La stratégie de l’UE pour l’Afrique : Stratégie du minimum ou Pacte d’assistanat durable?

Par : Autres
 

La stratégie de l’UE pour l’Afrique

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Par Ayikoé
ADJANK*

 

ue1.jpgDans sa
communication datée du 12.10.2005 et portant les références “COM(2005)489 &
SEC(2005)1255, la Commission européenne propose sa manière d’aborder
désormais les rapports entre l’UE et l’Afrique. Mais grande a été notre
déception quant aux ambitions de cette stratégie qui ne cherche aucunement à
soutenir les efforts déployés par Africains pour sortir leur continent du
gouffre dans lequel l’ont mis les traites négrières et les colonisations,
mais juste à se donner bonne conscience et à participer à la mascarade sur
les “objectifs du millénaire pour le développement” – question de maintenir
artificiellement ce continent en vie.

 

Cette
initiative de la Commission, synthétisée dans un document titré “La
Stratégie de l’UE pour l’Afrique : vers un pacte euro-africain pour
accélérer le développement de l’Afrique”, doit encore – à l’heure où nous
écrivons cet article – passer le cap de Parlement européen et surtout
obtenir l’aval du Conseil européen de décembre 2005 pour entrer en vigueur.

 

Notre but
est d’en présenter les grandes lignes, de situer nos inquiétudes et
d’alimenter un débat constructif et concis sur les relations entre l’Afrique
et l’Europe.

 

Les objectifs, les
principes et les politiques de la stratégie de l’UE

a) Un double objectif : “Apporter à l’UE un cadre global, intégré et à long
terme pour la gestion de ses relations avec le continent africain, et, être
la réponse de l’UE au défi de voir l’Afrique reprendre le chemin du
développement durable et atteindre les OMD pour l’année cible de 2015”. Le
premier volet de cette stratégie, centré sur la coordination et la cohérence
des “aides” européennes en direction de l’Afrique, est supposé en augmenter
l’efficacité. Par le second volet, l’UE dit vouloir “renforcer son aide dans
les domaines considérés comme préalables à la réalisation des objectifs du
millénaire pour le développement (OMD) des Nations unies”, ou de faciliter
la réalisation en Afrique des dits objectifs.

b) Cette nouvelle approche devrait privilégier le dialogue entre l’UE et les
institutions panafricaines, notamment avec l’Union Africaine et les
Communautés régionales (CEDEAO, CEMAC …). Les principes d’égalité, de
partenariat, d’appropriation, de subsidiarité, de solidarité et de dialogue
devraient devenir la règle dans les rapports euro-africains.

c) Dans la pratique et au nom de cette stratégie, des politiques seraient
menées pour la promotion de la paix et de la sécurité, pour le soutien à une
gouvernance légitime et efficace, pour la mise en place d’un environnement
économique favorable et pour la réalisation des OMD. L’homme est placé au
centre du développement, une allusion est faite à un avenir écologique
durable. Sur le plan financier, la Commission préconise une augmentation des
“flux d’aide vers l’Afrique”, une approche coordonnée, la transparence, la
prévisibilité, et, une participation directe aux budgets des pays assistés,
donc une orientation de leurs politiques sectorielles.

Les graves lacunes et absurdités de la stratégie de l’UE

Notre sentiment général est qu’il s’agit d’une initiative, certes louable,
mais qui n’inversera pas la paupérisation de l’Afrique, tout comme elle ne
permettra pas aux Africains de mieux profiter de leurs nombreuses richesses.
En effet, si le fait de coordonner, de rendre plus transparentes les
politiques des “aides” européennes en faveur de l’Afrique et de les axer sur
les préalables au développement durable est chose souhaitable, il est clair
que cette stratégie évite d’engager la “rupture” dont l’Afrique a besoin
pour sortir ses populations du cercle vicieux du “sous-développement” et de
la dépendance. Rupture avec les politiques d’assistanat et
d’infantilisation. Rupture avec les modèles de développement conçus pour
satisfaire aux critères des agences onusiennes et au capitalisme occidental,
rupture avec le système financier impérialiste et la division internationale
du travail qui enlèvent tout pouvoir de décision et d’autogestion aux
Africains.

