dinars, puis un deuxième de 28 000 dinars, et aujourd’hui il vient de monter un projet de 750 000 dinars avec le concours de la BFPME. En 2006, il a réalisé un chiffre d’affaires de 2 millions de dollars d’exportation, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Il y a également d’autres réussites dans les différents secteurs économiques.

Pour revenir à la BFPME, je dois dire que nous nous réunissons mensuellement avec
la direction de cette banque pour lui livrer les ‘’bébés’’ qui sont nés chez nous et qui ont grandi et qui veulent grandir davantage. Avant même la création de la BFPME, d’autres promoteurs ont pu arracher leur place au sein du système bancaire classique.


Alors, quels sont les points faibles de la BTS aujourd’hui ?

Les faiblesses de la BTS tournent essentiellement autour de l’organisation de la banque, qui a besoin d’être revue afin de lui permettre d’assurer un meilleur suivi des projets, car dans le domaine de la microfinance, c’est la proximité et le suivi qui peuvent permettre de réussir le projet.

Il est vrai que l’objectif déclaré c’est d’améliorer le recouvrement, mais en fait celui-ci n’est pas une fin en soi, parce que le recouvrement est un indice de réussite du projet ; plus on fait du recouvrement, plus cela montre que les projets ont réussi.

Autre point faible : nous avons découvert que nos financements ne s’adaptent pas toujours aux besoins du promoteur. On a commencé avec 10.000 dinars, puis 15 000… 50 000 dinars, et aujourd’hui, par décision du président de la République, les diplômés de l’enseignement supérieur peuvent obtenir des crédits allant jusqu’à 80 000 dinars.

Malgré toutes les augmentations de plafond qui ont eu lieu, on se rend compte qu’il n’y a pas eu des mesures qui permettent de s’adapter aux besoins du promoteur, notamment pour la durée du crédit, le recouvrement, le délai de grâce, etc.

Nous avons exposé ces problèmes au gouvernement qui les a soumis au chef de l’Etat. Suite à quoi, des mesures ont été prises le 8 décembre dernier, parmi lesquelles celle donnant la possibilité au diplômé de l’enseignement supérieur de bénéficier d’un crédit allant jusqu’à 80 000 dinars, et ce quelle que soit l’activité qu’il exerce, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Autre chose, avant on ne finançait pas l’activité de commerce, soit disant qu’elle n’apportait pas de valeur ajoutée, etc. Idem pour le secteur du transport (en janvier 2007, nous avons financé 2 ou 3 diplômés de l’enseignement supérieur qui ont eu leur agrément pour avoir leur taxi).

A mon avis, le financement des micro-projets est tributaire de deux conditions essentielles : le sérieux du promoteur et la viabilité du projet pour ne pas dire la rentabilité.

Mais quoi de nouveau concernant la banque elle-même ?

Je citerais par exemple la décision qui concerne l’étude des dossiers au cas par cas, la décentralisation de certaines décisions de financement de la banque, la simplification des procédures, plus d’ouverture.

A ce sujet, je signalerai que la BTS possède une cellule dans chaque gouvernorat qui est habilitée à prendre pratiquement toutes les décisions de crédit (aujourd’hui près de 80%).

Pour vous donner un exemple, on a donné 800 accords de financement pour le mois de janvier 2007, seulement une trentaine de cas ont été rediscutés au niveau central, le reste des décisions a été pris au niveau régional.

Est-ce que la banque suscite toujours autant d’engouement comme aux premières années de sa création ?

Il faut avouer que le nombre de demandeurs de financement a fortement chuté pour plusieurs raisons. A mon avis, la première raison, c’est que, le marché étant exigu, les gens réfléchissent maintenant 2 à 3 fois pour trouver le créneau porteur avant de se présenter à la banque.

Ensuite, au départ, les gens ont vu en la BTS beaucoup plus le mot ‘’solidarité’’ que celui de ‘’banque’’, mais à partir de 2005-2006, ils ont découvert que c’était une banque, et par conséquent, elle se fait rembourser.

