Tunisie – Politique : BCE internationalise la crise de Nidaa Tounès

En l’espace d’une semaine, le président de la République, Béji Caïd Essebsi (BCE) a eu à évoquer en public la crise qui sévit au sein du parti Nidaa Tounès dont il est le fondateur et le président d’honneur. La première fois, c’était lors d’une intervention télévisée; et la deuxième, c’était à l’occasion de la 30ème édition des Journées de l’entreprise, à Sousse (4 et 5 décembre 2015). En dépit de ces interventions qui transgressent l’article
76 selon lequel «le Président de la République ne peut cumuler ses responsabilités avec d’autre responsabilité partisane», la crise demeure ouverte entre les deux clans.

bce-je-iace-2015.jpgD’un côté, la direction légitime, incarnée par le bureau politique et le bureau exécutif, et à leur tête Mohamed Ennaceur, actuel président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et le secrétaire général Mohsen Marzouk qui sont pour un congrès électif, et de l’autre, des «putschistes»-opportunistes de tous bords menés par Hafedh Caïd Essebsi, vice-président du parti, qui plaident pour un congrès constitutif.

Ce qui est intéressant dans cette crise, c’est son évolution d’une divergence d’humeur vers «une préoccupation internationale».

Evolution de la crise

Au commencement, les militants du parti, qui intervenaient sur les plateaux de télévision, ont fait croire à l’opinion publique que la crise était juste une divergence de vues entre le secrétaire général, fils spirituel de Bajbouj, et le vice-président, Essebsi Junior, sa progéniture biologique, deux personnages inconnus avant le soulèvement du 14 janvier 2011.


Dans un second temps, des ténors du parti s’étaient employés à donner à cette crise une dimension idéologique en faisant état d’un bras de fer qui opposait des dirigeants nidaistes de gauche et des rcdistes -destouriens ultralibéraux. Cette thèse a été très vite abandonnée en ce sens où il s’est avéré que dans chaque clan il y avait des gauchistes et des rcdistes.


Dans un troisième, ces mêmes militants ont œuvré à conférer à cette crise une portée nationale en insinuant que si jamais Nidaa Tounès se désagrège et se disloque, c’est tout le processus démocratique et la stabilité du pays qui s’en ressentiront. Cette thèse n’a pas accroché le public pour une simple raison : la Tunisie a vécu en 2011 sans parti au pouvoir, et ce jusqu’aux élections du 23 octobre 2011.

Dans un quatrième, la crise s’est aggravée et a connu des incidents graves à Djerba d’abord et ensuite à Hammamet où les putschistes avaient empêché les structures légitimes de tenir leur réunion. Résultat: une trentaine de députés de Nida gèlent leur participation aux activités en attendant l’organisation d’un bureau exécutif. Ils protestent entre autres contre ce qu’ils estiment être une tentative de hold-up du parti par Hafedh Caïd Essebsi.


La crise est un épiphénomène selon BCE


Pendant ce temps, le fondateur de Nidaa Tounès, Béji Caïd Essebsi se donnait en spectacle la crise et évitait d’intervenir même discrètement dans la mesure où les belligérants n’étaient pas, comme il aimait le dire, élus mais désignés par lui-même.La seule fois où il avait réagi à la crise traversée par son parti, c’était le 5 novembre 2015 à Stockholm où il effectuait une visite officielle. Il avait alors voulu minimiser la situation en parlant «d’épiphénomène» et en appelant à l’«esprit de concorde».


Devant la persistance de la crise, il a dû se décider et intervenir. Lors de son intervention sur toutes les chaînes de télévision du pays, il a proposé une commission de sages pour rapprocher les points de vue mais surtout il avait pris le parti de son fils en donnant la préférence à l’organisation d’un congrès constitutif dont la préparation serait, selon lui, plus facile et imminente.


Cette intervention a provoqué un tollé auprès de l’opposition, des droits-hommistes et des juristes. Ils y ont vu une nette  violation de la Constitution et une prise de position flagrante en faveur du clan de son fils Essebsi Junior.


BCE sous influence étrangère


Face à cette fronde, le président de la République a dû saisir, six jours après, sa présidence de l’ouverture de la 30ème édition des Journées de l’entreprise à Sousse, pour revenir sur la crise et lui donner une dimension internationale.


Il a révélé que ce sont des partenaires influents étrangers qui lui ont poussé à intervenir pour résoudre la crise, s’agissant du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, et surtout du premier responsable du monde dont il a refusé de nommer. Selon les spéculations des uns et des autres, il s’agirait apparemment du président des Etats-Unis, Barack Obama. Pis, il a même avancé que ces partenaires qui n’auraient, d’après lui, confiance qu’en lui, avaient conditionné le décaissement de crédits et l’octroi de nouvelles aides à la résolution de la crise de Nidaa Tounès.


Ces révélations évoquées publiquement et devant un panel de diplomates, d’investisseurs et de leaders d’opinion publique internationale ont démontré, de manière éloquente, que le président de la République est aux ordres des institutions de Bretton Wood’s et de grandes puissances étrangères. C’est de toute évidence, plus qu’une compromission assumée, un hara-kiri politique en direct.


Moralité: avec ses révélations, BCE, qui qualifiait la crise de Nidaa Tounès «d’épiphénomène», vient d’internationaliser la crise de son parti et d’en faire une préoccupation internationale.


Pourtant, la solution de la crise est à sa portée. Lui, qui a désigné les belligérants et les responsables de la crise, en l’occurrence ces deux fils spirituels et biologique, il a les moyens de les limoger, d’autant plus que Essebsi Jr avait déclaré dans son interview sur la chaîne familiale Nessma qu’«il fera ce que lui dira son père».


La balle est désormais dans le champ du chef de l’Etat qui doit prouver, une fois pour toutes, que la patrie doit passer avant le parti ou le contraire le parti de son fils passe avant la patrie.


A méditer !