Bourses africaines A vos risques, et périls !

Par : Autres

   

Bourses africaines
A vos risques, et périls !

 

 

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raison d’un par an, les marchés d’action africains se sont multipliés depuis
1988. Mais, à l’exception de celui d’Afrique du Sud, aucun d’eux ne parvient
réellement à s’imposer. Pourtant, certains investisseurs s’y retrouvent et
tirent leur épingle du jeu. Explications.

Les opérateurs de Wall Street
leur ont trouvé une appellation commune, les frontier markets. Ces marchés
périphériques, en marge des places boursières émergentes, sont quelques
dizaines de par le monde. Leur point commun ? Une petite taille et un niveau
de risque extrêmement élevé. Les Bourses de Karachi, de Téhéran ou de
Kingston en font partie. Tout comme la vingtaine de petits marchés d’actions
créés sur le continent africain et qui tentent de se faire une place aux
côtés des Bourses sud-africaine et égyptienne. Abidjan, Dar Essalaam,
Harare, Kampala, Lusaka, Mbabane, Nairobi… en tout vingt villes hébergent
« leur » Bourse des valeurs mobilières.

Depuis 1988, il s’est créé en
moyenne un nouveau marché chaque année sur le continent. Pour les promoteurs
de ces places, il s’agissait de faciliter la mise en oeuvre des programmes
de privatisation, d’accélérer la transition vers une économie de marché et
de donner des gages de bonne conduite aux bailleurs de fonds étrangers.
Quelques années plus tard, le bilan est sévère. À de rares exceptions près
sur le continent principalement la place sud africaine , le miracle n’a pas
eu lieu. Les privatisations via la Bourse ont été rares. Les investisseurs
et les entreprises n’ont pas répondu présents. Les gérants étrangers, par
qui transite l’essentiel des fonds investis sur les Bourses émergentes,
ignorent les petites Bourses africaines, leur préférant les marchés
asiatiques ou latino-américains. En Afrique, l’espoir a fait long feu, comme
le rappelle un analyste financier de la place d’Abidjan : « Avant le coup
d’État de décembre 1999 en Côte d’Ivoire, j’avais des clients américains,
anglais et sud-africains. En tout, une vingtaine d’institutionnels. Depuis,
les deux tiers sont partis et les autres ne sont plus très actifs. » Au
milieu des années 1990, un embryon d’enthousiasme pour les Bourses
africaines s’est bien traduit par la création de plusieurs fonds
d’investissement privés spécialisés : l’Africa Investment Fund de Morgan
Stanley, le Simba Fund de Baring et le Undervalued Assets Fund de Repent.
Chacun d’entre eux parvient même à lever plusieurs dizaines de millions de
dollars. Aujourd’hui, il ne reste qu’un survivant en Afrique subsaharienne :
le Frontier Africa de la société américaine Emerging Markets Management.
Seuls l’Afrique du Sud, l’Égypte et, beaucoup plus marginalement, le Maroc
et la Tunisie, attirent les capitaux étrangers. En dépit de quelques
tentatives pour vanter leurs mérites notamment l’organisation par le
Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) d’une conférence à
New York, en avril 2003 et le soutien affiché par les États Unis à leur
développement, les marchés d’actions africains ne sont pas parvenus à
intéresser ou fidéliser les investisseurs. Ce, pour quatre raisons
principales.

1 Des marchés trop étroits

 

boursejohannesburg.jpgRobert
Bunyi, responsable de la recherche-actions chez Liquid Africa, une place de
marché en ligne, déplore l’étroitesse des marchés : « Les Bourses africaines
souffrent en premier lieu de leur petite taille. Et ce, quel que soit
l’instrument de mesure. » En Tunisie ou en Côte d’Ivoire, la capitalisation
boursière ne représente que 11% du PIB, 26% au Maroc, contre une moyenne de
100% dans les pays développés et 123 % en Afrique du Sud. La Bourse
d’Algérie n’accueille que trois compagnies cotées.

 

Celles de la Tanzanie et de
l’Ouganda réunis, dix sociétés… Parallèlement, le rythme et l’ampleur des
transactions restent peu élevés, compliquant d’autant le fonctionnement du
marché. « Une opération de quelques millions de dollars peut prendre jusqu’à
une semaine » , souligne Robert Bunyi. On est loin, certains jours, de
l’effervescence d’un marché en pleine activité. Le 3 octobre, les
transactions sur la Bourse de Nairobi, au Kenya, s’élèvent à 1,1 million
d’euros. Le même jour, 485 titres sont échangés à Abidjan, pour une valeur
de 16.800 euros. Deux jours plus tôt, 742.000 euros avaient transité par la
Bourse de Windhoek, en Namibie. Des chiffres dérisoires. Et qui ne résistent
pas à la comparaison avec les 77 millions d’euros échangés chaque jour sur
la Bourse de Varsovie, en Pologne, ou les 140 millions d’euros qui
transitent quotidiennement sur la Bourse de Thaïlande. Ce manque de
profondeur du marché a pour conséquence les fluctuations, parfois
hiératiques, connues par certains titres. Sur les marchés les plus étroits,
la moindre transaction peut déclencher en effet des mouvements de cours
importants, encourageant les spéculateurs sur certaines places (comme celle
de Tunis). Mais décourageant d’autant tout investissement rationnel.

