Tunisie : la sécheresse et la guerre en Ukraine mettent l’approvisionnement en céréales en péril

A peine nommée, la PDG de l’Office National des Céréales, Saloua Ben Hdaied aura la délicate mission d’assurer, durant la saison 2023-2024, l’approvisionnement régulier du pays en céréales et d’importer, à cette fin, quelques 3 millions de tonnes sur un total de besoins estimés annuellement à 3,5 Millions de tonnes.

céréalesCette mission ne sera pas facile en raison de deux facteurs exogènes. Le premier a trait à la sécheresse sévère qui a sévi, en Tunisie, en 2023 et à son impact négatif sur la production nationale de céréales (5 Millions de quintaux (mqx) dont 2,5Mqx collectés).

Sales temps pour les céréales

Le second porte sur l’évolution défavorable du marché mondial des céréales lequel a été marqué, en 2023, par deux décisions majeures prises par deux grands pays céréaliers.

Il s’agit de la sortie de la Russie de l’accord d’exportation de céréales de la mer Noire conclu avec l’Ukraine et de la décision de l’Inde d’interdire les ventes de riz non-basmati à l’échelle mondiale, le 20 juillet dernier. Cette dernière démarche dans ce pays asiatique s’ajoute déjà à la restriction des exportations de riz brisé en vigueur depuis septembre 2022.

Pour l’Inde, ces mesures visent à garantir la sécurité alimentaire de sa propre population tandis que la décision russe vise à asphyxier économiquement son ennemi, l’Ukraine.

D’après les observateurs du marché céréalier, ces récents développements sur le marché céréalier vont bousculer le commerce de certaines céréales vitales pour l’alimentation mondiale.

Probable augmentation du cours mondial des céréales

Réagissant à ces décisions, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé une probable augmentation des prix, d’ici, fin 2023.

« D’ici la fin d’année, les prix des céréales pourraient s’apprécier de 10 à 15 % », c’est ce qu’a indiqué Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 25 juillet dernier.

L’Office des céréales, confronté à un surendettement inédit auprès des banques de la place et des fournisseurs (arriérés de paiement), sera tenu de disposer, en dépit de ces difficultés, des devises nécessaires pour payer ses achats à l’étranger.

Il n’est pas besoin de rappeler ici que par l’effet d’un rating souverain catastrophique (ccc-), la Tunisie est perçue sur le marché mondial comme un pays exposé à tout moment à un défaut de paiement.

Conséquence : aucun fournisseur n’a confiance en la Tunisie. Tout achat à l’étranger doit être payé cash et tout de suite.

Se garder de recourir aux solutions faciles

Espérons que sous la pression de tant de contraintes, l’Office des céréales ne sera pas tenté, comme cela est d’usage le plus souvent, de détourner des crédits contractés pour renforcer la logistique de la filière. Nous faisons allusion ici au crédit contracté, le 19 juillet 2023 entre la Tunisie et la Banque africaine de développement (BAD), d’un montant de 87,1 millions de dollars, soit l’équivalent de 267 millions de dinars, ce prêt est destiné à cofinancer un projet d’appui au développement inclusif et durable de la filière céréalière (PADIFIC).

Une fois réalisé, il permettra d’augmenter les capacités de stockage stratégique du pays de céréales. Objectif : passer de deux à trois mois de couverture des besoins et ce, à travers la réhabilitation et la modernisation des silos portuaires de Rades et de Bizerte, la création d’un nouveau silo à Djebel Djelloud et la relance du transport céréalier par voies ferrées.

Il s’agit d’un projet hautement stratégique dans la mesure où il a pour ultime but de contribuer à garantir à court terme, avec le concours des autres partenaires au développement dont la Banque Mondiale (BM) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), un approvisionnement sans rupture du marché local en blé tendre et orge.

« L’accord s’inscrit dans une logique du renforcement de la résilience de la filière céréalière face aux chocs extérieurs et changements climatiques, tout en sécurisant l’approvisionnement en céréales dans un contexte exceptionnel marqué par une crise alimentaire mondiale induite principalement, par la guerre en Ukraine et une sécheresse persistance », lit-on dans le document relatif à cet accord de prêt.

Morale de l’histoire, l’enjeu est de taille. Nous pensons qu’au regard de l’impact attendu de ce crédit sur la pérennité et la durabilité de la filière, l’Office des céréales doit tout faire pour éviter d’utiliser ce crédit pour payer, de nouveaux achats et des arriérés de payement.

A bon entendeur.

ABOU SARRA