Nous exposons ici les graves lacunes et absurdités décelées à la lecture de
la “stratégie” de l’UE.

1- Un déficit démocratique pouvant conduire à un faible niveau
d’engagement.

Cette stratégie à destination de l’Afrique, et qui encadrera les rapports
entre l’Europe et l’Afrique sur plus d’une décennie, souffre d’un grave
déficit démocratique car les populations cibles et les diverses communautés
africaines n’ont pas (ou peu) été consultées au cours de son élaboration. Il
aurait fallu recueillir les avis de ces populations ou d’une diaspora
représentative, leur permettre d’exprimer leurs besoins et leur vision du
continent. C’est avec elles que des politiques appropriées auraient dues
être développées. La contribution de l’Europe serait alors sollicitée, de
manière décisive mais limitée dans temps, pour accompagner les efforts de
ces populations. Ce déficit démocratique est inquiétant pour un projet qui
prétend “placer la personne au centre du développement” (paragraphe 3.1.3.1.
de la communication). Pas de consultation de la diaspora africaine vivant en
Europe alors que le projet souhaite voir la participation des élites
africaines expatriées dans sa mise en oeuvre. Bref, les Africains ont été
relégués au rang d’assistés et voire infantilisés. Les associer aurait
facilité leur appropriation du projet, leur valorisation, leur implication
totale et leur responsabilisation.

2- Les aberrations de l’application du principe de subsidiarité

Ce principe emprunté aux rapports entre les institutions européennes et les
niveaux de pouvoir nationaux et plaqué sur les réalités africaines peut
conduire tout simplement à des aberrations dans de nombreux cas (paragraphe
2.2.2. de la communication).

Au nom de ce principe, l’Europe peut ainsi se dérober au rôle d’observateur
dans l’organisation d’élections présidentielles ou législatives africaines
lorsque l’Union Africaine ou une communauté régionale africaine se confie
elle-même cette mission. L’incohérence de cette démarche réside dans le fait
que, pour l’instant, l’Afrique manque de capacités administratives comme le
souligne d’ailleurs cette même communication. Pire, lorsque ces capacités
existent, elles peuvent rarement exercer un contrôle impartial et
indépendant.

Les ravages de cette posture sont déjà observés, notamment au TOGO, lors des
dernières élections présidentielles organisées dans ce pays. On a ainsi
entendu l’UE –par la voix de son commissaire en charge du développement-
déclarer “globalement satisfaisant” ce scrutin présidentiel malgré les
fraudes massives et les nombreuses atteintes aux droits humains qui l’ont
entaché, et malgré le fait que l’UE n’y a pas envoyé d’observateurs. Ce rôle
étant laissé aux institutions africaines. La conséquence est que cette
caution apportée par l’UE a conforté un dictateur à usurper le titre de
président de la république et à établir la première République-monarchique
d’Afrique. Plus besoin de signaler que la démocratie et la paix sociale sont
compromises dans ce pays et pour une longue durée.

Plus globalement, nous sommes très inquiets pour les cas à venir, notamment
celui du BURKINA FASO, où le dictateur en place depuis près de 20 ans, vient
de faire modifier la constitution pour pouvoir briguer un énième mandant.
Quelle sera l’attitude de l’UE? Encore la subsidiarité?

Les institutions africaines ne peuvent –du moins pour le moment– assumer
seules, la charge délicate d’observation de scrutins aussi importants pour
le présent et le devenir du contient. Pour le moment, ces institutions
affiche une gouvernance opaque, inefficace et souvent sujette à des intérêts
particuliers.

3- Les effets pervers d’une stratégie basée sur les “aides”

L’assistanat ne conduit-t-il pas l’assisté à rester dans l’attentisme au
lieu de prendre en mains son destin? Plus inquiétant encore, cette stratégie
– dite du “développement durable” – ne conduit pas à terme à l’autogestion.
L’absence de capacité d’autogestion est pour nous la plus grande des
pauvretés. Par ailleurs en une participation directe aux budgets des États
africains, comme il est suggéré par la Commission, nous fait redouter une
orientation des politiques locales dans le sens voulu par les “généreux
donateurs”.

4- Le contrôle des systèmes financiers africains

Pourquoi avoir choisi d’éluder la question du contrôle des systèmes
financiers africains? A quand l’indépendance financière et économique de
l’Afrique?

