Le casse-tête de la redistribution des revenus des ressources naturelles

Revendiquée par les régions productrices et consacrée par la nouvelle constitution du 14 janvier 2014, la question de la répartition du fruit des ressources naturelles fait plus que jamais débat. Celui organisé par l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE) et Natural Resource Governance Institute (NRGI) a démontré que la formule magique permettant de satisfaire tout le monde ne sera pas facile à trouver. Et que l’exercice n’est pas sans risque.

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«L’intérêt des peuples avant celui des poches (Maslahat Achoob Kabla Maslaht Al Jouyoub)». La formule est de Laury Haytayan, MENA senior officier au Natural Resource Governance Institute (NRGI), et elle résume parfaitement l’état d’esprit qui, en Tunisie mais dans d’autres pays également, poussent les populations de régions détentrices de ressources naturelles à réclamer à l’Etat une plus grande part de ce gâteau.

En Tunisie, interdit avant le 14 janvier 2011, ce débat sur la redistribution des revenus des ressources naturelles est désormais omniprésent sur la scène publique. Car la nouvelle Constitution du 14 janvier 2014 a jeté les bases d’une telle revendication en stipulant dans son article 13 que «les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien, la souveraineté de l’Etat sur ces ressources est exercée en son nom».

«Le système actuel dénote d’une gestion centralisée et de l’absence de mécanismes de partage des revenus issus des ressources naturelles», analyse Zouhour Karray, professeur d’économie à l’Ecole Supérieure des Sciences économiques et commerciales de Tunis, et consultant à l’IACE, lors de l’Atelier sur «distribution des revenus et convergence régionale» (24-25 mars 2016, Maison de l’Entreprise).

Ce système présente, selon Asma Bouraoui Khouja, chercheur et conférencier à l’Ecole Supérieure du commerce de Tunis, et experte à l’IACE, le défaut «d’être fondé essentiellement sur la taille de la population. Or, les populations bougent de l’intérieur du pays vers les côtes et cela fausse la démarche et ne favorise pas la convergence régionale».

Pour corriger ce déséquilibre et réparer cette injustice, les deux économistes proposent de choisir entre trois scénarios (un nouveau mode de distribution des revenus des ressources naturelles (se fondant sur la collecte d’une redevance calculée selon un barème fiscal et géographique et d’un impôt sur les sociétés opérant dans ce secteur et des revenus des participations), un fonds du trésor pour le financement du développement régional (alimenté par diverses ressources), ou la mise en place de la décentralisation) qui ont chacun des contraintes.

Mais distribuer pour quoi faire, s’interroge Sofiance Ghali (Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales de Tunis, IACE). «Si c’est seulement pour donner des salaires, on n’est pas sorti de l’auberge. Il faut d’abord fixer l’objectif puis parler de distribution», conseille l’universitaire.

En outre, observe-t-il, «le problème n’est pas tellement la disponibilité des fonds à accorder aux régions, mais la capacité ou l’incapacité de ces dernières à les gérer». Et pour qu’elles le soient, il faudrait, quel que soit le mode de distribution choisi, renforcer leurs capacités «en termes de ressources humaines, institutionnelles et logistiques», recommande Zohour Karray, et «déterminer les responsabilités des gouvernements locaux», recommande Nadine Abou Khaled (NRGI).

Tout cela implique aussi «de décentraliser la discussion sur la collecte et la distribution des impôts», observe Andres Mejia Acosta (expert, King’s College, London).

Bien qu’il ne remette pas en question la nécessité de mettre sur la table la question de la révision du mode de partage des revenus des ressources naturelles, M. Ghali pense que l’exercice peut être porteur de danger et «provoquer des conflits régionaux et tribaux». Raison pour laquelle Laura Haytayan juge nécessaire de «réduire les conflits et assurer la stabilité quel que soit le régime d’allocation des revenus des hydrocarbures et des minerais».