Troisièmement, il faut dire que la culture de l’entreprenariat reste toujours limitée. Et bien sûr, il y a aussi le volet marché qui est un grand problème.


Quelle est donc la stratégie future de la BTS ?

Il faut reconnaître que la BTS a réussi jusqu’à présent à exporter l’idée dans plusieurs pays, notamment en Afrique subsaharienne. Pour notre part, nous pensons qu’il faut réfléchir à des petits projets exportateurs, c’est-à-dire que le projet fabrique des produits exportables.

Je dois préciser que la BTS n’est qu’un instrument de financement, et qu’elle n’agit pas toute seule, elle est accompagnée de plusieurs organes de soutien dans tous ses domaines d’intervention (ministères des Finances, de l’Emploi, du Commerce et de l’Artisanat, de l’Agriculture et des Ressources hydriques, et bien d’autres organismes, tels que l’API, APIA, ANETI, ONA …).

Tout ceci, parce que la Banque a été, dès sa création, conçue comme un outil au service des autorités pour pouvoir réaliser un certain développement socio-économique dans des secteurs, des régions et au profit des populations bien déterminées.

Donc, l’importance de la BTS en tant qu’axe de développement ne constitue plus sujet à discussion. Mais, il s’est avéré nécessaire d’équilibrer nos relations avec ces organismes de soutien, en concrétisant davantage cette relation. Car, au départ, on se limitait à des conventions signées entre la BTS et les ministères concernés au niveau central, ce qui veut dire que leur répercussion ne se voyait pas de façon claire.

De fait, nous avons adopté une nouvelle politique, en l’occurrence la politique de contrat-programme, c’est-à-dire que la BTS établit un contrat annuel avec chaque gouvernorat.
Cela nous permet d’avoir une meilleure visibilité pour chaque année et pour chaque gouvernorat (combien de projets nous allons financer, dans quels secteurs, les activités que nous allons pousser davantage, etc.), et ce en fonction du nombre des diplômés de l’enseignement supérieur dans les régions concernées.

Je dois rappeler à ce sujet qu’il s’agit d’un contrat négocié -et non imposé- entre la BTS et les autorités régionales avec l’appui des organismes de soutien établis dans ces régions.


Mais est-ce que cela n’a pas engendré des changements au niveau de la banque ?

Bien évidemment, il a fallu que la banque révise ses procédures. Actuellement, nous sommes en pleine restructuration avec le soutien du président de la République qui a ordonné le renforcement des moyens humains de la BTS.

Le chef de l’Etat nous a également accordé la possibilité de renforcer le système d’information de la Banque. Et c’est dans ce cadre que nous allons, prochainement, signer une convention avec une grande société pour acquérir un système Global banking qui sera à même de nous permettre d’être plus efficace en améliorant la productivité de la BTS, mais aussi au personnel de la banque de travailler dans des meilleures conditions.

Par ailleurs, et toujours dans le cadre de la réorganisation de la banque, nous optons de plus en plus pour un personnel appartenant à la banque, parce que l’expérience a montré quand on travaille pour une institution à laquelle on n’appartient pas, il est difficile de se donner au fond. Par exemple, depuis que je préside aux destinées de la BTS –il y a à peine un an-, j’ai nommé 3 ou 4 chefs d’agence dans les régions, des cadres qui ont été recrutés par la banque dès sa création, lesquels sont en train de donner d’excellents résultats et qui sont imbus de bonne volonté.

Donc, moyens humains, moyens techniques, meilleure organisation de la banque, une décentralisation à outrance, avec en perspective que, quand nous aurons un système d’information fiable et efficace, un système comptable fiable, une plus grande technicité à travers un plan de formation général pluriannuel de nos cadres et agents que nous préparons actuellement… d’avoir une banque bien organisée.