 

2 Manque
d’information

 

Pour Diery Seck, directeur de
l’Institut africain pour le développement économique et la planification,
basé à Dakar, les marchés africains rencontrent des difficultés notamment à
cause d’un manque d’information. « La principale matière première des
Bourses est l’information, explique cet universitaire, coauteur du livre
African Emerging Markets. Il faut qu’elle soit juste et vienne au bon
moment. Il est exclu qu’elle soit coûteuse pour l’investisseur. » Or, sur le
continent, l’information économique est rare et coûte cher. Les groupes
privés, notamment, manquent de transparence et préfèrent se financer auprès
de banquiers beaucoup moins regardants en matière de renseignements
économiques.

 

À l’étranger, dans les bases de données de référence telles que Bloomberg ou
Reuters, le continent est largement marginalisé. Enfin, les sites Internet
des Bourses africaines, d’une grande pauvreté pour la plupart, permettent
rarement de consulter des informations financières sur les sociétés cotées.
Quand ils ne délivrent pas, tout simplement, des chiffres devenus obsolètes.

3 Boudées par les opérateurs

Qui a envie d’entrer en Bourse ? À la lumière des chiffres, la réponse est
crue : pas grand monde. Cinq sociétés cotées au Swaziland, huit au Malawi,
onze en Zambie, treize en Namibie, trente huit en Côte d’Ivoire, et quarante
à Maurice. Seules les Bourses du Nigeria, avec 195 titres enregistrés,
d’Afrique du Sud (472) et d’Égypte (1151) semblent répondre à une attente
réelle des entrepreneurs. Sur les plus petites places, ce sont souvent des
filiales de groupes étrangers ou, pour les Bourses d’Afrique australe, des
groupes sud africains qui animent le marché. D’autant que les nouveaux
entrants se font rares.

En 2002, la Bourse de Tunis n’a vu qu’une seule levée de capital, avec
l’introduction de Somocer en novembre. La dernière inscription d’un titre à
Casablanca remonte à juillet 2001, avec Berliet Maroc. Dans les pays
francophones, le recours au financement bancaire, la méfiance des
institutions financières et la relative indifférence des gouvernements ont
fini d’achever les marchés financiers. Ces derniers avaient promis qu’une
partie du capital des sociétés privatisées feraient l’objet d’une
introduction boursière. La promesse ne sera pas tenue. À Abidjan, seule la
société sénégalaise des télécommunications (Sonatel, cédée à France Télécom
en 1997) a trouvé sa place sur la cote. Elle en est depuis l’une des valeurs
phares. Dans les pays anglophones, la donne est différente. La Bourse du
Nigeria, notamment, a connu sept introductions en 2002, permettant de lever
300 millions de dollars. Le marché le plus dynamique est celui du Zimbabwe,
devenu le seul refuge d’une économie sinistrée (voir p. 66). Les places
égyptienne et sud africaine, avec 85% de la capitalisation du continent,
continuent d’afficher leur supériorité. La Bourse de Johannesburg, qui
multiplie les coopérations techniques dans différents pays d’Afrique, ne
cache d’ailleurs pas son intention de fédérer progressivement les places du
continent, en commençant par celles d’Afrique australe.

 

4 Cherchez la croissance

 

bourseteheran.jpgDifficile,
voire impossible, à moins de laisser se développer une bulle, qu’un marché
prenne de l’ampleur en l’absence de perspectives macroéconomiques
favorables. Ainsi, les Bourses les plus dynamiques sont celles où existe
l’espoir d’un réel développement économique. En témoigne la progression de
80% de l’indice principal de la Bourse de Nairobi depuis les élections
présidentielles de décembre 2002. Celles ci avaient permis un renouvellement
des instances au pouvoir (voir p. 40). Au Nigeria, depuis 1999 et la fin de
la dictature, l’indice principal de la Bourse de Lagos a été multiplié par
trois.

 

À l’inverse, certaines places souffrent d’une situation économique
difficile, conséquence d’une conjoncture politique instable. La Bourse
régionale d’Abidjan la seule place régionale au monde est atone depuis le
premier coup d’État en Côte d’Ivoire, en décembre 1999. « L’activité n’a
jamais suivi, rappelle Jean Paul Gillet, directeur général de la Bourse
régionale des valeurs mobilières (BRVM). Nous n’avons pas eu d’introductions
depuis novembre 2001. Le capital de la BRVM, qui s’élevait à trois milliards
de F CFA à la création en 1996, est aujourd’hui de 600 millions. » Sans son
compartiment obligataire, dont le succès se confirme, la Bourse ne serait
peut-être plus là. Mais aurait elle manqué à quelqu’un ?.

 

 

 


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Par
Frédéric MAURY

ECOFINANCE n°37 – Novembre 2003


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