5- La poursuite de la stratégie de l’entonnoir ou le retour l’aide au
donateur

Les expériences passées nous renseignent que les ressources financières
supposées “aider les pauvres”, pour une grande part, finissent leur
parcours, soit dans les caisses de multinationales ou banques européennes et
américaines, soit en salaires aux travailleurs d’ONG européennes et
américaines dont la survie dépend généralement de la perpétuation de la
misère en Afrique. La “pauvreté” en Afrique est donc un bel argument pour
recycler de l’argent public pris aux citoyens européens au profit de
quelques ONG, banques et multinationales. Quel que soit le circuit, “l’aide”
revient donc au donateur : c’est la stratégie de l’entonnoir. Il aurait été
plus honnête de penser à une stratégie qui permet la constitution de
capacité d’autofinancement et de croissance endogène dans ces pays dits
“pauvres”.

6- Industries

Pourquoi aucune vision d’une réelle industrialisation du continent, non plus
axée sur des activités d’extraction minière, mais sur des industries de
transformation et des nouvelles technologies, seules capables de rendre
l’Afrique plus attrayante et prospère? Comment prétendre s’attaquer à la
pauvreté sans politique d’industrialisation, seule capable de dynamiser le
marché intérieur africain et capable d’absorber la main d’œuvre abondante du
continent ?

7- Sémantique : savoir communiquer pour susciter de l’adhésion

Sur la quarantaine de pages de la communication de la Commission, nous
notons que les mots “pauvreté”, “aide” et “développement”, ont été utilisés
respectivement 30, 89 et 200 fois. Ces termes aux contenus discutables,
utilisés de manière aussi prolifique, peuvent-ils motiver et susciter
l’adhésion des populations cibles au projet?

L’image du continent, dépeinte à travers ces mots, et, renvoyée aux
Africains est-elle juste et ne conduit-elle pas à décourager les initiatives
locales? N’aurait-il pas été équitable d’équilibrer ce tableau en soulignant
quelques aspects positifs et potentialités du continent?

Quelques pistes à méditer

Mieux utiliser les ressources additionnelles: Les ressources additionnelles
prévues dans le cadre de cette stratégie devraient plutôt être orientées
vers des secteurs et activités dans lesquelles l’Afrique a des avantages
comparatifs. Cette démarche ouvrirait de nouveaux marchés en faveur du
continent et procurerait des ressources qui iraient financer d’autres
activités. Les secteurs des textiles, de l’électronique, de la chimie, des
constructions navales, mécaniques et métalliques peuvent être très vite
développés. Ces secteurs bénéficieront de la main d’œuvre abondante et de la
disponibilité des ressources primaires.

Des industries locales aux demandes locales: L’exemple type est celui du
textile. Rappelons que le “développement” des États-unis a commencé par le
textile, même chose pour l’Inde et la Chine. Rappelons aussi que le coton
africain a le meilleur rapport qualité prix au monde. Les chaînons manquant
restent les filatures, les recherches et développement et le design. La même
réflexion devrait être faite sur chaque produit consommé sur le continent et
pour lequel il existe des avantages comparatifs à consolider.

Les infrastructures: De part le passé, leur construction se faisait par des
matériaux importés et qui rendaient leurs coûts exorbitants et leurs
entretiens précaires. Aujourd’hui, compte tenu des besoins énormes pour les
infrastructures routières, ferroviaires et portuaires, le préalable ne
serait-elle l’acquisition de compétences dans la production des matériaux
entrant dans l’édification de ces infrastructures? Si les matières premières
se trouvent sur le continent, leur transformation jusqu’à l’état de produits
finis doit aussi y se faire afin de mieux maîtriser les coûts et de susciter
des comportements managériaux en conséquence. Seule une telle démarche
permettra aux Africains de s’approprier ces projets et d’en assurer
durablement la gestion.

Des Énergies: Le solaire et l’éolienne doivent constituer les sources
prioritaires d’énergie du continent. Par ailleurs, il serait judicieux de
repenser la politique des énergies fossiles, notamment celle du pétrole dont
le raffinage sur place conduira à la création d’activités dérivées qui
procureront emplois et savoir faire.

