Sans surprise aucune et à dix jours de la consultation, le « oui » a déjà gagné, la seule question qui subsiste sera de savoir par quel taux proche de 99%. Beaucoup, dont nous sommes, ont défendu le boycott plutôt que de s’enrôler dans la mystification, comme en 2011 lorsque nous avions défendu la réforme de la constitution de 1959 et ne pas embarquer le pays dans une errance de dix-ans.

Les 99% attendus et certainement réalisés, vont donner l’occasion à l’unanimisme de pointer du doigt les ingrats, minoritaires, la cinquième colonne. Déjà le chef d’un micro parti de l’arabisme militant a annoncé la couleur en se faisant le Gobbels de l’arabisme contre le «franco-sionisme».

Dans le camp de l’unanisme, après avoir acquis la certitude que la masse a été bien encadrée, la course se fait plus pressante pour les honneurs et les places, quitte à tordre la science. Mais certains savent qu’en tordant la science, ils ne s’adressent pas à la masse. C’est bien connu, la masse ne lit pas, n’analyse pas, elle réagit seulement, c’est son seul reflexe et sa seule utilité (Lisez Canetti).

Les 99% attendus et certainement réalisés, vont donner l’occasion à l’unanimisme de pointer du doigt les ingrats, minoritaires, la cinquième colonne

L’objectif de ceux qui entreprennent de tordre la science pour légitimer un texte, c’est de plaire au chef et d’intégrer la très convoitée communauté émotionnelle qui va se confondre en louanges pour un texte tordu, pas du point de vue des principes qu’il défend, après tout on peut même défendre un apartheid en respectant les règles du droit. Ce texte est tordu justement du point de vue des règles même du droit constitutionnel.

C’est bien connu, la masse ne lit pas, n’analyse pas, elle réagit seulement, c’est son seul reflexe et sa seule utilité (Lisez Canetti).

Sauf à s’armer d’une mauvaise foi sans limites en allant à l’encontre de l’avis des plus éminents constitutionnalistes tunisiens et étrangers, on peut et on doit (par devoir scientifique) dire que non seulement le texte est médiocre sur tous les plans, mais qu’il est dangereux sur le plan politique.

Ce texte est tordu justement du point de vue des règles même du droit constitutionnel.

Certains ont été plus loin que la légitimation de ce qui n’est pas admissible en politique et acceptable en droit. Ci-après un échantillon. Les auteurs se reconnaitront. Il est utile de prendre date, car, il faudra un jour (prochain) les mettre devant leurs écrits. Ils témoigneront pour eux et pour la période qui s’ouvre.

Non seulement le texte est médiocre sur tous les plans, mais qu’il est dangereux sur le plan politique

Quand on cherche à complaire quitte à défendre tout et n’importe quoi. 

Dernière idée exposée récemment sacrifie elle aussi à la complaisance vis-à-vis du maitre du moment essaye de nous montrer la justesse du texte de la constitution « saidienne » comme une réponse à la situation géopolitique de la Tunisie. Pas moins que cela !

Alors, examinons la chose de très près.

D’abord pour tordre le cou à deux mythes et remettre les pendules scientifiques à l’heure. La géopolitique  n’est ni une discipline, ni une spécialité, c’est une méthode. En second lieu, tous ceux qui se définissent comme des «géopolitologues» trompent leurs auditoires. La géopolitique relève de la géographie et de ce fait on est honorablement géographe quand on fait de la géopolitique. On ne peut donc se présenter en «géopolitologue», car la spécialité n’existe pas, n’existe nulle part dans la nomenclature des compétences et des fonctions scientifique dans le monde, à fortiori, pas en Tunisie où la géopolitique est même très peu enseignée.

Mais à vouloir expliquer le texte constitutionnel qui nous a été infligé par le contexte géopolitique du pays, en croyant que par le simple fait qu’un texte a été déjà adopté que la géopolitique du Maghreb et de la Tunisie va changer c’est tout simplement aller déterrer Ratzel, un des pères fondateurs de la géopolitique, en lui faisant dire ce qu’il n’a pas osé dire à la fin du XIXe siècle, malgré les approximations de son œuvre.

Faire croire aussi que la «Saidienne» va résoudre les problèmes de la géographie du pouvoir en Tunisie c’est refaire une même erreur mais en sens inverse. Car en, effet en prétendant au Sénat des régions, ce n’est ni plus ni moins que donner consistance aux balivernes qui durant des années ont raisonné sous la coupole de l’assemblée en faisait croire que si les régions administraient leurs propres richesses, alors, elles seraient plus riches et plus vertueuses.