D’ailleurs, au lieu de parler de cellules régionales, sous peu nous parlerons d’agences régionales dont la mission sera d’être proches des promoteurs que nous avons financés et qui, de temps en temps, ont besoin qui d’un crédit d’exploitation, qui d’un crédit commercial, qui pour déposer ses recettes, etc. Ceci dit, l’objectif n’est pas d’aller démarcher la clientèle des autres banques, mais il s’agit de présenter des produits bancaires adaptés à notre clientèle ou population cible, car nous avons le devoir de
les accompagner.

Si nous arrivons à réussir cela, nous serons la banque spécialisée dans la microfinance au vrai sens du terme, tout en visant comme objectif d’être une banque rentable, équilibrée et qui fait des bénéfices…


Quel est le taux de recouvrement de la BTS aujourd’hui ?

Pour l’ensemble des projets qui marchent normalement, d’autres moyennement et
d’autres encore qui ont cessé leurs activités, nous arrivons à un taux global de recouvrement de plus de 60% afin 2007. En écartant les projets qui ont disparu, ce taux monte à 70% ; et si on prend uniquement les projets promus par les diplômés de l’enseignement supérieur et les femmes, le taux de recouvrement s’élève à 90%.

Finalement, ce n’est pas un rêve de dire que nous allons réaliser un taux global de recouvrement de 80%. Dans ce cas, et avec le taux d’intérêt que nous sommes en train de réaliser (5%), il ne va y avoir qu’un déchet de 20% qui peut facilement être supporté par le notre fonds de garantie… Donc, 90% de la mise des 20%, plus 80% du taux de recouvrement normal avec le taux d’intérêt de 5%, tout ceci veut dire que la banque peut couvrir ses charges et faire un petit bénéfice, alors qu’actuellement elle est en train de tendre la main à l’Etat, annuellement, pour obtenir une subvention destinée à équilibrer nos comptes.


Combien de temps faudra-t-il pour que la BTS atteigne cette situation d’équilibre?

Si tout se passe comme je viens de le dire, dans cinq ans la banque sera en
mesure d’atteindre son équilibre.


Les associations jouent également un rôle important dans les activités d’une banque comme la vôtre… ?

Effectivement. J’allais en parler ; le 2ème volet de la BTS est constitué des associations (239 au total) qui gèrent et accordent des microcrédits. En effet, à travers certaines associations, on a pu découvrir en 1999 que certaines couches sociales n’avaient pas besoin d’un microprojet mais d’un petit crédit pour pouvoir créer une petite activité ou pour en financer une qu’ils en possédaient déjà.

C’est en ce moment qu’il a été décidé de créer un système de micro-crédit et de mettre une ligne de financement à la banque pour être affectée aux associations lesquelles utilisent cette ligne de crédit suivant un contrat-programme en fonction des spécificités et des priorités de chaque gouvernorat en coordination avec les autorités régionales, etc.

Résultat : Jusqu’à aujourd’hui, nous avons pu accorder 220.000 microcrédits avec un montant de 176 MDT et un taux de recouvrement qui se monte à 82%, sachant qu’il existe une dizaine d’associations qui ont des créances accrochées assez importantes. La réussite de cette opération de recouvrement est due essentiellement à la proximité et au suivi.

Il faut également signaler que ces associations bénéficient de plusieurs avantages : formation, appui financier et institutionnel, prise en charge des charges de l’employeur pour la CNSS, bénéfice d’une partie des salaires pour les diplômés de l’enseignement supérieur recrutés par l’association, prime d’installation au démarrage.

A fin 2009, toutes les délégations du pays seront couvertes par des associations de micro-crédit ; c’est l’objectif présidentiel.

Pur finir, je dirais que la BTS a une garantie, c’est sa clientèle qu’elle a créée elle-même. Aujourd’hui, nous avons environ 60.000 projets, dans cinq ans ce sera 80 ou 90.000 projets, avec un objectif d’avoir aux alentours de 45-50 000 clients bancaires, ce qui nous ouvre pas mal de perspectives…

Propos
recueillis par
Tallel BAHOURY