C’était en septembre 1983 : La «puce asticoteuse »

Par : Autres

C’était
en septembre 1983

 

La «puce
asticoteuse »

 


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Le
président de, la République est un homme seul; trop coupé de la masse des
citoyens. Un ancien diplomate; Raoul Bertrand, imaginait. un jour que l’on
pourrait ressusciter le placet au roi» sans encombrer le pouvoir. De petits,
ordinateurs, municipaux reliés à un central élyséen permettraient le
classement, le traitement et expédition instantanée des suggestions du bon
peuple. La « puce. » asticoteuse, réclamée jadis par l’abbé Pierre, serait
physiquement présente, et la « démocratie directe», vouée aux cantons
suisses, s’infiltrerait dans nos institutions.

 

Parmi toutes ses vertus, la
micro-informatique a celle, on le voit…, d’asticoter l’imagination. Ce
n’est pas la moindre. Peu d’experts de la Silicon Valley avaient sans doute
pensé à cette explosion d’un phénomène de société grâce à la miniaturisation
de l’informatique. Maintenant, les faits sont là;troublants, passionnants,
éclatants. Cette brochure, dont la plupart des articles sont originaux, les
autres ayant déjà été publiés dans le Monde, a pour ambition de rendre le
lecteur sensible à ce phénomène. Dans tous les compartiments du jeu de la
production, comme diraient ;les chroniqueurs sportifs, les claviers et les
écrans sont là. A domicile ils arrivent et interfèrent dans les relations
intra familiales.

 

Les jeunes ont trouvé là un
océan de rêves. Sans doute la multiplication des jeux, grâce aux
combinaisons des logiciels de divertissement, n’a pas été, étrangère à cet
engouement de la génération montante. Quand on peut suivant son humeur se
transformer en capitaine de sous marin affrontant un torpilleur, en shérif à
la recherche du méchant cow-boy, en astronaute découvrant des planètes
étranges, …etc., comment n’irait on pas vers les petites ou plus grosses
boîtes magiques ?

 

Mais les, adolescents trouvent
d’autres réponses dans des micro-ordinateurs, comme le prouve à paris le
banc d’essai installé par M. Jean Servan Schreiber. Ils apprennent à
domestiquer un engin d’une extraordinaire souplesse, qui peut les aider à
comprendre mieux les subtilités de la grammaire française ou l’extraction
d’une racine carrée. Et comme la motivation est très forte, ils sont souvent
familiarisés plus vite que les adultes avec ce « partenaire» obligeant. Nous
arrivons ainsi, à cette nouvelle étape de l’éducation annoncée jadis par
Margaret Mead, celle où les enfants apprennent à leurs parents (en
l’occurrence à se servir des nouvelles machines).

 

Des « Fanas » de la micro
informatique n’ont pu rester chez eux à attendre le .message d’un autre
amateur: ils ont fondé, des clubs et ont échangé leurs expériences de
programmation, leurs vues sur les performances de leurs consoles, et l’on
parle de «bits» et d’«octets» comme jadis de chevaux vapeur à propos d’une
«belle américaine».

 

Les professionnels sont plus
blasés. Il y a déjà un certain temps qu’ils ont découvert les prouesses que
pouvaient leur faire accomplir les ordinateurs dans la gestion, la
comptabilité, etc. Mais à mesure que la taille et le prix de ces machines
décroissaient, des entreprises de plus en plus petites étaient conquises par
elles, qu il s’agisse de l’agriculture, de l’industrie ou des services. Du
coup, les associations, les établissements d’enseignement, les médecins,
etc., s’y mettaient aussi. Un tel appétit des .consommateurs en donnait aux
producteurs. Curieusement, les plus gros. ne furent pas les plus gourmands
dans un premier temps. I.B.M. regarda tout ce tohubohu avec une certaine
distance avant de se lancer sur ce marché, pendant que quelques ingénieurs
surexcités, américain d’abord puis, japonais, groupés dans l’arrière salle
d’un laboratoire ou le garage d’un pavillon, construisaient un, deux trois
prototypes de micro ordinateurs et faisaient fortune en commercialisant très
vite leur produit. La preuve était faite que I’on avait non seulement
apprivoisé très vite ces petits êtres du « règne machinal », : mais aussi la
manière de les créer.

 

La boucle est bouclée. La
pastille de silicium, la fameuse « puce », n’a pas fini de démanger les
esprits. De nouveaux matériels, encore plus petits on. pense au « ciron» de
Blaise Pascal, encore plus performants, vont apparaître. Les utilisateurs
dans les pays industrialisée et dans le tiers monde, vont se multiplier. La
puissance du traitement de l’information par centimètre cube de mémoire a
augmenté d’un milliard de fois en trente ans. Les États Unis produisent
actuellement plus d’un million de microprocesseurs par jour. Des chiffres
qui donnent le vertige. Comme l’écrivait le professeur Madhi Elmandjara : «
Le capital n’est plus la source de développement et de pouvoir qu’il fut.
L’information prendra sa place dans les sociétés post-industrielles, comme
!e capital avait pris la place des ressources naturelles il y a deux cents
ans. »

 

La mutation est d’envergure.
Encore faut il qu’elle s’accomplisse en préservant ce « sel de la terre »
qu’est la liberté individuelle, et que la logique des machines .ne triomphe
pas. Il y a moins de risque avec la poussière de rnicro-ordinateurs : la
décentralisation du « pouvoir informatique » est en marche.

 

Il est une autre façon
d’exorciser les maléfices de cette technologie nouvelle, c’est de mieux
diffuser l’enseignement de l’informatique. A cet égard, la France a
d’immenses progrès à réaliser. Le rapport récemment adressé par M. Maurice
Nivat à MM. Laurent Fabius, ministre de l’industrie et de la recherche, et
Alain Savary, ministre de l’éducation .nationale, est, à cet égard,
alarmant: carence d’enseignants, de chercheurs, de disponibilités en
matériel informatique. « Comment as t on pu laisser se créer une situation,
écrit l’auteur, où les deux universités, scientifiques de Paris Centre
disposent de moins de, moyens que le collège presbytérien die Jamestown dans
le Dakota du Nord? »

 

C’est, en fait, l’Europe entière
qui doit se reprendre si elle ne veut pas rater complètement la «
troisième révolution technologique
». La première firme de composants du
Vieux Monde est la onzième à l’échelle de la planète! La «puce» ne nous
laissera pas en paix. Heureusement!. Nous : étions en train de nous endormir
sur le mol oreiller de l’histoire.

 

PIERRE DROUIN.

La Micro Informatique septembre
1983

(c)
Webmanagercenter – Management & Nouvelles Technologies -30/04/2004 à
17:30