En 2022, le cinéma de fiction en Tunisie fête son centième anniversaire (1922-2022). Cet anniversaire, informe la Cinémathèque tunisienne, est l’occasion pour relancer et approfondir la réflexion sur l’évolution du cinéma de la Tunisie pendant ces dix dernières décennies.

A cette occasion, les Journées d’études organisées les 20 et 21 décembre 2022 à la Cité de la culture Chedli Klibi sont consacrées aux cent ans qui ont suivi la réalisation du film tunisien “Zohra” en 1922 par Samama Chikli. Ce sont deux jours d’étude qui reviennent sur les pères fondateurs, les pionniers, les traces et les parcours ayant conduit à une multitude d’expériences cinématographiques en Tunisie.

Cette manifestation à laquelle s’associent les ministères des affaires culturelles et de l’Enseignement Supérieur et de la recherche scientifique, est accueillie par la Cinémathèque Tunisienne dont le rôle est de soutenir et faire évoluer la recherche sur le cinéma tunisien en offrant à la recherche une visibilité, une proximité et un cadre de réflexion et de débat rassemblant universitaires, cinéastes, activistes du cinéma et détenteurs d’archives.

Du temps d’Albert Samama-Chikli et Haydée

En effet, les premières projections cinématographiques parisiennes se faisaient en même temps à Tunis grâce à Samama Chikli, un opérateur des frères Lumières, curieux, averti et hors du commun avec la collaboration de sa fille Haydée. Ainsi, le tunisien Samama Chikli devient premier cinéaste du continent (africain et arabe) et Haydée première scénariste, comédienne, monteuse et scripte. Un homme et une femme ont fait ensemble des films à une époque où le cinéma était une pratique maitrisée par une dizaine de personnes à travers le monde entier.

Leur film “Zohra” ouvre une brèche dans le cinéma colonial en Tunisie. Ils traitent différemment du pays, qui est le leur, et de leurs compatriotes et engagent un langage cinématographique révélateur d’une familiarité certaine. Samama Chikli, père historique du cinéma tunisien, ouvre la voie pour que d’autres formes singulières apparaissent plus tard.

L’une des plus importantes est celle opérée par Hammouda Ben Hlima. Ce ” cinéaste de la transgression ” qui rompt selon Ahmed Guesmi ” avec les méthodes traditionnelles du récit cinématographiques et travaille sans cesse à révolutionner les anciennes manières de création “.

Cet auteur, à contre-courant des formes et idées de l’époque et père d’une spécificité tunisienne du cinéma, balise ainsi la route pour d’autres expériences, d’autres discours et d’autres écritures. Ce travail est effectué sous différents régimes, sous différentes politiques culturelles, tout au long de ces 100 ans. Ainsi cette spécificité tunisienne du cinéma sera traitée dans les différentes interventions et œuvres projetées durant ces journées

Les expériences des cinéastes formés au sein des fédérations tunisiennes du cinéma

Les expériences promues par les cinéastes formés au sein des fédérations tunisiennes de cinéma (FTCC et FTCA) ou par les cinéastes formés dans les écoles occidentales de cinéma et parmi eux ceux qui ont choisi de s’installer définitivement à l’étranger en continuant de faire un certain ” cinéma tunisien ” ne sont pas des moindres. En plus de ses formes esthétiques singulières, le cinéma tunisien s’ouvre dès ses débuts à toutes les écritures, notamment documentaire ainsi que fictionnelle adaptée d’œuvres littéraires.

Il s’ouvre aussi à toutes les thématiques, particulièrement les plus audacieuses et les plus libératrices. Les œuvres de femmes y occupent une place de privilège.

Pour retracer l’histoire de la production cinématographique tunisienne et poser les jalons d’une réflexion autour de ses différents tournants, diverses réflexions de chercheurs tunisiens se concentreront autour de l’œuvre des pères fondateurs, autour des discours en question, autour des écritures cinématographiques et des parcours buissonniers des femmes cinéastes et des cinéastes de la diaspora tunisienne.

Sans passer outre la célébration du 60ème anniversaire de la fondation de la Fédération tunisienne du cinéma amateur, pépinière de la fabrication de cinéastes, d’œuvres et de festivals et tenant compte de l’incontournable apport de Fédération tunisienne des Ciné-clubs, des personnalités des premières générations interviendront autour des contextes de fondations et des évolutions de ces institutions formatrices.

En plus des films devenus arguments d’une historiographie, des films importants par la valeur des témoignages qu’ils offrent sur le cinéma tunisien ont été programmés. Leur projection en présence de leurs réalisateurs, sera l’occasion de raconter l’éclosion de ce cinéma et de lancer le débat, toujours d’actualité, sur ses grandes questions aussi bien idéologiques qu’économiques.

Le film Cinéma colonial réalisé en 1997 par Mokhtar Ladjimi traite du regard manichéen du cinéma colonial français sur le Maghreb et révèle l’apport du cinéaste Samama Chikli au regard endogène. Le film d’Albert Samama Chikly, ce merveilleux fou filmant avec ses drôles de machines réalisé en 1996 par Mahmoud Ben Mahmoud, dresse le portrait d’un voyageur infatigable et insatiable des découvertes technologiques de son temps et pionnier dans tous les domaines.

La projection en 35 mm du film Mokhtar réalisé en 1968 par Sadok Ben Aicha sera aujourd’hui l’occasion de raconter un autre tournant : une remise en question de l’idéal d’un cinéma du ” héros national ” face à son devoir dans une ” démarche déconstructive “.

Le film méconnu “Le Pâtre des étoiles” réalisé en 1971 par Hatem Ben Miled sur Ali Douagi, enchevêtre témoignages précieux et images troublantes du début du siècle dernier. Ce poème cinématographique met en avant le parcours archétypal de l’intellectuel-artiste tunisien.

Le film “Keswa, le fil perdu” réalisé en 1998 par Kalthoum Bornaz est également peu vu. Dénonçant le poids des traditions dans la société tunisienne et aspirant à s’en défaire, il est représentatif d’une cinématographie féminine, datant d’une époque communément qualifiée d'”âge d’or”. Le film Mon village parmi tant d’autres réalisé en 1972 par Taïeb Louhichi documente les difficultés d’une société en disparition dans la même géographie du sud tunisien et manifeste, avec autant de poésie, la nostalgie de l’exil et du déracinement.