A Makhtar, petite ville du gouvernorat de Siliana, au nord-ouest de la Tunisie, un collège public s’est métamorphosé en un modèle de “Green School” (école écolo), le premier du genre dans le pays.

Le changement a pris du temps, mais le résultat est tangible! L’école aux infrastructures détériorées et insalubres, dont la cour était un sinistre terrain vague, est désormais rénovée et entourée de verdure. Une forêt d’oliviers, d’amandiers et de pêchers offre ombre et fraîcheur, aux 570 élèves de l’établissement, durant les journées trop ensoleillées. D’ores et déjà, une récolte d’olives est disponible pour la cuisine de l’Internat.

Le mérite de cette heureuse métamorphose revient à “Wallah We Can“, une ONG tunisienne qui milite, depuis 2011, contre les inégalités sociales, économiques et environnementales touchant notamment les enfants et les élèves dans certaines régions de la Tunisie.

L’approche de l’organisation se veut globale, ciblant l’égalité des chances et la garantie des droits fondamentaux des enfants: droits à la santé, à l’éducation, à l’épanouissement et à la protection physique.

L’ONG a agi, à cet effet, sur le climat scolaire, à travers la rénovation de l’établissement et la mise en place d’un espace d’e-learning, une salle de cinéma et des clubs d’entrepreneuriat et de robotique en plus de l’organisation d’ateliers de prévention contre toutes les formes de violences et la mise à disposition d’experts pour les enfants qui en sont victimes.

L’autosuffisance énergétique et alimentaire, fer de lance de la réduction des inégalités

L’hiver est glacial à Makhtar, située à 900 mètres d’altitude. Les internes du collège qui viennent généralement de zones rurales défavorisées souffraient auparavant, du froid. Pour mettre fin à leur calvaire, “Wallah We Can” a installé l’énergie solaire et thermique.

Cinquante chauffe-eaux et 140 panneaux solaires ont été installés sur le toit de l’Internat. Leur capacité de production a atteint 45 000 KW, en 2022. Un excédent de 30 % de cette énergie sert à payer les dettes de l’établissement auprès de la STEG et l’électricité restante (70 %) a permis d’approvisionner trois écoles voisines.

Parallèlement, une initiative “Kidchen” d’éco-agriculture, a été lancée par l’association depuis 2020. Il s’agit d’une ferme agricole aménagée sur un terrain de 8 hectares à 30 km de la ville, à proximité d’un lac collinaire, ce qui a épargné à l’association, les problèmes d’accès à l’eau.

L’objectif étant d’améliorer l’alimentation des élèves et de fournir des emplois à certains parents. C’est ainsi qu’une coopérative produisant des cultures maraîchères, expérimentales et de niches, a été créée, au terme d’une année de formation pour les parents.

“La production de cette année est estimée à 250 tonnes de légumes alors que les besoins de l’internat du collège de Makhtar ne sont que de 600 kilogrammes. L’excédent sera commercialisé à travers la plateforme “www.agritable.tn”, pour financer les achats d’autres produits alimentaires (pâtes complètes, produits laitiers, sardines … )”, a indiqué à l’Agence TAP, Jamil Ben Ayed, ingénieur agronome fraîchement recruté par l’ONG.

“A partir de janvier 2023, cette ferme permettra d’approvisionner, durablement, la cantine scolaire en légumes et de garantir aux 570 élèves des repas équilibrés et gratuits, choisis en consultation avec une équipe de nutritionnistes”, a déclaré Abrar Nhouchi, chef des projets à l’ONG.

D’après Abrar N’houchi, “garantir des repas scolaires aux élèves joue un rôle important dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et offre la possibilité d’un développement social, d’une amélioration du comportement et d’une croissance”.

Garantir une justice menstruelle

La précarité menstruelle est l’autre constat relevé au sein de l’internat de Makhtar, où les jeunes filles utilisaient la mousse de leurs matelas pour se fabriquer des moyens de protection pendant leurs règles.

Pour résoudre ce problème, l’association a lancé, dès le début, un projet de fabrication de serviettes hygiéniques lavables par respect à ses engagements écologiques. Elle a ensuite, conclu un partenariat avec une grande enseigne internationale de lingerie pour la fabrication de culottes hygiéniques lavables et de qualité exploitable pendant 4 ans.

“L’objectif est d’assurer à toutes les jeunes filles scolarisées grâce à un kit de 3 culottes hygiéniques lavables une protection saine, économique et écologique et partant de garantir une justice menstruelle pour toutes. L’ONG est devenue la première organisation tunisienne à proposer un congé menstruel payé”, explique Beya Jelassi, responsable communication auprès de “Wallah We can”.

Une solution “franchisable” 

En Tunisie, les inégalités dans le domaine de l’éducation touchent davantage les individus les plus pauvres dans les régions du nord-ouest et du centre-ouest, selon une étude du Forum tunisien des droits économiques et sociaux “FTDES”, rendue publique en mars 2022.

L’étude a constaté, entre autres écarts, un déséquilibre flagrant dans le taux de réussite des élèves, en défaveur des gouvernorats les plus pauvres notamment ceux du centre-ouest et du nord-ouest de la Tunisie, où se trouve la ville de Makhtar.

Entre autres injustices évoquées par le FTDES, une forte marginalisation des dépenses destinées au développement et à l’investissement dans le domaine de l’éducation publique et des écarts de performance et de qualité de l’enseignement, aggravés par le boom de l’enseignement privé.

Côté genre, ce sont les femmes pauvres habitant ces deux régions qui souffrent le plus de l’inégalité d’éducation, selon le forum.

Pour cette raison, “Wallah We Can” a concentré son travail sur les femmes, en associant des parents d’élèves aux activités agricoles, dans la ferme de 8 hectares aménagée dans le but de créer un système alimentaire durable et équitable et une économie circulaire qui aura un impact sur tout l’environnement de l’école.

Selon le rapport de l’Institut de recherche pour le développement social des Nations Unies (UNRISD) sur ” les crises d’inégalité, déplacement de pouvoir pour un nouveau contrat éco-social”, rendu public vendredi, 21 octobre 2022, “les objectifs de soutenir les personnes marginalisées et les groupes vulnérables peuvent être atteints par l’action positive, la sensibilisation et l’éducation, et aussi les mesures prises pour minimiser la discrimination et les préjugés dans les politiques mises en Å“uvre”.

Une ferme agro-énergétique dans chaque région

Selon Abrar Nhouchi, l’ONG a déjà atteint ses objectifs pour ce projet de “Green School” à Makhtar. “Pour preuve, nous avons reçu cette année, 80 demandes supplémentaires d’admission à l’internat du collège”.

A l’avenir, l’association cible la création d’une ferme agro-énergétique de 40 hectare à Siliana, pour approvisionner les internats des établissements scolaires de la région en énergie et en produits agricoles. Elle ambitionne de généraliser ce projet pilote pour créer une ferme du même genre dans les 24 gouvernorats de la Tunisie.

Selon les chiffres du ministère de l’éducation, la Tunisie compte environ 6134 établissements dont 4 589 écoles primaires et 1545 collèges et lycées, fréquentés par une moyenne de 2 millions élèves, collégiens et lycéens.

Pour le FTDES, les inégalités persistent entre les établissements publics, les élèves ne bénéficient pas de la même qualité d’enseignement ni des mêmes commodités. Dans certaines régions, les écoles sont privées de l’accès à l’eau potable et à l’électricité.

“Ces écarts sont le résultat d’un désengagement de l’Etat vis-à-vis de son rôle souverain expressément consacré par la Constitution, de garantir une éducation de qualité pour tous et sans discrimination”, estime le Forum.