Faire croire aussi que la «Saidienne» va résoudre les problèmes de la géographie du pouvoir en Tunisie c’est refaire une même erreur mais en sens inverse

On est presque dans la «kamourisation» de la géopolitique, si ce n’est une balkanisation du pays, qui sera un assemblage de bantoustans en conflits les uns avec les autres.

Quant à l’idée qui consiste à faire croire que la géopolitique du Maghreb changerait par le simple fait que la constitution «Saidienne» serait adoptée et que l’actuel président agirait plus facilement car il concentrerait plus de pouvoirs, c’est méconnaitre les rudiments de la stratégie et de la diplomatie.

On est presque dans la «kamourisation» de la géopolitique, si ce n’est une balkanisation du pays, qui sera un assemblage de bantoustans en conflits les uns avec les autres.

D’abord, même sous le règne de la très médiocre constitution de 2014, le Président avait un vaste domaine (en théorie), centré sur la diplomatie et les questions militaires. Mais Monsieur Saied rechignait à l’exercer, nous renvoyons à notre article de décembre 2019 «Halet Ghaybouba». Monsieur Saied, n’a de l’international qu’une vision parcellaire et assez dépassée, il faut le reconnaitre, difficile a décrypter, mais en tout état de cause, ce ne sont pas les mêmes articles, insérés dans une nouvelle constitution qui feraient du chef de l’Etat tunisien le Metternich virtuose de la diplomatie.

A l’endroit de notre cher collègue qui a mêlé la géopolitique, la stratégie et la constitution (rien que ça), on dira qu’on a la diplomatie de son armée et de son économie.

Entre 2014 et 2019, Monsieur Essebsi a laissé prospérer une diplomatie parallèle, œuvre de Ghanouchi que nous avons dénoncée aussi dans un article (Pouvoirs parallèles), Monsieur Essebsi, avait une vision diplomatique fondée sur la tradition héritée de Bourguiba, qui il faut le dire s’est délitée, car la Tunisie, dés 2011 est devenue un champ d’influence de toutes les puissances, secondaires, et même des petites nations qui se considèrent désormais des puissances tutélaires sur la Tunisie.

Or on sait, comme nous l’enseigne l’histoire, comme le dit si bien Clausewitz «Aucun Etat ne vole au secours d’un autre Etat sans tenir compte de ses intérêts propres». Faire croire que le plus fort des «frères» viendrait défendre le plus faible sans contreparties, uniquement car il s’agit d’un frère, c’est faire preuve d’une naïveté sans limites et d’une méconnaissance même de l’histoire tunisienne.

«Aucun Etat ne vole au secours d’un autre Etat sans tenir compte de ses intérêts propres», Clausewitz

Remarquons aussi que dans le texte rédigé par le Président et qui sera sa constitution, la Tunisie n’est qu’une portion d’une oumma, dont on ne connait pas les limites et la consistance. Graver cela dans un texte constitutionnel c’est se vassaliser et se mettre en attente d’une puissance tutélaire.

De fait venir expliquer le choix de voter «oui» pour un texte qui crée de facto une théocratie, qui prône la dissolution  du pays dans un oummisme sans frontières ni consistance, vouloir en gommer les faiblesses d’un texte qu’on ne peut classer dans la rubrique constitution qu’en faisant faire des acrobaties à la géopolitique c’est faire preuve d’opportunisme, sans plus.

le texte rédigé par le Président et qui sera sa constitution, la Tunisie n’est qu’une portion d’une oumma, dont on ne connait pas les limites et la consistance

Le texte fondamental dans nombre de pays ne cherche par à dissoudre le pays dans un tout indéfinissable, il dispose pour sa nation, ne cherche par à mettre un pays à la remorque d’un article qui loge l’action de l’Etat dans la réalisation des objectifs d’une religion.

Il suffit de lire même la toute première constitution tunisienne pour mesurer le saut en arrière que le pays a déjà fait, car le 25 juillet 2022 ne sera que de pure forme.

Le oui a déjà gagné par 99% des voix, la participation ? Qui osera compter ?… Personne, bien sûr.

Pr. Taoufik Bourgou, Politologue, chercheur au CERDAP2, sciences po Grenoble