Environnement: Pour notre part, nous trouvons que les préoccupations
écologiques devraient être au centre de toute démarche de valorisation de
ressources minières, hydroélectriques ou d’édification de quelque ouvrage
que se soi, afin d’éviter à l’Afrique les destructions incommensurables et
irréversibles observées ailleurs lors de ces aventures humaines. Il est
aussi important de partir d’initiatives africaines réussies dans le domaine
de protection de l’environnement. Je fait ici, explicitement allusion aux
initiatives écologiquement et socialement responsables entreprises au départ
du KENYA par le Green Belt Mouvement fondé par Wangari Maathai (Initiatives
pour lesquelles elle s’est vue décerner le prix Nobel de la paix en 2004).
La vulgarisation de l’approche mise en place par ce mouvement peut aider à
lutter efficacement contre la déforestation, la malnutrition et les
conflits, tout en procurant des revenus substantiels directement aux
personnes. Un site intéressant à visiter:

www.greenbeltmovement.org
.

Formation des professionnels de la santé. En Afrique, le secteur de la santé
souffre d’un manque chronique de personnel qualifié. Si l’on sait que le
Cuba – pays dit “pauvre” – arrive à former gratuitement 1600 médecins
latinos par cycle (6 ans), se pose la question des objectifs de 50 ans de
coopération nord-sud en la matière. Tout porte à croire qu’on préfère les
actions “médiatico-humanitaires” de MÉDECIN SANS FRONTIÈRES à une réelle
capacité d’autogestion des questions de la santé en Afrique. Notre
suggestion est donc de tourner le dos au bricolage et d’adopter une démarche
moins folklorique.

 

Conclusion

L’état actuel de l’Afrique est bien sûr le résultat de trois siècles de
traite négrière et de deux siècles de colonisations – qui perdurent –
infligées par le monde occidental à l’Afrique. Que les mêmes, aujourd’hui,
s’étonnent que l’Afrique soit “pauvre” sans avoir le courage de situer les
responsabilités est faire preuve d’amnésie sélective. Aujourd’hui, des
incessants efforts entrepris sur le continent semblent ouvrir la voie d’un
possible redressement. Notre devoir est de dénoncer, de contribuer, mais
aussi de s’interroger sur toutes les formes de relation entre l’Afrique et
le reste du monde.

La “stratégie de l’UE pour l’Afrique, initiée par la Commission européenne
mérite donc notre attention, vue l’importance des relations entre les
continents Africain et Européen. Une fois encore, l’argent du contribuable
européen va être collecté et dépensé au nom des Africains. Mais comme nous
le savons, et au regard du passé, les “politiques d’aide” ont montré leurs
limites. Les fonds collectés se retrouvent quasi totalement sur les comptes
de multinationales occidentales, de dictateurs, ou d’hommes d’affaires peu
scrupuleux, sans jamais atteindre les objectifs affichés. La présente
stratégie ne propose pas de véritable rupture par rapport à celles qui ont
été menées jusqu’à présent, si ce n’est dans son volet préconisant vaguement
la consolidation de la paix et de la sécurité. Nous estimons que toute
stratégie basée sur des “aides ou l’assistanat de long terme” est un
appauvrissement, voire une infantilisation des “assistés”.

Par ailleurs, après analyse de cette “Stratégie de l’UE pour l’Afrique”,
nous restons très inquiets quant à la réelle volonté du monde occidental de
laisser les Africains s’outiller pour s’autogérer. Pourquoi ce monde
choisit-il de maintenir l’Afrique dans l’assistanat et dans la pauvreté
chronique?

Nous espérons que l’analyse effectuée dans ces quelques lignes suscitera des
débats au sein des communautés africaines et européennes. Peut-être la
Commission devrait revoir sa copie, ne rien précipiter, et, utiliser
l’argent du contribuable européen à bon escient. Mais surtout, les
communautés africaines où qu’elles devraient s’organiser pour mieux faire
connaître et défendre leur vision du continent Africain. Pour Afrology, la
question de la volonté réelle reste posée à tous les niveaux, chez tous les
intervenants; l’histoire jugera…

 

Bruxelles, le 11
novembre 2005.

* Analyste financier


http://www.afrology.com